LEPTINOTARSA DECEMLINEATA
Regardez cet homme : Le regard fier, l’allure débonnaire, gratifiant chaque homme qu’il croise d’un bonjour tonitruant ou d’une vigoureuse tape dans le dos. Observez-le bien, cet homme est un vainqueur. Cet homme a fait fi de la fatalité pour s’imposer. Cet homme, c’est Robert Mc Queen, le roi de la patate. Ce millionnaire jovial est né dans une ferme du Kentucky en 1929 et croyez moi à cette époque c’etait pas tous les jours dimanche. Deux ans plus tôt son père avait décidé de faire fructifier les maigres bénéfices de la famille en boursicotant un peu sur les conseils d’un ami. En 1929, patatrac ! Le petit Bob ne connut jamais son géniteur, ce dernier s’étant pendu à la poutre maîtresse de la grange. Franchement , devenir un magnat de la pomme de terre en naissant l’année du crack de Wall street, faut avoir un sacré tempérament ! A dix ans, il travaillait déjà aussi dur que ses frères aînés dans les champs tout en étant premier de la classe, à 16, il quittait l’école à contre cœur pour devenir gérant de l’exploitation familiale. Dans les années qui suivirent, son sens inné des affaires, son charisme, sa manière de mener les hommes firent rapidement de lui une véritable légende dans la région. En 1954, il épouse Janett Parker qui lui donnera 4 beaux garçons mais surtout l’exploitation de pommes de terre la plus prospère de l’Etat. Il n’en faudra pas plus pour faire de lui l’Empereur de la frite. Le petit Bob devenu grand sera toujours à la pointe de l’innovation. Contrat d’exclusivité avec une grande chaîne de fast food, lancement de produits révolutionnaires ( les chips en sachets sous vide, c’est lui !) et expansion dans le monde entier. Et maintenant regardez -le il pourrait passer pour un plouc avec son énorme bedaine, son stetson blanc vissé sur la tête et sa moustache grisonnante en guidon de vélo, et bien non ! tout le monde le vénère, tout le monde l’adule et surtout tout le monde le craint car outre ce superbe produit de l’American Way of live, Robert Mc Queen est avant tout une ordure de première. On ne compte plus le nombre de pauvres types qu’il a écrasé pour arriver au sommet (les chips en sachets sous vide, c’est pas lui !), le nombre de pots de vin qu’il a distribué et le nombre de manipulations dont il a été capable pour obtenir la pomme de terre la plus belle, la plus ronde, la plus commercialisable. Entendez par manipulations d’obscurs tripatouillages tant chimiques que génétiques. Si vous avez déjà été malade en bouffant ses frites, ne vous étonnez plus. Mc Queen est un avide, Mc Queen est un pervers. Il s’intéresse à tout ce qui est rentable. Il tutoît Bill Gates et l’appelle « Fiston ». Vous le verriez surfer sur le net à son âge… D’ailleurs, ça fait longtemps qu’il devrait être à la retraite. Et bien non, il s’accroche, il est là et il n’est pas près de partir, le bougre.
Pour l’heure, il traverse à grandes enjambés le hall de son laboratoire Hyper-moderne, et tout le monde s’incline devant lui. Il est content, il est souriant car il va voir sa « beauté ». Elle s’appelle Lisa, elle est blonde comme les blés et elle pèse 2 tonnes cinq. Lisa est une pomme de terre dernière génération. Avec ses sœurs juste un peu moins grosses, elle dort dans un hangar high tech au quatrième sous sol, à cinquante mètres sous terre. Et de la terre, cette patate là n’en a pas besoin. Elle est directement nourrie par un mélange subtil de produits dont l’inventaire vous ferait froid dans le dos. Mc Queen appelle l’ascenseur, ne salue pas le pauvre liftier tremblant de peur et s’engouffre dans la cabine pour rejoindre sa belle. Le hangar est faiblement éclairé pour ne pas nuire à la croissance des légumes mais l’homme se dirige sans difficultés vers Lisa. Lorsqu’il entend du bruit, il force l’allure tout en entrant dans une rage folle. Personne n’ a le droit d’être là quand il visite ses protégées. « J’avais dit … » Il n’a pas le temps de finir sa phrase, le monstre se jette sur lui.
« Alors docteur, demande l’inspecteur encore blême, c’était quoi ce putain de monstre ? Il a bouffé le gros et n’a laissé que sa montre et ses os bien nettoyés. Il a du crever d’indigestion ! Putain c’est quoi ce bordel ? C ‘est énorme ! »
« Bah, c’est pas un monstre. C’est un LEPTINOTARSA DECEMLINEATA. »
« Un quoi ? »
« Un doryphore. »