Voici mon texte pour le concours. Quand on pourra remettre des pdf, je m'y collerai.
Il est certainement limite hors-sujet et certainement peu suffisamment de qualité pour un concours, mais bon, j'ai participé.
La mise en page n'est pas top mais bon, faudra faire avec.
A défaut de pdf, un lien vers mon blog :
Âme de loup
La soirée était glaciale, la neige tombait à gros flocons et le vent faisait grincer les planches de la salle de réunion. Marche Doucement observa son public clairsemé. Il était rare que si peu de gens soient réunis pour écouter ses contes. Le mauvais temps avait du dégoûter les amateurs. Qu’importe, les personnes présentes méritaient ses histoires. Il chercha une position confortable qu’il savait ne pouvoir trouver.
— Il y a bien longtemps vivait dans un village un jeune couple. Depuis plusieurs printemps ils essayaient d’avoir un fils, mais jusque là, rien n’y avait fait. Pourtant, enfin, après tout ce temps Epi de Blé annonça à son époux qu’elle portait son enfant. Tous deux furent heureux comme peu l’avaient été avant eux. Le petit Aigle Loyal naquit au début de l’été et fit immédiatement la fierté de ses parents qui l’imaginaient déjà grand guerrier et chef de tribu.
Le gamin se révéla rapidement très curieux de son environnement. A chaque occasion, il s’éloignait de son abri pour observer, soit un insecte, soit une plante qu’il ne connaissait pas encore. Sa mère avait toujours fort à faire pour qu’il n’échappe pas à sa surveillance.
Quatre printemps passèrent et vint le temps de la fête de l’automne. Beaucoup de visiteurs venaient au village pour profiter des festivités et les réjouissances duraient tard dans la nuit.
Aigle Loyal avait eu pour la première fois l’autorisation de rester jouer avec les autres enfants de la tribu. Sous la surveillance de la vieille Parle Trop, ils profitaient de la soirée.
Epi de Blé et Arc Tendu discutaient des derniers potins avec les cousins du nord et ne s’occupaient pas de ce que pouvait faire le petit garçon.
Le vieux conteur fit une pause pour boire un peu d’eau. Les derniers temps, il avait un peu de mal à arriver au bout de ses longues soirées. Ca passerait avec l’hiver. C’était les inconvénients de l’âge. Il se rappelait l’époque où il pouvait chasser plusieurs nuits sans ressentir le moindre signe de fatigue. Parfois, il en ressentait une profonde nostalgie.
— Et il s’est passé quoi ?
Une jeune femme venait de le ramener au temps présent. Il fallait qu’il fasse attention, il avait tendance à se déconcentrer et son public n’appréciait pas. Après un sourire à la demoiselle qui l’avait interpelé, il reprit son récit.
— Aigle Loyal, comme à son accoutumée, se lassa vite des distractions qui plaisaient aux autres enfants. Il voulait voir ce qui se passait du côté des adultes mais Parle Trop l’avait à l’œil et trois fois déjà, elle l’avait empêché de s’éloigner.
Pourtant, lorsqu’une bagarre éclata, la vieille femme n’eut d’autre choix que de s’occuper des belligérants. Le gamin en profita pour s’éclipser et se diriger vers le joyeux brouhaha qui régnait au centre du village.
Après avoir passé quelques minutes à observer les danses et écouter les chansons, il se lassa aussi de cette activité. Un jeune chiot courait en tout sens non loin et il se passionna bientôt pour l’animal qui l’entraîna vers les limites du campement, puis, hors de celui-ci. Tout à son plaisir, Aigle Loyal, suivit son nouveau compagnon de jeu de plus en plus loin, pour finir par pénétrer dans la forêt. La lune et les étoiles brillaient et diffusaient leur pâle clarté. Ce qui fit que le bambin continua son avancée sans s’inquiéter.
Les enfants étaient suspendus à ses lèvres. Même avec un public aussi réduit, il éprouvait le frisson habituel, celui qui le parcourait devant leur fascination. Pour une fois, personne ne l’interrompait et il pouvait conter son histoire comme il l’entendait sans devoir répondre aux questions.
— Le chien lui faussa compagnie au bout d’un temps, alors qu’il admirait les reflets de l’astre lunaire dans une flaque d’eau. Lorsqu’il releva la tête, il comprit enfin qu’il était allé trop loin. Il était perdu.
Pendant longtemps, il marcha et courut pour essayer de retrouver son village, mais il ne réussit qu’à s’égarer encore plus. Finalement, épuisé, il se réfugia dans un arbre creux et finit par s’endormir.
Le matin le réveilla terrorisé. La forêt ne lui semblait plus du tout fascinante mais effrayante, bruissant de mille petits bruits inconnus. En pleurs, il se remit à marcher. Mais il avait beau avancer et avancer, il ne reconnaissait rien. L’après-midi, il s’aperçut qu’il avait faim, mais il ne savait pas ce qu’il pouvait grignoter. Il avait bu de l’eau dans des petites mares, ça ne lui suffisait pas. Il se sentait faible et de plus en plus désespéré.
Le jour laissa place à la nuit et puis à un autre jour. De plus en plus faible, Aigle Loyal finit par s’évanouir.
— Oh ! Et que lui est-il arrivé ?
— Il est mort ?
— Ne soyez pas si impatient.
— Il resta étendu plusieurs heures dans le froid et il serait certainement mort si une bande de loups n’était passée par là. Heureusement pour le malheureux enfant, ils étaient repus de leur dernière chasse. Ils s’approchèrent prudemment, le reniflèrent et une louve finit par se coucher tout contre le bambin égaré. Le reste du groupe s’installa tout autour.
Lorsque Aigle Loyal reprit conscience, il fut d’abord effrayé mais la vieille louve s’était mis à le lécher et un morceau de viande crue reposait devant lui. Il n’avait vraiment pas envie d’y goûter, mais la faim fut la plus forte et il le dévora.
Il avait été accepté par le clan des loups. Les jours qui suivirent n’ont pas été faciles pour lui, mais petit à petit, il s’intégra à sa nouvelle famille. Et petit à petit, il oublia son village, Epi de Blé et Arc Tendu, ses parents et tout ce qui avait fait partie de sa vie d’avant.
Neuf printemps s’écoulèrent, au village l’infortuné père n’avait eu de cesse de retrouver son fils, tandis que la belle jeune femme qu’avait été sa mère avait plongé dans le mutisme. Aigle Loyal était, lui, devenu un membre des loups. Il chassait avec eux, dormait tout contre les louves, protégeait les louveteaux et avait pris la tête de la meute.
— Il est resté un loup ?
— Vous allez bientôt le savoir.
— Un jour, lors de la poursuite d’une proie, le jeune garçon trébucha et chuta au fond d’un ravin. Ses compagnons restèrent longtemps aux abords, mais il leur était impossible de le secourir. Plusieurs heures plus tard, un groupe de guerriers passa à proximité. Intrigué par le manège des prédateurs, ils jetèrent un œil au fond du gouffre et eurent la surprise d’y découvrir un homme nu, sale et évanoui qu’ils ramenèrent au campement. Curieux, tous vinrent observer cette drôle de prise, Arc Tendu aussi. Malgré les années, malgré la crasse, il reconnut immédiatement son fils. Il le ramena chez lui et le soigna. Mais lorsque l’adolescent se réveilla, il fut envahi par la panique. Il hurla, se débattit et refusa qu’on l’approche. Il se sentait comme un loup en cage et c’est ce qu’il était.
Rien n’y fit, ni la patience, ni l’amour de ses parents, il n’acceptait pas cette nouvelle vie. Le jour, il se recroquevillait dans un coin et le soir il appelait ses pairs par de longs cris à déchirer le cœur les plus aguerris.
Marche Doucement observa les villageois réunis. Captivés par le récit, certains retenaient leurs larmes, d’autres se mouchaient discrètement alors que les hommes faisaient mine de ne pas être touchés. Rien de tel que les malheurs d’un enfant pour enthousiasmer un auditoire.
— Ils furent obligés de l’attacher en permanence car il profitait de la moindre occasion pour essayer de s’échapper. Les journées s’écoulèrent mais aucune amélioration n’apparut. Un soir, Aigle Loyal, que plus personne ne voulait appeler ainsi, à force d’efforts, réussit à se défaire de ses liens. Sa mère, épuisée par la surveillance constante qu’elle devait assumer, s’était endormie. Il en profita pour s’éclipser et disparaître dans les bois. Son seul désir était de retrouver ses frères loups, mais ceux-ci, chassés sans relâche par les guerriers de la tribu, avaient soit péri, soit disparu aussi loin que possible. L’adolescent courut longtemps à travers les arbres, s’éloignant toujours plus des êtres humains qu’il ne comprenait pas et des loups qu’il aurait tant voulu rejoindre.
Il aurait pu abandonner ses recherches mais il ne pouvait s’y résoudre. Il continua jusqu’à être totalement épuisé, jusqu’au bout de ses forces et finit par s’effondrer dans une clairière. Il aurait du mourir là, mais le Dieu-Loup prit pitié de lui et lui apparut. Il lui offrit un choix.
— Quel choix ? Il lui a rendu ses souvenirs d’avant les loups ?
— Mais non sûrement pas ! Il a du lui offrir un choix plus difficile.
— Effectivement, la décision ne fut pas évidente à prendre pour le jeune Aigle Loyal.
— Mais avant de lui parler des deux possibilités qui s’offraient à lui, le Dieu-Loup lui rendit effectivement ses souvenirs. Tout d’un coup, tout refit surface dans l’esprit du jeune homme. La douceur de sa mère, la présence rassurante de son père, les jeux avec les autres gamins ou les petits bonheurs quotidiens qu’il avait connu quand il vivait avec la tribu. La déité lui exposa enfin ses deux propositions. Il pouvait choisir de retourner auprès de ses parents, retrouver une vie d’homme sans plus aucun contact avec les loups, sans même se rappeler d’avoir vécu parmi eux. Son deuxième choix était l’inverse, retourner au sein de la meute, oublier qu’il avait été homme, devenir le loup noir, chef de tous. Que faire ? Quel choix privilégier ? Aigle Loyal était torturé. Pourquoi avait-il fallu que le Dieu-Loup lui rendent la mémoire ? Ses deux vies l’attiraient. D’un côté la sécurité de la tribu, de l’autre l’existence plus aventureuse de la meute.
Vous vous interrogez sur sa décision, mais il n’arrivait pas à en prendre une. Il y pensa pendant des jours et des jours au point d’en exaspérer le Dieu-Loup qui lui ordonna une réponse immédiate sous peine de voir s’annuler son offre. « Et bien soit, je serai un loup !… Non… Je veux être un homme… Je ne peux pas ! »
Le Dieu-Loup en colère rendit sa sentence : « Tu seras un loup, tu oublieras tout des hommes, mais ne crois pas que tu pourras profiter du plaisir d’être avec tes frères, non tu seras un animal solitaire rejeté par tous. »
Et le Dieu s’en fut. Aigle Loyal, lui, était devenu un loup. Amnésique de la tribu, mais pas de la meute, il rechercha celle-ci. Il finit par la trouver mais s’en fit chasser comme le lui avait promis le Dieu-loup.
Marche Doucement se tut et se bourra une pipe, faisant comprendre à l’assemblée que l’histoire était terminé. Mais les questions fusèrent.
— Qu’est-il devenu ?
— A-t-il réussi à retourner auprès des loups ?
— Ou auprès des hommes ?
— Oui, on veut savoir la suite.
— La suite ? Il n’y en a pas. Il est resté tel que l’avait décidé le Dieu-Loup, un animal solitaire plein de regrets conscients et inconscients.
Le public mit plusieurs minutes à se rendre compte que le vieux conteur ne dirait plus rien. Un peu déçues, les personnes présentes quittèrent la salle, emmitouflées pour affronter le vent froid du dehors.
Marche Doucement resta longtemps après eux, pensif et mélancolique. Aurait-il du leur raconter la fin d’Aigle Loyal devenu Âme de Loup. Non. C’était un de ses nombreux remords et ils n’appartenaient qu’à lui.
Il se releva, éteignit les lumières et sortit dans la nuit avec l’image d’un vieux loup noir allongé sur le sol, agonisant d’une de ses flèches.