Bonjour et bonnes fêtes à tous
Je souhaitais vous poster ici le bébut d'une longue nouvelle (presque une novellas) que j'ai écrite l'année dernière. Il s'agit en fait d'une version trés personelle de "La Reine des Neiges" d'H.C. Andersen.
En fait, j'ai travaillé chacune des sept histoires qui composent le conte originel (Que vous pouvez lire ici: http://www.chez.com/feeclochette/Andersen/lareine.htm ) et à partir des éléments qui m'inspiraient de ces histoires, j'en ai reconstruit l'histoire, en la tirant du coté de la fantasy et des légendes. Je me suis permis de la transposer au moyen-âge et de faire vieillir de quelques années les héros. Gerda et Kay, qui sont des enfants chez Andersen, sont chez moi des adolescents (Mais les adolescents, au moyen-age, étaient en fait de jeunes adultes!)
La "morale" d'Andersen est aussi complétement changée, fonction de mes obsessions...
Je ne mettrai bien sûr pas toute l'histoire qui fait près de 28 pages de Word avec un interligne simple. ( Sauf si d'un coup plein de gens viennent sur le site en criant "La suite! La suite! "...On peut rêver!
)
Voici juste les deux premiers chapitres, mais j'aimerai quand même bien avoir votre avis...
La novella est
en intégalité dans le PDF, cliquez sur l'image:
CONTE D'HIVERI
Miroir brisé
Le ciel était blanc et de longues troupes d’oiseaux y passaient, très bas. Ils survolaient à peine l’église et le son de la cloche les mit en fuite : les vêpres sonnaient. Déjà la douzième heure ! Elle arrivait si vite en ces jours sombres ! Par contre les heures de nuit étaient interminables et on les savait peuplées par les morts, par le petit peuple qu’il ne fallait surtout pas déranger, et par le démon lui-même, qu’on pouvait rencontrer sous la forme d’un chat noir aux yeux brillants.
Heureusement Gerda vivait en ville, on s’y sentait plus en sécurité la nuit que dans le chaos des campagnes. Dans son quartier, elle connaissait tous les commerçants, les artisans, les hommes du guet qui la saluaient à leur passage. Et puis ces jours-ci, les rues étaient décorées de branchages, de pommes et de rubans. Le lendemain serait célébré, dans l’église illuminée pour l’occasion, la naissance de l’espoir. L’enfant Jésus, lumière qui renaît dans nos ténèbres.
L’atmosphère s’assombrissait et les commerçants rangeaient leurs marchandises avant de rabattre le panneau de bois qui fermait les échoppes. Gerda remonta son manteau et ramena le capuchon sur sa bouche. Kay vint vers elle. Il avait enroulé la pointe de son chaperon autour de son coup, à la manière des bourgeois.
- Gerda ! Ca y est, j’en ai une !
Discrètement, il lui montra une pierre plate, percée d‘un trou. Elle était reliée à son poignet par une ficelle. Puis il la fit disparaître dans sa manche.
- Comment t’es-tu donc procuré une pierre à fées ? Ce n’est pas facile de trouver une pierre naturellement percée, même en cherchant !
- La vieille de la rivière…Dit Kay en baissant la voix.
- Tu es allé voir la vieille de la rivière ? Et toi, que lui as-tu donné?
La vieille était une sorcière et Kay n’avait pas les moyens de la payer…On disait qu’elle demandait des choses honteuses aux jeunes gens en échange de ses services…
- J’ai payé le prix demandé ! Et je l’aurai pour demain. Demain est la nuit des mères !
- Kay, demain est la nuit de la Nativité! Tu ne vas pas venir à la messe avec nous ?
Par Dieu ! C’est si dangereux de se promener dehors cette nuit-là, pour le corps autant que pour l’âme !
- Je ne risquerai rien, la pierre à fées me protège des maléfices ! Et puis toi tu prieras pour moi pendant ce temps alors, qu’est-ce que je risque ?
Les yeux verts de Gerda suppliaient :
- Ne fait pas ça, Kay, je t’en prie !
- Je te raconterai tout le lendemain, et tu seras émerveillée par ce que j’aurais pu contempler !
Mathilde, la sœur de Gerda, apparut à la porte de leur maison :
- Gerda ! Rentre, la nuit tombe !
Mathilde avait dix huit ans et vivait au domicile avec son mari et ses trois enfants, qu’elle surveillait tout en attisant le foyer. Gerda ôta son manteau et vint se réchauffer auprès du feu
- Evite donc de te montrer avec ce possédé de Kay ! Gronda Mathilde. Tu as seize ans, il est grand temps de songer à te marier, non ? Ce n’est certes pas avec lui que feras bonnes épousailles ! Mais t’exposer avec Kay agrippé à ton surcot fera de plus fuir les hommes ! A moins que tu ne veuilles être moniale ? Alors il te faudrait aussi renoncer à le fréquenter !
- Non, je ne veux pas épouser Kay ! Je le connais depuis notre age le plus tendre. Dieu nous a accordés la vie alors que bien d’autres mouraient et il est comme un frère adulte, pour moi qui n’a que des frères enfants. Mais ce n’est pas un possédé ! Il a des passions qui ne sont pas les vôtres…Il a soif de connaissance.
- Alors qu’il se fasse clerc ! Et non pas marchand de légumes, comme son père ! Ils ne sont pas pauvres, mais s’il reprend le commerce, que vont-ils devenir ?
Kay était bizarre, en effet, on disait même qu’il allait rencontrer des juifs dans leur quartier, non pas pour emprunter de l’argent, mais pour parler avec leurs prêtres. C’est que certains de ces juifs étaient des sortes de mages…Et discuter avec eux, pour certain chrétiens, équivalait à faire son catéchisme chez le diable.
Mathilde frotta ses yeux qui piquaient à cause de la fumée et se planta devant sa sœur.
- Tu te souviens de l’histoire que racontait l’aïeule, la mère de notre mère ? De puissants sorciers avaient créé un miroir magique, qui révélait à chacun ses démons, faisait surgir les passions les plus inavouables, les aspirations les plus troubles. Ceux qui regardaient dans ce miroir ne pouvaient plus ignorer les enfers qu’ils portaient en eux et les diables affreux qui les peuplaient…Les gens les plus honnêtes et pieux se trouvaient horrifiés de ce qu’ils apercevaient en leur cœur. Et les sorciers triomphaient. Un jour passa dans le pays l’armée d’un roi d’orient, qui portait en tête leur relique: un portrait du Christ peint à son époque, avec Lui comme modèle. Cet icône était donc l’image fidèle de Notre Seigneur. Les sorciers alors se réjouirent ! « Il serait plaisant de voir ce que donne la rencontre de notre miroir et du nazaréen ! A-t-il lui-même des secrets inavouables ? » Mais lorsqu’il le placèrent devant l’image, le miroir explosa en des milliers de morceaux, plus ou moins gros, qui volèrent dans tout l’univers…
- Je connais l’histoire, dit Gerda. Et je sais bien pourquoi tu me la racontes.
- Chaque morceau du miroir, même le plus petit, avait conservé le pouvoir du miroir tout entier, et ceux qui en reçoivent un éclat sont livrés aux démons. Ces gens-là ont des idées bizarres, des mœurs bizarres. Ces sont ceux-là qui hurlent à la lune ou dansent la nuit, ou vont chez les juifs, ou sortent de la ville pour trouver les bois hantés par les fées et les nains.
- Tu ne le connais pas bien, Kay n’a rien de diabolique.
Quelques instants plus tard, dans le lit qu’elle partageait avec ses deux sœurs cadettes, Gerda repensait à Kay, aux risques qu’il allait prendre la nuit de Noël, à ses bizarreries…Mais jamais elle n’accepterait qu’on le traite de possédé. Kay leur faisait peur parce qu’il connaissait des choses qu’ils ignoraient, et pas à cause d’un bout de miroir satanique.
Le froid envahissait la pièce très vite après que les braises du foyer avaient été couvertes, elle enfouit sa tête sous la couverture. Elle entendait dehors des bruits de pas et des cliquetis d’armes, le guet passait dans la rue. C’est souvent à ce son rassurant qu’elle s’endormait, mais cette fois elle pensa au mariage. Aux mouvements, aux soupirs qui lui parvenaient quelquefois du lit de ses parents, où de celui de Mathilde et son mari (mais pas en ce temps de l’Avent). Et encore à Kay. Et à la nuit traversée de corbeaux…
II
Chasse nocturne
Le soir d’avant Noël, Kay était sorti de la ville avant la fermeture des portes. Maintenant que la nuit était tombée, il se tenait pelotonné au pied d’un gros arbre, recouvert de son manteau. La fourrure de mouton à l’intérieur le protégeait bien du froid, mais il n’en menait pas large. Son enthousiasme avait disparu dès qu’il s’était retrouvé seul dans le noir, à l’orée de la forêt, un peu en retrait du chemin où, disait-on, la chasse nocturne passait la nuit de la nativité. Ce n’était pas le calme relatif de la ville à ces heures là. Une grande variété de bruits trouait les ténèbres, aucun de rassurant. Cris d’oiseaux inconnus, mouvements qui froissent l’herbe…Mais où exactement ? La pierre à fée le protégeait du petit peuple, mais pas des loups ou des brigands. Il n’avait qu’un bâton pour se défendre et de toute façon il était seul et jeune, ni noble ni paysan, sans expérience du combat. Une fois de plus il se demandait s’il ne serait pas plus sage de faire demi-tour, et d’aller frapper aux portes de la ville, toutes proches. Peut être les soldats lui permettraient-ils d’entrer par une porte dérobée…Mais la nuit changeait.
Elle avait prit une luminosité pâle, comme si la pleine lune s’était levée. Pourtant le ciel était couvert. Et de nouveaux bruits avaient fait cesser les autres. Des sons de cors, des galops de chevaux et des aboiements. Maintenant Kay voyait aussi bien qu’en plein jour les grands chiens qui surgissaient sur la route, des races élancées utilisées pour la chasse, d’un étrange poil blanc. Ils ne laissaient ni ombre ni trace de leur passage. Des sonneurs de cor sur des chevaux gris suivaient, dont Kay ne distinguait pas le visage, des corbeaux volaient en bandes au dessus du chemin. Les premiers chevaliers en armure apparurent. Le garçon remarqua juste l’aspect usé de leurs cuirasses, la végétation et la mousse qui les couvraient, et les cornes de cerf qui ornaient leurs heaumes. Il cacha sa tête sous son manteau lorsqu’il vit celui qui chevauchait au milieu d’eux, sur une monture blanche.
- « Lorsque le Grand Veneur arrivera, ne regarde pas ! » lui avait dit la vieille de la rivière. Il exerce une telle fascination que l’on en oublie toute prudence. Nul ne sait s’il le verra comme le plus beau des rêves ou le pire des cauchemars. Mais aucun mortel ne peut lui survivre, même avec une pierre à fée !
La forêt toute entière s’agitait. Les arbres se balançaient en craquant, des centaines d’ailes battaient l’air, des sifflements le traversaient. Un grognement se fit entendre, tout près de lui. Sans réfléchir il écarta un peu le manteau qui le couvrait…Un des chiens blancs était là et l’observait. Ses yeux étaient rouges, remplis d’un feu qui n’était pas terrestre…pourtant le regard n’était pas celui, inexpressif, d’un animal, mais bien d’un être doué d’intelligence. Paralysé de terreur, Kay le vit bondir et s’éloigner…La pierre à fée était efficace !
Le bruit prenait des proportions formidables. Aux hennissements, frappes de sabots, chocs de pièces métalliques se joignaient des voix masculines qui hurlaient des mots que le garçon ne comprenait pas. Et puis des cris sauvages, certains gutturaux, et d’autres, aigus, qui glaçaient le sang. Kay n’avait plus aucune envie d’être ici, il aurait aimé se réveiller dans son lit, se dire qu’il avait fait un bien vilain rêve et pour une fois être content d’aller aider son père à vendre ses légumes. Il finit par se rendre compte que le vacarme diminuait, s’éloignait. Petit à petit, les sons grinçants avaient été remplacés par un chant harmonieux qu’entonnaient des voix de femmes.
Kay sortit la tête de sous son manteau. L’air était plus vif et des mouches blanches de plus en plus nombreuses voletaient autour de lui. La neige…Sur le chemin maintenant couraient des cerfs, des biches, des sangliers, tous aussi blancs. C’était signe qu’Elle arrivait. C’était pour elle qu’il avait pris ces risques. Pour apercevoir le passage de La Dame Blanche, La Reine des Neiges et son cortège merveilleux. Les gens qu’il aimait fréquenter, ceux qu’on appelait sorciers ou possédés, lui avaient parlé de la beauté de cette créature mystérieuse, et de l’aura qui s’en dégageait.
Un type d’attelage inconnu de Kay arrivait. Comme une sorte de chariot tiré par des cerfs immaculés, mais il n’avait pas de roue et glissait sur le sol qui se couvrait de neige à son approche. Il était fait d’un bois clair travaillé, sculpté d’arabesques et incrusté de saphirs. La femme qui le conduisait était entièrement blanche. Blanche la fourrure qui la vêtait. Blancs ses longs cheveux que parcouraient des colliers de perles, les divisant en mèches épaisses. Blancs son visage, aussi beau que celui de la vierge qui fascinait Kay à l’église. Caché derrière son arbre, le visage à peine émergé de son manteau, il se croyait invisible et l’aurait été à un humain. Mais le chariot s’immobilisa à sa hauteur et La Dame se tourna vers lui. Elle semblait l’attendre. Kay s’était relevé sous la neige. Face à elle, il n’éprouvait aucune crainte, juste un sentiment de calme et de beauté. Aussi, quand La Dame Blanche lui fit un geste amical, il se dirigea en toute confiance vers l’attelage. Les animaux qui l’entouraient s’étaient figés sur le chemin, sans un mouvement de frayeur à l’approche du jeune homme. Il pouvait à présent détailler de La Dame. Chaque trait de sa face semblait trouver la place qui convenait pour entrer en résonance avec les autres. Non, la Vierge Marie ne devait pas être plus belle.
- Ote là ton talisman, dit-elle. Tu ne pourrais me suivre avec.
Kay laissa tomber la pierre à fée sur le sol et saisit la main que la Dame lui tendait. Elle l’attira contre elle.
- Tu es glacé. Viens te réchauffer.
Elle entrouvrit sa fourrure et le fit se glisser dedans. Sous la pelisse blanche elle portait une robe rouge. Elle posa sa bouche sur celle de Kay, et il eut la sensation de perdre conscience, de sombrer dans un gouffre noir, juste un instant. Le moment d’après il était merveilleusement bien, il n’avait plus froid. Il regardait La Dame et ses yeux bleus transparents lui rappelèrent les yeux verts de Gerda. Oui, là bas, très loin, il avait un père, une mère, une amie d’enfance qui se nommait…Il ne savait déjà plus trop comment. La Reine des Neiges l’embrassa à nouveau. Cette fois il ne se souvenait plus de rien mais n’en éprouvait aucun regret.
- Tu n’auras pas d’autre baiser, dit La Dame, car tu en mourrais…
Il s’abandonnait à l’étrange chariot qui avait repris sa course à travers la nuit blanche et noire. Derrière lui, le passé était noyé de brouillard. L’avenir était inconnu. Le cortège allait plus vite que le plus rapide des coursiers et les paysages défilaient, changeaient. Le monde tournoyait autour d’eux…
Il ouvrit les yeux, le lendemain, dans une chambre immaculée. Un flot de lumière entrait par une grande fenêtre, à l’est. Il remarqua tout d’abord qu’elle était garnie de carreaux de verre bleus, comme il n’en avait vu qu’aux maisons des plus riches, ou comme les vitraux des églises. Il n’avait jamais couché dans un lit si moelleux et en déduisit que ça devait être ça, une couche de plumes!
A coté de lui, le corps lisse et blanc de La Reine des Neiges glissa vers le sien…