La mort de Dieu. Genèse.

Au commencement, Dieu créa les cieux infinis et les abysses monstrueuses. La terre était informe et vide : des ombres rôdaient dans les profondeurs tandis que les esprits se mouvaient sournoisement à la surface de l’eau. Dieu dit : que la Lumière soit ! Mais la terre resta désespérément sombre. Dieu réitéra sa commande, et cette fois-ci la Lumière fut : elle fut, diffuse et faible, et Dieu soulagé put proclamer un matin et un soir, un jour de peines et une nuit d’angoisses; ce fut le premier jour. Dévoré par la vision obsédante des eaux noirâtres et mauvaises, Dieu voulut les cacher à sa vue, et pour ce faire créa l’étendue du ciel; une fois soulagé par ce début d’isolement, il s’endormit. Ainsi, il y eut un matin et un soir : ce fut le deuxième jour. Dieu vit que malgré le ciel qu’il avait lancé autour de la terre, les flots demeuraient malfaisants et insondables; alors Dieu dit : Que les eaux qui sont au-dessous du ciel se rassemblent en un seul lieu, et que le sec paraisse. Fébrilement, Dieu appela le sec terre et appela les remous aqueux, furieux de ce mauvais tour, mers. Puis, dans la continuité, Dieu dit : Que la terre se couvre de vergetures, d’arbres fruitiers piégés et de mauvaises herbes qui portent en elles leur semence selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon. Ainsi, il y eut un soir moins pesant, et un matin : ce fut le troisième jour.

Quand Dieu se leva, au quatrième jour, une sourde appréhension le reprenait : une nuit par jour était encore bien trop. Alors Dieu entreprit de placer des luminaires dans les cieux, gigantesques examens de conscience, minuscules lanternes illuminant un monde balbutiant : Dieu les voulut marqueurs de temps, de présence et de sécurité, afin de contempler leurs reflets sur les clapotis opaques des immenses étendues d’eau qu’il surplombait. Il plaça les deux grands luminaires, un pour le jour, un pour la nuit. Et Dieu vit un monde constamment éclairé, et Dieu vit que cela était bon. Ainsi, il y eut un soir moins peureux, et un matin plus radieux : ce fut le quatrième jour. Dieu voulut un monde vivant, animé, qui éloignerait de lui le phantasme obsédant des gouffres abyssaux; alors il tenta de les peupler, et dit : Que les eaux produisent en abondance des animaux vivants, et que des oiseaux survolent l’étendue de la terre. Dieu créa les grands poissons ainsi que les oiseaux de toute sorte, mais son entreprise ne connut pas le succès espéré : rapidement, les eaux produisirent ces espèces en abondance, mais mal-formées, maléfiques et furtives. Elles prirent refuge dans les fosses les plus profondes, et échappèrent au regard du Créateur. Pris de sueurs froides, celui-ci alla se coucher pour un coma cauchemardesque. Il y eut un soir à l’odeur de défaite, et un matin : ce fut le cinquième jour.

Enfin, abandonnant son projet pour les mers, Dieu dit : Que la terre produise des animaux selon leur espèce, bétail, reptiles et animaux terrestres, et ce afin de contrecarrer les étendues obscures en lisière du monde. Dieu vit que cela était bon, et décida d’aller plus loin. Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, peureux et couard, assujetti à son imagination et à ses craintes les plus secrètes; donnons lui le pouvoir de modifier le monde et l’oeuvre de ma Nature, afin qu’il domine les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et le bétail sur la terre. Dieu donna à tout un chacun de l’herbe à manger. Mais les monstres sous-marins commencèrent à aborder les rivages et à ramper sur les grèves, à dévorer les hommes ou à les emporter dans leurs antres au delà de l’imagination. Alors les hommes coururent se réfugier dans les montagnes, en attendant des jours plus cléments. Ils brisèrent les interdits qui leur avaient été faits, et dévorèrent les animaux en lieu et place de l’herbe, se dénudèrent et s’accouplèrent dans un couplet bestial, une longue mélodie de détresse et d’abandon destinée à repousser au loin les longues nuits d’angoisse. Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et vit l’horreur qui en résultait. Ainsi, il y eut un soir taché de sang et de terreur, et un matin mal défini : ce fut le sixième jour. Ainsi furent achevés les cieux et la terre, et la cohorte de leurs désillusions.

Au septième jour, les hommes se réveillèrent éberlués, dans un silence quasi-infernal : plus aucune activité n’émanait de Dieu, le monde s’était tu. Dieu acheva au septième jour son oeuvre, qu’il avait faite : et il se suicida, au septième jour, son corps dégringolant en marches invisibles, jusqu’à être absorbé par les eaux ricanant, impavides et impénétrables. Les hommes bénirent le septième jour, et ils le sanctifièrent, parce qu’en ce jour ils étaient débarrassés de celui dont l’imagination délirante avait donné naissance à cette béance noire dans l’univers; ils se reposèrent de toute son oeuvre.