Je vis au magnifique sourire qui fleurissait sur ses lèvres qu’elle n’attendait que ça et toute heureuse de pouvoir le faire, elle m’entraîne encore plus vers le bord du lac.
« Voilà, ici se sera parfait. Tu vas voir c’est fatal »
C’est fatal, quand quelque chose était bien, c’était fatal. Que ce soit un parfum de glace, un film ou un jeu, ces mots disaient que cela nous plaisaient vraiment quelque soit le sujet au quel ils se rapportent. Et ce le fût, fatal, effrayant mais fatal et le lendemain au sens propre du terme.
« Sélia, pourquoi ici ? Je n’aime pas trop être si près du lac, je nage très mal et tu le sais. On ne peut pas aller vers les balançoires plutôt ? J’ai peur sur la rive. »
« Arrête de faire ton bébé, je suis là, tu risques rien. Tu sais bien que je ne laisserai jamais rien de mal t’arriver, hein ? Tu le sais Méli ? En plus, je contrôle tout ça tellement bien que j’y met un terme quand je veux, ça ne prendras pas longtemps et je te promet qu’après on retournera vers les balançoires. »
J’ai capitulé, évidemment, pouvait-il en être autrement avec ma Sélia ? Et c’est vrai que je ne risquai rien avec elle, luttant contre ma peur panique d’être si près de l’eau et succombant à son regard rendu brillant par l’excitation de me montrer, je m’assis dans l’herbe et portai sur elle toute mon attention. Elle s’assit face à moi, sa poupée entre nous deux et me demanda de bien regarder. La première chose sur laquelle mes yeux se posèrent furent cette horreur de jouet que sa mère avait acheté à une vente de garage à la ville voisine, Chamberlain, au profit de la commune qui fût dévastée pour des raisons que j’ignore (elle me fichait la trouille, cette poupée, encore plus que le lac et toutes les étendues d’eau réunies sur Terre). Puis je regardais Sélia, elle se concentra sur Carrietta, un pli s’était formé entre ses sourcils comme pour marquer cet effort.
Et là, j’eu l’impression de perdre la raison. La poupée s’éleva du sol jusqu’au niveau de mes yeux et continua de monter vers le ciel, elle fit trois tours sur elle-même et revient à sa place initiale comme si de rien était. Sélia me dévorai des yeux, attendant ma réaction.
« C’est toi qui fait ça ? Vraiment ? Y a un truc, non ? ».
Hélas non, pas d’astuce, ni de tour de passe-passe. C’était bien elle qui faisait bouger sa poupée dans les airs tel un papier qui se ferai balader par le vent.
L’esprit embrouillé, je fût incapable de prononcer le moindre mot ; de toute façon cela n’avait pas la moindre importance car Sélia enchaîna de suite sans me laisser le temps de trouver mes mots.
« Et il y a autre chose encore, attends, il me faudrait… Oui, ce vieux journal fera l’affaire. »
Ma tête tourna au ralenti dans la direction où ce portait son regard, je vis les feuillets voltiger vers nous est aller se poser environ trois mètres devant nos pieds. La dernière page n’avait pas encore touché le sol que la gazette s’enflamma et brûla comme une torche. Une minute plus tard, il ne resta qu’un petit tas de cendres que le vent se dépêcha de dissiper.
Je leva les yeux sur mon amie et vite passer dans son regard une étrange lueur qui céda rapidement la place à un regard interrogateur, dans l’attente de mon avis. Cette lueur entraperçue, je sais aujourd’hui, que c’était de la peur, voir de la terreur devant « ses pouvoirs » nouvellement acquis.
La bouche sèche, la gorge nouée, je trouvai les mots qui semblèrent la rassurée :
« C’est fatal !!! Tu es sûre de pouvoir contrôler « ça » sans problèmes ? C’a fait un peu peur quand même. Tu penses vraiment que tu pourras faire changer tes parents d’avis grâce à ce truc ? Et à toi ? Ca ne fait rien quand tu le fais ? ».
Un sourire aux lèvres, rassurée d’avoir eu mon approbation, elle me répondit :
« Ne t’inquiètes pas pour moi, quand je « bouge » des objets, j’ai juste un petit mal de tête après et quand je « brûle » des choses, ça me fait comme un grand chatouillis qui me parcours le corps. A part ça, que dalle. Je suis sûre que tout ce passera bien, je vais juste leur foutre la trouille et leur dire que si ils ne changent pas d’avis pour le déménagement, je ferais pire et voilà. Ils auront tellement peur qu’ils n’auront pas besoin de deuxième séance crois-moi !
Je dois rentrer maintenant il se fait tard, on se retrouve ici demain matin? »
Le soleil était déjà sur le couchant, la journée avait été tellement riche en événements que je n’avais pas vu le temps passé. Moi aussi, il était temps que je rentre, pas que mes parents s’inquièteraient de mon absence (ils avaient l’habitude de me savoir à l’extérieur) mais j’avais besoin de réfléchir à tout cela. Et peut être aussi de prier pour que tout se passe bien chez Sélia demain matin. Je lui répondis que c’était d’accord pour demain à neuf heures, même endroit et nous partîmes chacune de notre côté.
Je ne fermai pas l’œil de la nuit et c’est le ventre noué par l’angoisse que je me sorti péniblement du lit au petit matin. Pas de petit-déjeuner, même pas de fruit ou un verre de lait.
Je sorti au plus vite pour partir vers le parc, laissant un mot pour ma mère sur le frigo. Je ne voulais pas attendre qu’ils se lèvent, j’avais peur, peur que devant ma pâleur ils ne me consignent à la maison, peur pour Sélia. Le ciel était clair et sans nuages, l’air encore froid de cette nuit me cingla le visage lorsque je me mis à courir pour arriver plus vite là-bas.
J’arrivai hors d’haleine dans l’air de jeux encore déserte, pas la moindre trace de Sélia dans les parages. Je me mis à faire les cent pas de plus en plus mal à l’aise, les secondes semblaient être des minutes, les minutes ; des heures et les heures ; une éternité. Le clocher de l’église sonna la demie de neuf heures et Sélia n’était toujours pas là. J’étais passé de l’état de peur à celle de la terreur quand j’entendis des sirènes hurlées au loin. A part ce cri strident, le parc était plongé dans un silence lugubre, pas le moindre pépiement d’oiseau ou petit croassement de grenouille. Regardant vers l’est (dans la direction du quartier de mon amie) l’horreur s’empara de moi lorsque mes yeux virent cette épaisse colonne de fumée noirâtre qui s’élevait à l’horizon. Ma tête n’avait qu’une seule pensée : « C’est elle, c’est Sélia qui à fait ça ». Comment je le savais ? Je ne sais pas mais j’avais la certitude qu’elle était responsable de cet incendie. Hypnotisée par cette vision de cauchemar, je ne la vis pas arriver, courant à perdre haleine, elle failli me renverser et me faire plonger pour un bain matinal dans le lac.
Elle avait tout l’air d’être sortie d’une mine de charbon, le visage barbouillé de suie, les vêtements sales, elle n’était que noirceur de la tête aux pieds. Seuls brillaient dans ces ténèbres l’éclat de ses yeux, un regard de panique, proche de la folie. Elle se mit à parler, vite, très vite : « Méli, aide-moi ! Ca échappe à mon contrôle, je peux plus l’arrêter ! Je voulais juste leur faire peur, un peu, je ne voulais pas ça ! C’est parti tout seul ; maman, papa je… je l’ai ai tués et puis il y avait Carrietta sur la table et je l’entendais rire, elle riait de plaisir et moi j’étais en colère contre elle. Je l’ai fait flambée et maintenant c’est toute la maison qui brûle. Et je sens que c’est là, à l’intérieur, ça veux sortir, semé le malheur. Encore et encore.
Méli aide-moi, j’ai peur. Je ne peux plus l’éteindre. »
Qu’avions-nous fait ? De peur d’être séparées, nous (car j’était autant responsable qu’elle en ne l’empêchant pas de commettre cette folie) avions détruit des vies, des maisons.
Que pouvions-nous faire pour, si ce n’est réparer, arrêter les dégâts ? Ma mère disait toujours : à trop jouer avec le feu, on se brûle. Voilà que cette phrase prenait tout son sens.
Dans ma confusion, je remarquai à peine que Sélia était entré dans le lac et qu’elle m’avait entraînée avec elle. Je la regardais et je vis qu’elle pleurait mais ses larmes amères n’atteignaient jamais son menton, elles s’évaporaient bien avant. C’est d’une voix résignée et pleine de tristesse qu’elle m’énonça la seule issue possible.
Maintenant je sais que je n’oublierai jamais cet été là, et même si je sens mes forces me quitter définitivement, je pense trouver l’énergie nécessaire pour finir, du moins je l’espère.
Il n’était pas encore midi lorsque ma tendre Sélia me demanda l’impossible :
« Tu dois me tuer Méli. Pour que tout s’arrête, c’est le seul moyen. Je suis la source de tout ça, arrête-moi avant que je ne fasse pire encore. »
Cet instant restera toujours gravé dans ma mémoire : Debout dans le lac, les larmes ruisselantes sur mes joues, tenant la main de celle qui fût ma seule amie, essayant vainement de protesté : « Sélia, non ! Il y a sûrement une autre solution, ne dis pas de bêtises. Je ne pourrai jamais»
C’est comme si je n’avait rien dis, elle continua ses explications, me tenant toujours la main, me donnant chaud, si chaud et pourtant je baignais à mi-cuisse dans l’eau.
« Il faudra que tu luttes contre ta peur de l’eau car c’est le seul endroit où c’est le moins risqué pour toi. Je ferai de mon mieux pour envoyer ce truc loin de toi, si il t’arrivait malheur je ne pourrais jamais me le pardonner. Je t’en prie, quelque soit la façon que tu t’y prennes, essaye de faire vite, j’ai trop peur que par mégarde je n’envoie tout sur toi. Soit mon amie, Mélissandre, pour la dernière fois, soit ma meilleure amie. »
Et c’est ce que je fit, que Dieu me pardonnes, je me conduisit comme une véritable amie.
Fin
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