Les premiers signes du combat - ou plutôt du massacre - qui se préparait apparurent lorsque s'abattit sur la capitale l'ombre menaçante des éclaireurs de la flotte terrienne. Étrange convergence d'évènements inattendus, un parfait inconnu se présenta aux portes de la cité ce jour-là. Un humanoïde, peut-être même un terrien d'après ses étranges attributs. Il se disait porteur d'un message pour le Chancelier de la plus haute importance, mais les gardes du palais l'interceptèrent avant qu'il n'ai pu en franchir le seuil et on l'enferma dans un des cachots du sous-sol, car tous craignirent que ce fut là un espion ou un soldat en embuscade chargé d'une mission bien spécifique - peut-être assassiner N'Ayan ou quelque autre perfidie de ce genre-là.
Cela se passa très vite et si bien que l'humain ne peut jamais délivrer son message, quel qu'il fut.
Les généraux étaient de toutes façons bien trop occupés à mettre au point leur plan de bataille (forcément dérisoire) pour se soucier de ce que le "traître" pouvait avoir à dire...
Ainsi, ce qui aurait pu figurer comme une guerre - mais n'était en réalité qu'un holocauste à venir - débuta et les échos destructeurs des premières salves résonnèrent bientôt dans tout Neolyn. Serait-ce là la fin d'un peuple ou le début d'une nouvelle ère pour eux?
Penché sur la fenêtre de son appartement royal, le Chancelier scrutait la folie qui s'emparait à présent de ses sujets, en contrebas. La cité était frappée de plein fouet par les attaques dévastatrices de l'ennemi : les obus auto-guidés, les missiles à radar thermiques et autres lasers nucléaires s'abattaient sur la ville, tandis que des familles entières fuyaient en tous sens sous leur assauts répétés, telle une fourmilière affolée dans laquelle on aurait donné un violent coup de pied.
Certains étaient carbonisés sur place et quelques secondes plus tard, une meute de villageois paniqués enjambaient et écrasaient leurs corps, devenus totalement incontrôlables sous l'effet de la peur. D'autres s'entre-tuaient littéralement pour avoir accès aux abris les moins exposés aux tirs, frappés par un accès de démence qui gagnait peu à peu toute la ville et ses alentours. Enfants morts, objets ménagers calcinés et
larges flaques de sang jonchaient le sol, théâtre imprévu de ce sinistre spectacle...
Une véritable vision d'horreur qui allait sans cesse en s'aggravant.
Accablé et complètement désespéré, le Chancelier entama alors le chant le plus poignant, le plus triste et mélancolique qu'aucune gorge à Neolyn n'entonna. Ce n'était pas un chant de guerre, car ils n'avaient jamais connu la guerre...non, c'était un chant évoquant des choses d'antan, des choses belles et perdues, celles que l'on regrette et craint de devoir se séparer, des individus qu'on a jadis aimé et oublié dans le lente érosion du temps. Un chant qui aurait pu être une ode à la tristesse et au chagrin, que les descendants de N'Ayan s'étaient transmis de génération en génération sans en connaître pour autant l'origine exacte.
Mais assurément, ce chant prenait sa source dans la perte et l'amertume...
"Il n'y a à présent plus présent plus d'espoir pour Neolyn, c'est
la fin..." murmura-t-il douloureusement et cette funeste constatation lui laissait comme un goût de sang et de mort dans la bouche.
Une dernière fois, il jeta un regard embué de larmes à la fenêtre et accorda son ultime bénédiction à son peuple, puis s'en retourna à son holo-sphère pour organiser les défenses du palais, lorsque l'ennemi serait à ses portes...
C'est à ce moment précis, alors qu'il regagnait son bureau d'une démarche digne - peut-être le dernier mouvement digne de sa "jeune" existence - qu'un garde pénétra hâtivement dans la pièce. Derrière lui, une horde de gardes vociférant rugissaient en le poursuivant; aussi chercha-t-il des yeux le commutateur de la porte pour en bloquer les mécanismes.
Quelques secondes plus tard, un concert de poings frappés et d'imprécations étouffées se firent entendre de l'autre coté, mais la porte resta fermée et le garde en parut soulagé.
Puis, il s'avança de quelques pas trébuchants vers le Chancelier et se courba devant lui.
Ce dernier le scruta d'un air curieux, le visage traversé par une grimace de stupeur qui aurait pu paraître amusante en d'autres occasions.
-Expliquez-vous, officier, dit-il. Que signifie donc cette tumulte?
L'autre garda le silence pendant quelques instants, fixant le Chancelier avec un mélange de curiosité et d'admiration. Malgré son apparence, sa triple paire de bras et sa peau grisâtre, il le fixait comme quelqun regarderait un Neolynien pour la toute première fois. Puis, sous les yeux effarés de N'Ayan, le corps de son invité de fortune se changea en un claquement de doigt, pour se transformer en quelque chose n'ayant plus rien à voir. Les différentes paires de bras se rentrèrent en elles-même, la couleur de sa peau se modifia et son visage prit un aspect totalement insolite, loin des canons esthétiques de Neolyn. Il n'en avait vu qu'à de rares reprises dans des holo-projections de mauvaise qualité mais aucun doute n'était permis : il s'agissait bien d'un humain.
-Ne prenez pas peur, altesse, annonça-t-il avant que celui-ci n'aie eu le temps de faire le moindre geste. Je ne suis pas un allié de ces lâches qui vous assaillent. Je ne suis ni de votre camp ni du leur, mais on m'a chargé de vous remettre un message.
-Je n'ai pas peur, je suis
simplement surpris, "humain"... Que me voulez-vous et
quelle est la raison de votre venue en ces lieux?
Alors, l'homme fit tomber à ses pieds un sac de toile d'où s'échappa
plusieurs tintements de métal, puis il fit de nouveau face au Chancelier.
-Accompagnez-moi, il nous reste peu de temps.
Et ils s'enfoncèrent tous deux dans la succession de hauts corridors du palais royal, à la recherche du secours providentiel que l'intrus avait été chargé de lui apporter...
***
Deux jours plus tard, les débris fumants du dernier croiseur terrien s'écrasa sur Neolyn, mettant fin à un conflit qui semblait pourtant perdu d'avance. Dehors, les gens criaient, hurlaient et pleuraient leurs joies, créant instantanément de nouvelles chansons à la gloire de leurs guerriers, sur le bonheur d'être en vie et la jouissance de la victoire, même si les morts innombrables étaient un lourd tribut à porter. Il faudrait probablement plusieurs dizaines d'années pour panser les villes de leurs blessures, reconstruire les édifices et faire le deuil de ces nombreuses vies perdues, mais il faudrait immanquablement en passer par là pour faire de nouveau de
Neolyn une nation stable et prospère...
Comment et par quels moyens ils triomphèrent de ce conflit, cela n'appartient pas à cette histoire, mais d'autres points marquants méritent néanmoins d'être évoqués.
Ainsi, lorsque la bataille faisait encore rage dans le ciel Neolynien, les agents infiltrés sur Omi essayaient de mettre à jour le terrible complot duquel ils étaient victime, mais par manque de temps et d'effectifs
ils échouèrent et ils ne purent empêcher l'attaque des batraciens sur Mars. Cependant, la délégation martienne comprit rapidement la teneur de la situation et au plus gros de la bataille, les espions au service du Chancelier réussirent à communiquer avec ces derniers et à établir la supercherie que les Omigons avaient monté contre eux (aussi bien les terriens que les habitants de Neolyn). Une bonne partie des forces terriennes sur la planète rouge fut éradiquée, mais les derniers survivants et les troupes en retrait sur la Terre décidèrent dès lors de s'allier avec Neolyn - après leur avoir présenté leurs plus plates excuses - et la puissance de feu de ces derniers fut suffisante pour souffler toute résistance Omigon.
A dater de ces périodes
de troubles et de guerres, une puissante et noble amitié
naquit entre les peuples terriens et neolyniens et jamais jusqu'à
ce jour elle ne fut démentie. On raconte que les liens formés
au-delà sang et de la traîtrise sont les plus puissants
et les plus durables...
De fait, un consulat terrien avait été crée sur Neolyn et vice-versa.
Une fois par an, les représentants les plus éminents des deux nations se rendaient mutuellement visite et de nombreux échanges (aussi bien politiques, culturels que marchands) se faisaient alors. Neolyn était devenue une planète respectée aussi bien dans son système qu'au-delà de ses frontières et devint rapidement une terre d'exil pour tous les gens recherchant une vie simple, heureuse et sans histoires.
Quelques heures après la victoire, le Chancelier s'entretint longuement avec l'étranger qu'il pouvait considérer à juste titre comme leur sauveur à tous. Une immense gratitude se lisait dans son egard mais aussi un sentiment de respect vis-à-vis de cette créature étonnante et informe à ses yeux mais
qui en d'autres lieux était pourtant l'incarnation même de la normalité.
A travers la fenêtre grande ouverte, le soleil dardait ses éblouissants rayons dans la pièce et se réfléchissait sur tous les verres et métaux de l'appartement.
-Noble humain, je ne sais pas qui vous êtes ni d'où vous venez, mais je vous serais éternellement redev...
-Oh, arrêtons là les remerciements! le coupa-t-il. Ce n'est pas vraiment de mon ressort, mais je suis heureux d'avoir pu vous aider, quel qu'ai été mon rôle à jouer là-dedans.
-Ne dites pas de sottises, lui répondit N'Ayan en le transperçant du regard. Vous savez...il y a une vieille prophétie qui annonce...
-J'en ai entendu parler et si vous voulez mon avis : je m'en contrefous royalement, avec tout le respect que je vous dois.
Le Chancelier regarda à nouveau l'humain d'un air intrigué et légèrement
amusé.
-Si vous le dites, jeune homme.
Un long silence, apaisé et exempt de toute animosité s'installa entre les deux hommes.
Puis, l'humain aux curieux habits de vagabond annonça qu'il devait s'en aller vers d'autres hasardeuses missions et commença à s'éloigner vers la porte.
-Avant de partir, dit-il en se retournant, j'ai néanmoins un message, un document à vous remettre.
-N'était-ce pas ce que vous étiez censés venu faire en vous présentant à moi la première fois?
-Oui, mais ce n'était qu'une partie du message, alors que ceci...
Il sortit d'une de ses poches un parchemin roulé, portant encore le bout de ficelle et le sceau avec lesquels on l'avait protégé.
Il demanda à son hôte de ne poser aucune question et de n'ouvrir le parchemin qu'une fois après qu'il ait lui-même quitté les
lieux. Curieuses recommandations, mais après l'incommensurable service rendu au peuple Neolyn, cet humain bizarrement accoutré et mal rasé pouvait bien s'accorder ce petit caprice...
Ainsi, le Chancelier attendit patiemment que l'autre ait quitté les lieux et il s'octroya même plusieurs minutes de méditation - songeant à tout ce que son pays avait subi ces derniers jours, par quel chanceux hasard il s'était sorti du gouffre - avant de revenir au parchemin.
Lorsque finalement, il ouvrit celui-ci avec des mains rendues fébriles par l'appréhension et la curiosité, il fut subjugué et émerveillé à la fois par le "trésor" que celui-ci renfermait : l'encre était sèche, bien évidemment, mais à la façon dont elle reflétait la lumière sur la papier, d'après l'état du parchemin lui-même et le fait qu'il était encore scellé lorsque l'humain le lui remit, il pouvait juger que le texte ne devait pas avoir été écrit il y a plus de deuxou trois jours de cela.
Couchées sur le papyrus dans un dialecte ancien de la tradition Neolyn, probablement de la main d'un sage de longue lignée, se trouvaient sous ses yeux ébahis les paroles du chant mélancolique qu'il avait lui-même entonné il y avait quelques jours de cela, traversant ainsi les ans et les âges par l'entremise de cet inattendu sauveur...
Le boucle du temps venaitde se refermer sur lui.
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P.S: Désolé pour la mise en page foireuse, mais j'ai pas eu le courage de tout retaper...
Si vous avez le courage d'aller jusqu'au bout...eh bien, dites-moi ce que vous en pensez!
Merci à vous.