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Le siège de l’UNSA (United Nations Space Agency) avait lieu domicile dans une tour de cent étages de Houston au Texas. Lors des premières grandes récessions américaines dans les années 2080, les programmes spatiaux ambitieux n’arrivaient plus à se développer. C’est ainsi que l’UNSA était née. L’Agence, sous l’égide de l’ONU, regroupait et coordonnait les diverses agences gouvernementales comme la NASA ou l’ESA. Au final cette simple coordination était devenue, par la force des choses, une consolidation.
Les agences spatiales européennes, chinoises, russes et américaines avaient donc disparu depuis plus de vingt ans. Chaque pays avait rangé son orgueil pour accepter le fait qu’il fallait se regrouper pour assurer la survie des missions d’exploration. Mais malgré l’entente de façade, il existait toujours des tensions entre les quatre anciens leaders de la conquête spatiale.
L’autorité de l’UNSA n’était toutefois pas contestée. A coup de milliards d’euros l’Agence s’était faite sa réputation. Les premiers programmes habités vers Mars avaient été lancés avec succès. On ne pouvait pas parler de colonisation, mais de stations scientifiques permanentes. Elles fonctionnaient à plein régime depuis les années 2100.
Forte de plusieurs autres succès, l’Agence qui n’avait que quelques locaux au siège de l’ONU à New-York, s’était faite construire une tour de verre et d’acier au centre de Houston. L’immeuble majestueux s’élevait tel un phare vers le ciel, les reflets rouges du soleil léchant ses vitres miroir. Tout autour de l’édifice, les tout récentes automobiles volantes tournoyaient tels un essaim d’insectes.
Dans une de ces voitures, on trouvait Arnold Pichery, un commandant respecté de cargos spatiaux. Il avait voué toute sa vie à la conquête de l’espace. Dès son plus jeune âge, il avait entrepris de faire une carrière de pilote de chasse et ainsi caresser le rêve de s’envoler hors de la stratosphère. Après avoir monté les échelons au sein de l’armée de l’air européenne, il effectua son premier vol spatial en 2115, à l’âge de 35 ans.
Depuis, il faisait la navette à bord de vaisseaux cargo entre la Terre et Mars ou entre la Terre et les stations spatiales orbitales. Il transportait fréquemment des tonnes de marchandises et des dizaines de passagers. Il était une pointure, un pilier de l’Agence. Jamais un défaut de vol, et encore moins un accident.
A bord de sa voiture Toyota volante il naviguait au dessus de la ville avec aisance. Bien que les premiers modèles de véhicules volants furent homologués depuis moins de deux ans, l’UNSA avait prévu un garage approprié au sommet de la tour. Devant les yeux du commandant Pichery, les grandes portes coulissantes de ce garage s’ouvraient, à trois cent mètres de haut. Après un vol d’attente stationnaire, il s’enfourna dans les locaux de l’Agence.
Aujourd’hui, il avait rendez-vous avec le directeur de l’Agence, le redouté Yalong Sithi.
Quelques minutes après avoir garé sa Toyota, le commandant Pichery se retrouvait devant les portes de la salle de staff. Le scanner rétinien avait détecté son identité et les deux portes coulissèrent pour le laisser entrer.
Le directeur, un petit Asiatique en costume gris, attendait debout derrière une immense table ronde. Les grandes baies vitrées laissaient le soleil inonder la pièce d’une lumière intense. Tout autour de la table ronde, une vingtaine de fauteuils pouvait accueillir le personnel. A cette heure, seul Arnold Pichery et Yalong Sithi était arrivés.
Le commandant de cargos spatiaux réajusta son uniforme bleu en faisant sauter ses épaules.
- Bonjour Yalong, lança le commandant à son supérieur.
- Comment vas-tu Arnold ? Le voyage n’était pas trop éprouvant ?
- Le voyage s’est bien passé, je te remercie. Je suis parti ce matin de Roissy Charles-De-Gaulle sur un avion de l’armée. J’ai pu louer une de ces nouvelles Toyota volantes à Kennedy Airport. Grâce à mon brevet de pilote, je n’ai pas eu besoin de justifier un permis de conduire aérien.
- Oui. J’ai acheté un de ces nouveaux véhicules récemment, un BMW. Mais comme je n’ai pas le permis aérien, je suis encore obligé de traîner ce tas de ferrailles sur le bitume ! Je ne suis qu’un vermisseau rampant !
- Non, tu es un serpent à sonnettes ! répliqua le commandant sur le ton de l’humour.
Yalong Sithi s’esclaffa avant d’inviter Arnold Pichery à s’asseoir en face de lui.
- Comment se passent vos essais sur simulateurs ? questionna le directeur.
- Fort bien. Les autres commandants partageront aussi mon opinion. Nous serons prêts à embarquer dans les délais convenus. Nous pourrons ainsi déclarer la mission « Discovery » officiellement en phase 2.
- Ne mets pas la charrue avant les bœufs s’il-te-plait. Certains vaisseaux NovaGeo ont des retards de fabrication. Il nous faut terminer l’achèvement de ceux-ci auparavant, il nous faut d’abord terminer la phase 1.
- Je parie que se sont les Russes qui sont en retard, hasarda le commandant Pichery.
- Et bien non. Le centre de Baïkonour annonce au contraire qu’il pourra livrer son NovaGeo d’ici quelques jours. Celui des Chinois est aussi dans les temps.
- Et le mien ?
- Le NovaGeo européen sera prêt dans moins d’un mois. J’imagine que tu es allé récemment en Guyane...
Depuis plus d’un siècle, les Européens ne lançaient pas leurs engins depuis le vieux continent, mais depuis la base de Kourou en Guyane. A titre d’essai, des bases de lancement offshore avaient été installées en Atlantique, au large du Portugal. Mais ces plates-formes marines ne permettaient que l’envoi de lanceurs primitifs, des fusées simples. Pour les cargos à destination de Mars, on utilisait des bases de lancement stables et vastes. La Guyane offrait l’espace nécessaire. Kourou était donc le port d’attache du commandant Arnold Pichery.
- Je ne suis pas allé à Kourou depuis mon dernier voyage pour Mars il y a un an, déclara le commandant. Les simulateurs sont en France. Je n’ai jamais eu besoin de revenir en Guyane.
- C’est vrai, c’est vrai… Et ça t’arrange bien, non ? Tu habites bien Versailles? C’est pas très loin de Grenoble et des simulateurs…
- Oui, il me faut une heure et demi de vol avec ma Peugeot porte-à-porte. Revenons aux retards de fabrication. Si les Européens, les Russes et les Chinois sont dans les temps, alors ce sont les Américains qui sont en retard ?
- C’est exact. Les américains ont fait l’erreur d’installer leur chantier à proximité de Dallas. Et tu connais la situation du Texas.
- Hélas oui… Les Mexicains y ont émigrés…
Suite au réchauffement de la planète, les eaux avaient montés considérablement. Le Mexique avait en un siècle perdu la moitié de sa superficie sous la mer. De ce fait d’importants mouvements de populations étaient apparus. Arnold Pichery était assez préoccupé par le problème des migrations. Tous ces malheureux devant vivre dans les bidonvilles sordides, sans climatisation, à la merci des rayons ultra-violets… Rien que d’y penser, ça lui retournait le cœur.
- Ne soit pas si émotif, lança le directeur de l’UNSA. Ces Latinos sont des parasites qui s’infiltrent partout sur le chantier. Quand ils ne volent pas les rations des ouvriers, ils essaient d’entrer clandestinement sur le NovaGeo.
- Ils quoi ?! demanda Arnold Pichery avec stupéfaction.
- Ils veulent devenir des passagers clandestins de la mission « Discovery ». D’après ce que je sais, depuis quelques mois une rumeur a été lancée. Tous les habitants des bidonvilles pensent que NovaGeo est vaisseau d’exode pour les populations riches.
- Ils pensent que nous allons quitter la Terre pour la fuir ?
- Oui, c’est ça. Pour eux, les VIP vont benner notre bonne vieille Terre aux ordures. Après le ramassage des poubelles, les NovaGeo seraient les derniers lieux de vie.
- Et Mars ? C’est notre plus belle avancée !
- Ils voient bien que Mars n’est qu’à son balbutiement. Les premières colonies se font encore attendre. D’après les Mexicains, il existerait une planète viable dans un système solaire proche.
- Ce qui est vrai. La mission « Discovery » y fera d’ailleurs une halte et y implantera deux stations scientifiques.
- Vas leur faire comprendre que vous partez uniquement dans un but scientifique ! C’est d’autant plus difficile à dire que vous ne reviendrez jamais sur Terre.
La mission « Discovery » était plus qu’une mission de longue durée. Il s’agissait d’une mission éternelle. Les vols scientifiques inhabités, pilotés par des robots, avaient montré leurs faiblesses. Le but était de créer quatre vaisseaux gigantesques, des villes volantes. On y vivrait comme sur Terre et même mieux. Les scientifiques et l’équipage vivraient, se reproduiraient et mourraient à bord. Tous les passagers en avaient conscience. Seuls les personnes ayant été psychologiquement testées avaient l’autorisation de participer.
- C’est un problème de communication, dit Pichery. Il faut que tu fasses plus d’informations à la télévision, etc.
- Tu parles ! J’ai tout essayé ! Même le largage de tracts sur les bidonvilles !
- Avec ces mois passés à m’entraîner sur le simulateur, j’ai perdu de vue les évènements et l’actualité.
- Je vois ça. Bref. J’ai trouvé la parade, mais il m’a fallu beaucoup de ressources. Les fonds privés sont venus compléter l’enveloppe globale.
- Avec comme contrepartie, des places à bord.
- Non, évidemment non. J’ai fait miroité à tous ces investisseurs que nous allions leur donner les premières retombées scientifiques exploitables industriellement.
- Tu as menti.
- Non, j’ai bluffé. Les affaires sont un poker ! Et je suis le maître du jeu.
Arnold Pichery soupira en se laissant glisser dans son fauteuil.
- Alors quelle est cette parade ? demanda le commandant.
- Je tire à vue.
- Tu tires à vue ? Tu es dingue !
- J’ai embauché plus des vigiles. Et, le plus fort, c’est que j’ai aussi des drones. Mais pas n’importe quel drone, des drones militaires avec des canons mitrailleurs.
- Tu es monstrueux ! Tu tues des personnes désespérées…
- Arrête, tu veux ? Rien ne les oblige à s’introduire sur le chantier. Ils sont prévenus. Considère les interventions des drones comme de la légitime défense.
Le commandant Pichery était atterré, ainsi l’Agence était devenue une meurtrière. Ca le dégoûtait d’en faire partie.
- Crois-moi Arnold, dit Yalong Sithi, j’ai tout essayé.
A ce moment, les portes de la salle s’ouvrirent, une plantureuse jeune femme en uniforme entra d’un pas pressé. Elle était suivie par un homme qui portait aussi un uniforme. Ce dernier avait le regard qui rasait la terre. Il semblait honteux.
- Que vous arrive-t-il ? demanda le commandant Pichery.
- J’ai prêté ma moto à ce crétin ! dit la femme en désignant l’homme qui la suivait.
- Et ? demanda Arnold en lui faisant signe de continuer.
- Pendant qu’il prenait du bon temps à Dallas avec sa poufiasse, il se l’est fait voler par un Mexicain!
- Ce n’est pas grave capitaine, dit le commandant en haussant les épaules. Dans peu de temps, nous quitterons la Terre.
- Oui, dit la femme. Mais en attendant, l’ordinateur de bord disposait d’un laisser passer général. Il faut prévenir le chantier de Dallas pour qu’il y annule toutes mes habilitations !
- Je vais prévenir Dallas. Je vais le demander de suite, annonça le directeur.