Bon ok c'est plus long que prévu et ce n'est pas que du dialogue, mais ce fut un bon exercice quand même pour lier les éléments...
L'AFFAIRE DE L'HOTEL POMPADOUR
De toutes les énigmes auxquelles Mathieu Conrad et moi-même avons été confrontés, celle de l'hôtel Pompadour est incontestablement une des plus simples.
C'était le mois de décembre 1998. Il faisait un froid paralysant et d'épaisses nappes de brumes couvraient les paysages de la Touraine. Conrad et moi étions enfermés dans notre appartement depuis une semaine pour finir le bouclage de notre dernière bande-dessinée et nous étions sacrement en retard. La cheminée avalait goulûment des stères de bois chèrement acquises et nous prodiguait en retour une douce chaleur dont il ne fallait néanmoins pas trop s'éloigner si l'on ne voulait pas attraper froid.
Mardi, pendant notre pause cigarette de 7h, on sonna. Nous accueillîmes un visiteur très essoufflé et vêtu d'un grand pardessus noir, qui se présenta sous le nom de Jacquard. Conrad lui donna une chaise et lui proposa à boire. L'autre but rapidement son cognac en reprenant son souffle, ce qui laissa à mon ami le temps d'observer l'énergumène des pieds à la tête.
– Que nous vaut l'honneur de votre visite cher monsieur ? demanda-t-il, adossé à la poutre de la cheminée.
Jacquard fixa le vide un instant avant de reprendre ses esprits.
– Un grand malheur est arrivé, Monsieur Conrad. Ma sœur m'a donné votre adresse, et je me suis permis de venir vous trouver. On dit que vous avez le chic pour résoudre les affaires curieuses, et je suis actuellement dans une belle panade !
Conrad plaça une nouvelle bûche dans le feu et vint s'asseoir à mes côtés sur notre canapé.
– Votre sœur, vous dites ? Ne serait-ce pas Mme Eglantine Duvier, la femme du docteur ?
L'autre toussa.
– Elle vous a donc parlé de moi ?
– Que nenni ! Mais les courbes de vos oreilles respectives ne trompent pas. Même courbe originale de l'hélix et petit creux semblable au niveau du lobe inférieur. Un détail enfantin pour tout observateur, dit Conrad avec lassitude. Venons en aux faits. Que vous arrive-t-il qui puisse justifier mon intervention, ou plutôt notre intervention, rajouta-t-il en me caressant du regard. Mon ami Desmond m'accompagne dans mes enquêtes, vous pouvez parler devant lui en tout confiance, ajouta-t-il en me désignant du menton.
Conrad savait comment flatter mon orgueil, et rien n'y réussissait mieux que lorsqu'il m'associait à son travail d'enquêteur.
L'homme sourit nerveusement et débuta son récit.
– Je suis le gérant de l'hôtel Pompadour, dans la rue de la Scellerie. Vous voyez le théâtre...
Conrad s'impatienta.
– Je connais Tours mon vieux ! Des faits, que diable ! Notre temps est précieux !
– Désolé ! Mais cette histoire me trouble ! Hier matin, un client aux manières originales qui avait pour seul bagage une housse de guitare m'a loué une chambre pour la nuit. Je lui ai donné sa clé et il est monté s'installer, pour ne pas reparaître de la journée. Jusque là, rien de terrible, me direz-vous. Mais durant la nuit qui suivit, sur le coup de cinq heures du matin, un horrible cri déchira le silence de l'hôtel ! Je fus réveillé en sursaut et, après avoir enfilé une robe de chambre, je suis monté à l'étage des chambres. Tous les clients étaient déjà sortis sur le palier sauf un : celui à l'étui de guitare ! J'ai essayé d'ouvrir la porte de sa chambre avec mon passe mais elle semblait bloquée de l'autre côté par un meuble, qui avait dû être poussé là pour nous en interdire l'accès. J'ai renvoyé tous mes clients dans leurs chambres pour ne pas faire d'esclandre et je suis descendu à l'accueil pour prévenir la police. Ma sœur qui était présente me conseilla d'attendre le lever du jour, et après réflexion j'ai réalisé que l'arrivée d'hommes en uniforme dans mon établissement ne serait pas le genre de publicité dont il était judicieux de bénéficier en ces temps qui courent. Les affaires sont dures vous savez et...
– Continuez votre récit, voyons ! le coupa vivement Conrad, qui semblait intéressé par le témoignage de l'hôtelier.
– Oui ! Donc ! Ma sœur Eglantine me conseilla de venir vous trouver, et me voilà.
Conrad alluma une cigarette et se leva pour attiser le feu.
– Pouvez-vous nous décrire l'homme en question ?
– Un type aux cheveux longs avec une barbe de quelques jours, et des boucles d'oreilles en argent je crois. Je n'ai pas vu ses yeux car il avait des lunettes à verres fumés. Il était habillé comme un motard, vous voyez le genre, avec du cuir et des pins, style Johnny Hallyday !
– Êtes-vous vraiment sûr qu'il n'est pas sorti pendant la nuit ?
– Je ne pourrais pas le jurer mais je pense que non.
– Avez-vous entendu un seul cri ?
– Un seul ! C'est certain ! Plusieurs témoins pourront le confirmer.
Conrad se détourna de la cheminée et me lança ma veste.
– En route, Desmond, allons inspecter les lieux !
Jacquard sourit de toutes ses dents et se leva tout en nous proposant des cigares qu'il cachait dans un petit étui.
– Tenez, Messieurs, servez-vous, et merci d'avance. Avez-vous déjà votre idée sur l'affaire ? demanda-t-il à mon ami qui enfilait son écharpe rouge.
– Je préfère vérifier mes hypothèses avant de les partager. En route messieurs !
Plongés dans la brume matinale, nous arrivâmes devant l'hôtel Pompadour qui se trouvait à seulement quelques rues de notre appartement. Conrad demanda à Jacquard de lui indiquer la fenêtre de la chambre en question, et il l'examina pendant une longue minute. Il avait sur ses traits cette expression de concentration nerveuse qu'il arborait dès qu'il commençait à suivre le bon fil d'une énigme. Nous le suivîmes à l'intérieur et nous fûmes surpris de le voir se dévêtir. Il posa son manteau et son écharpe sur un fauteuil et, après avoir observé le sol du hall avec attention, il ressortit dans la rue glaciale, vêtu de son pull.
– Conrad, vous allez attraper la mort ! lui lançai-je en me rappelant sa pneumonie de l'an passé.
Mais déjà il avait commencé à escalader la gouttière, tel un grand singe dégingandé.
– Ma parole, mais il va se briser le cou ! s'indigna l'hôtelier qui déjà s'inquiétait du cocasse numéro pratiqué devant son enseigne à la vue des passants déjà forts nombreux en cette heure matinale.
– N'ayez crainte, Jacquard, lança Conrad qui déjà s'était hissé au niveau du premier étage. Je retombe toujours sur mes deux pattes !
Il atteignit la fameuse fenêtre du deuxième et la poussa de la main. Elle s'ouvrit côté chambre et Conrad siffla.
– Vous pouvez me rejoindre en haut, messieurs, nous dit-il tout en sortant de sa poche son couteau à cran d'arrêt.
– Il y a du danger ? lui lançai-je d'en bas.
– On verra bien !
Puis il disparut dans la chambre.
Jacquard et moi montâmes sur le palier du deuxième étage et attendîmes avec impatience que notre alpiniste nous ouvre. Un lourd grincement retentit et je compris qu'il déplaçait le meuble qui obstruait la porte. Il nous ouvrit, le visage sombre et grave.
– Vous pouvez appeler la police, Jacquard, un meurtre a bien été commis dans cette chambre, annonça-t-il avec emphase.
L'autre blêmit et bouscula Conrad pour pénétrer dans la chambre. Il poussa un cri de surprise en découvrant sur le sol le cadavre d'un homme qu'on avait égorgé. Jacquard devint livide. Quant à moi, j'avoue que la vue du sang m'a toujours perturbé, surtout celui des autres. Je restais donc sur le palier.
– Ce n'est pas lui, Conrad ! explosa-t-il soudain avec excitation. Ce n'est pas mon client !
– C'est évident ! répondit calmement Conrad. Desmond, descendez à l'accueil et appelez les forces de l'ordre. Jacquard, j'ai quelques questions à vous poser. Mais sortons de cette pièce avant que vous ne tourniez de l'œil., de plus vous piétinez d'éventuelles preuves.
Toujours sous le choc, Jacquard regarda ses pieds puis sortit, suivi par mon ami.
Les deux hommes sortirent et Conrad tendit à l'hôtelier sa petite flasque de Whisky. Jacquard en but une gorgée et reprit quelques couleurs.
– C'est déjà mieux !
– Merci à vous, dit Jacquard en rendant la flasque.
– Avez-vous une autre clé de la porte d'entrée ?
– Oui, elle est rangée dans mon bureau, à l'accueil.
– Très bien. Je vous remercie. La police ne devrait pas tarder.
L'inspecteur barbier arriva avec trois agents, et nous pûmes voir sur son visage affable qu'il était bien heureux de nous trouver sur les lieues.
– Ah ça ! Conrad et Desmond ! La belle affaire ! Déjà résolue je présume ?
Conrad serra la grosse main de Barbier et salua les trois agents.
– Messieurs ! déclama-t-il, exagérément solennel. C'est une affaire on ne peut plus simple que vous avez là ! Je me ferai un plaisir de vous conseiller dans vos recherches,. Sur ce, dit-il en attrapant sa veste et son écharpe, moi et mon ami avons du pain sur la planche.
Barbier retint mon ami.
– Allez, Conrad, deux ou trois tuyaux pour nous faire gagner du temps !
L'autre rigola de bon cœur.
– Un peu de nerf, Barbier ! Je vous ai dit que cette affaire était simple comme bonjour ! Je passerai cette après-midi au poste pour faire ma déposition, et nous discuterons des tenants de l'énigme, qui n'en est pas une, je vous le concède !
Nous rentrâmes chez nous et je dois dire que j'étais très curieux de connaître la clé de l'histoire. Conrad raviva les braises et mit à bouillir de l'eau chaude pour un thé. Il s'alluma une cigarette et s'adossa au mur de la cuisine.
– Votre théorie, Desmond ?
Je m'allongeai dans mon fauteuil et je fixai le plafond pour trouver l'inspiration.
– J'ai peine à réfléchir quand je sais que vous tenez tous les bons fils dans votre poche ! m'excusai-je. Allez Conrad, dites-moi tout !
Il rit en sortant des tasses et des cuillères.
– Encore une fois, vous me décevez, mon ami !
Il servit le thé et m'expliqua tout.
– Vous me reprochez souvent de m'abîmer la rétine sur internet. Vous avez sûrement raison, mais le web est un fabuleux vivier d'infos en tout genre. C'est sur un de ces sites de news qu'avant-hier soir je fit une lecture très intéressante. Une vente aux enchères d'objets personnels du guitariste Jimi Hendrix avait eu lieu samedi soir à Paris, au cours de laquelle un médiator en ivoire avait été volé avant le début de la séance. Les soupçons se sont très vite portés sur un homme habillé comme une star de rock qui se baladait avec un étui à guitare dans les coulisses. Cheveux longs, boucles d'oreilles et badges sur la veste. J'ai tout de suite fait le rapprochement avec notre homme.
La suite : l'hôtelier Jacquard nous a affirmé avoir entendu un cri horrible. Or, vous serez d'accord avec moi si je vous dis qu'un tel hurlement a plus de chances de se produire si au moins deux personnes sont présentes. Donc voici mon cheminement d'idée : notre voleur rockeur avait rendez-vous avec quelqu'un dans sa chambre, un receleur ou peut-être un complice. La suite de l'enquête nous le dira. J'ai repéré dans la chambre deux types de traces de pas, que j'ai retrouvés dans le hall de l'hôtel. Comme vous vous en souvenez sûrement, il pleuvait des cordes avant-hier soir, donc le complice n'a pas pu escalader la gouttière qui devait être ruisselante d'eau. Il est donc naturellement passé par la porte d'entrée. Comment, me direz-vous, puisque Jacquard ferme tous les soirs son hôtel ? C''est simple : notre voleur est tout simplement sorti de sa chambre en pleine nuit, a fouillé le tableau de la réception et a dû finir par trouver le double qui ouvrait la porte d'entrée. Il a fait rentrer son complice et ils sont montés à pas de loups dans la chambre. Là, pour une raison que nous ne pouvons déterminer, ils se sont disputés et en sont venus aux mains. L'organisation au sol des traces de pas atteste que bagarre il y eut. Malheureusement, l'affaire s'est plutôt mal terminée pour le complice et il a juste eu le temps de pousser un macabre hurlement avant d'être assassiné. Comme vous l'avez deviné, notre voleur a rapidement déplacé la commode de la chambre pour bloquer la porte d'entrée, avant de fuir par la gouttière à ses risques et périls. Enfantin non ?
Il avait raison, c'était évident. Mais soudain, une étincelle de jugeote sembla me traverser.
– Et le médiator ?
– Il est évident que le voleur l'avait caché quelque part dans la chambre.
– Ah ! Pour quelle raison ?
– A mon avis il avait quelques doutes sur la fiabilité de son complice et il devait s'attendre à ce qu'il y ait du vilain ! Tant qu'à se faire rosser, autant que l'autre ne trouve pas le médiator. Malheureusement, le sort a frappé le complice et non le voleur.
– Si j'ai bien compris, le coquin court toujours avec ce satané médiator ?
Conrad rit malicieusement et me fit un clin d'œil tout en aspirant avec bruit le fond de sa tasse de thé.
Le téléphone sonna et il répondit.
– Conrad et Desmond, j'écoute ?
– Oui, c'est Barbier à l'appareil. J'ai une bonne nouvelle, nous avons élucidé toute l'affaire, donc nous n'aurons pas besoin de vos services !
– Toute l'affaire ?
– Pardon ?
– Vous avez élucidé toute l'affaire ?
L'autre bredouilla au bout du fil.
– Il nous manque juste un élément.
– Le médiator ?
Barbier hoqueta de surprise !
– Comment...?
– Jetez un coup d'œil au bidet, inspecteur, vous y trouverez votre bonheur.
On entendit dans le haut-parleur Barbier qui transmettait le renseignement à ses agents, qui très vite confirmèrent les dires de Conrad. Barbier balbutia quelques remerciements à contrecœur et raccrocha après avoir donné rendez-vous à Conrad pour sa déposition.
Mon ami reposa le combiné sur son socle en secouant la tête.
– Eh bien ! Ces policiers tourangeaux ne sont pas encore tout à fait au point à ce que je vois, me dit-il avec ironie.
– Mais comment avez-vous su pour le médiator ?
– J'ai remarqué des traces de pas dans la salle de bain. Or, l'état de surface de l'émail du lavabo et du bidet ainsi que les savonnettes et les serviettes inutilisées me confirmèrent que notre homme n'était pas venu y faire sa toilette. J'ai promené ma main un peu partout derrière les colonnes et les tuyaux, et dans le fameux bidet j'ai découvert le médiator, que j'ai eu la présence d'esprit de laisser en place.
– Mais pour quelle raison le voleur ne l'a-t-il pas emporté avec lui ?
– Desmond, vous parlez avant de réfléchir ! Rappelez-vous que le complice a poussé un cri qui a réveillé tout l'hôtel ! Notre voleur rockeur a dû paniquer en voyant la situation déraper ainsi et, après avoir déplacé la commode, des pas et des appels dans le couloir lui ont fait oublier le principal, ce qui atteste d'un évident manque de sang-froid. Une petite frappe, qui sera bientôt arrêtée, j'en suis sûr.
– Tout est clair Conrad !
– Très clair !
– Je crois qu'on a une bande-dessinée à finir, non ?
– Je mets une bûche dans l'âtre et je suis à vous ! Je vous ressers un peu de thé ?
FIN
ps : merci à Mo pour ces corrections à la désherbeuse !!
ps2 : mardi 21 déc à 16h45 : mise à jour du texte