Voilà, lecture terminée. Bien sûr, ce qui suit n'est que mon humble avis, et tu en fais ce que tu veux.
[Attention aux éventuels spoiler, pour ceux qui n'ont pas lu le texte.]
Mon sentiment final de lecteur (comme si je l'avais lu en manuscrit ou en bouquin) c'est : "mouais, bof". Le texte est bon, mais j'ai pas accroché plus que ça (de la même manière que j'accroche pas à pleins de livres publiés, donc rassure-toi). Il me restera peu de chose de cette histoire, tout comme il me reste peu de chose des
Rêves à ne pas faire, par exemple. Pour tout te dire, j'ai eu plus de plaisir à lire Dévoreuse (où il y avait des scènes mémorables, un ton mordant, de l'inventivité dans les situations et les descriptions...). Là, ça manque d'originalité. En gros, c'est une variante d'histoire d'amour impossible classique avec un tueur au grand cœur, etc. Bon, ok. Pour autant, ce texte est meilleur que Dévoreuse, d'un point de vue littéraire. L'écriture est effectivement mieux maîtrisée et plus exigeante. Dans l'ensemble (tu noteras le "dans l'ensemble") c'est bien écrit, il y a même un certain style, bravo, et c'est pro tout ça.
Points positifs :- Les 3 unités narratives : Châtiment, Destinée, et le "présent". Bonne idée, ça donne du relief tout en évitant les flashbacks intempestifs qu'on aurait eu dans un récit linéaire.
- L'écriture. Il y a vraiment de belles choses. Par exemple : "Les cierges éclatent les uns après les autres en scintillances mordorées, l'orgue monumental[e] siffle et vibre sur trois octaves d'un accord complexe qui ne fut jamais entendu par aucune oreille humaine : le chant pur de la Création." (mais perso j’enlèverais "siffle et").
- quelques scènes marquantes : le viol de la petite, les rencontres avec les déchus (t'es doué pour les descriptions dégueulasses).
- Une certaine atmosphère dans la ville fantôme.
- Un certain ton mature.
- Éventuellement les Châtiments.
- La scène avec Fred est excellente (un peu après le poisson).
- la confrontation entre l'Ombre et l'Ange, avec tout ce qu'il y a autour (principes moraux...).
- la révélation finale, même si c'est pas original (6ème sens...). Autant j'avais capté pour les Déchus dès le deuxième combat (celui qui vomit de l'acide), autant j'ai pas vu venir ce qui explique le basculement. Après coup, c'était pourtant évident, y'avait pas 36 possibilités.
Points négatifs :- L'écriture dans le détail. Si je me concentre dessus, je bute sur un truc toutes les 3 ou 4 lignes. Et puis on sent un peu trop que tu as essayé d'écrire joliment avec de belles images et expressions ; parfois ça fonctionne, parfois pas vraiment (c'est du 70/30%). Y'a des passages où tu en fais trop, par ex :
"Par delà la réalité des mondes, les arcanes insondables des abîmes et les sommets majestueux où trônent les monarques blancs, par-delà les multitudes infinies de destinées et par-delà la Mort elle-même, Richard retrouve enfin Lisa, et les paroles échangées en disent plus que la somme de leurs mots." C'est bien pompeux sur le moment !
- Peut-être un peu trop "d'effets spéciaux", comme dirait TiCi, notamment sur la fin (les blancs de pages, etc.).
- Un effet de style un peu lourd au bout d'un moment, qui revient souvent : les "répétitions/reprises/insistances". Par ex : " Toi, l'homme sans peur, tu fus terrassé, et les crocs de la peur t'attrapèrent, encore une fois : que faire ? Que dire ? Lui dire bonjour ? Lui demander l'heure ? Du feu ? Son coeur ? Lui caresser les cheveux ? Ou bien lui demander pourquoi ? Pourquoi tu ne la connais pas ? Pourquoi tu as peur comme ça ? Pourquoi ne peux-tu pas la regarder et lui parler ? Et si tu le pouvais, qu'est ce que tu lui dirais ? Pourquoi tu te sens comme ça ? Pourquoi veux-tu qu'elle soit toujours là ? Parce que... mais c'est évident. Parce que tu l'aimes." / "Elle a filée tout droit. Elle sait qu'il peut la rattraper sans effort ; c'est un professionnel, un prédateur d'humains. Elle le sait et pourtant, elle laisse faire. Elle veut qu'il la poursuive." [Et 3 lignes plus loin :] "Elle est malsaine. Elle pue. Avant, quand la ville était normale, il trouvait une certaine beauté à cette église, maintenant, elle irradie le maléfice de tout ses pores. Maintenant, elle fait peur à voir. Maintenant, elle est l'épicentre du mal, le point zéro de l'armageddon."
- Le côté sentimental du truc, point négatif assez important pour moi (point positif pour d'autres, surement). Ça fonctionne pas : trop de clichés (l'image des étoiles revient plusieurs fois), de phrases toutes faites, d'emphase, de pathos (amuuur), et souvent on est pas loin du "gnangnan". Pour être franc, j'ai trouvé les parties Destinées plutôt chiantes, longuettes, lourdes, répétitives, et je lisais en diagonale (façon de parler). A mon avis, il faudrait les retravailler d'une manière ou d'une autre (les raccourcir, ça aiderait beaucoup).
- le manque d'inventivité. L'idée de base est relativement "faible/limitée" et malgré un traitement efficace, on a plus une grosse nouvelle qu'un vrai roman (d'ailleurs la taille ne trompe pas). A une échelle différente, ça me fait penser aux romans des auteurs qui publient beaucoup, très régulièrement, et qui n'ont pas le temps de faire des trucs élaborés. M'enfin, ce sont eux qui se font du fric tu me diras.
- les scènes des Châtiments, des assassinats, qui pourraient être un peu plus réalistes, authentiques, sales (hormis celle du viol - encore que ce soit facile de pousser vers ce genre de sordide, de tabou) ... Si on compare avec des polars ou des thrillers noirs, ça manque un peu de "jus", de détails bien sentis pour qu'on y croit à cet assassin. Y'a des trucs comme le nom des flingues et les calibres, je crois, mais y'a moyen de faire mieux. Au fait, je remplacerais "stoping power" (ou je sais plus quoi) par "pouvoir d'arrêt", plus simplement.
- la scène qui suit le poisson est un peu maladroite (point de vue de Darbois qui imagine le basculement).
- autre détail : le texte pas assez aéré parfois (cf. début ch.10) ; mais bon, c'est personnel.
- enfin, y'a une fin de scène qui fait mauvais film d'action à deux balles : l'ombre qui se barre sur l'hélico avec l'échelle de corde, etc.
Voilà voilà, en gros, si ça peut aider d'une manière ou d'une autre (et si c'est pas trop tard). Donc j'ai pas spécialement accroché mais c'est un avis subjectif et si l'histoire est moyenne, c'est quand même un texte bien réalisé qui peut être présenté aux éditeurs sans problème (après les habituelles relectures qui s'imposent)
C'est vrai que t'es un écrivain, y'a pas à chier ; et c'est de mieux en mieux !