Voilà je n'avais encore mis aucune nouvelle en ligne(honte à moi
) c'est maintenant chose faite.
Trop de bruit
Noah Volin s’éveilla en sursaut.
Il avait le sommeil léger et quelque chose venait de le troubler. D’après le bruit c’était sûrement un pétard. Probablement des gamins qui s’amusaient dans la rue. Il tourna la tête vers la gauche et remarqua que sa fenêtre était fermée de plus il habitait dans un appartement au huitième étage ; il n’aurait pas pu être capable d’entendre des pétards venant de l’extérieur. Il réalisait tout cela quand il réentendit le même bruit. Et encore. Et encore. A intervalles régulières et rapides. En plus le son semblait s’amplifier. Noah commença à s’affoler et tourna la tête dans tous les sens. Son regard se posa sur son réveil-matin.
L’horloge n’était pas à quartz mais à aiguilles. Et il se rendit compte très vite que la fréquence des coups résonnants dans son crâne coïncidait le mouvement de l’aiguille des secondes. Il se dit que c’était le hasard mais l’évidence s’imposa après deux autres explosions assourdissantes ; il entendait les battements de la trotteuse de manière anormale. Quoique anormale… n’ayons pas peur des mots, c’était plutôt complètement flippant.
Bon il avait trouvé l’origine du problème mais pas le moyen de le résoudre. Et le brui ne cessait d’augmenter ce qui commençait à lui donner la migraine. Alors sans réfléchir—peut-être était-ce un instinct primaire de survie ou une idée soufflée par Dieu en personne—il poussa.
Comme s’il se trouvait sur le trône. Sauf que ce n’eût pas l’effet habituel. Au lieu d’un bel étron, il sentit une sorte de bulle dont le centre partait de son cerveau qui gonflait. Il pensa furtivement à ces types qui s’enfilaient des ballons gonflables sur la tête (ou des capotes parfois) et soufflaient ensuite de l’air par le nez jusqu’à ce qu’ils éclatent. Il pouvait presque percevoir cette forme se mouvoir puis se diriger vers le haut et traverser le plafond de sa chambre. Et surtout, il n’entendait plus ces percussions horribles.
Il n’entendait plus rien d’ailleurs.
Puis il expérimenta une drôle de sensation. C’était comme changer de station de radio mais sans les grésillements, interférences ou tout autre élément désagréable. Et le son revint. Noah reconnut la chanson Across The Universe des Beatles et il comprit relativement vite que son ouïe s’était déplacée dans l’appartement de la voisine du haut.
Il prit alors quelques instants pour réfléchir à sa situation présente. Son sens auditif avait brutalement décidé de voler de ses propres ailes. Des oreilles qui volent ; l’image de Dumbo lui vint à l’esprit et il se surprit à sourire. Peut-être que l’on pouvait trouver quelque chose de comique là dedans maintenant mais ça l’était beaucoup moins il y a quelques secondes.
Ecrasé par le temps dites-vous ? Non, non, implosé plutôt !
Il ne savait pas pourquoi mais il avait de plus en plus de mal à avancer dans ses réflexions. Il se passait quelque chose.
La chanson ! Elle était plus forte qu’au début. Et cela empirait, comme pour l’aiguille des secondes.
Le simple souvenir de la trotteuse terrorisa Noah. Mais le fit réagir tout aussitôt. Il poussa de la même manière que la première fois. Cette foi-ci la bulle se distordit et bien qu’il ne pouvait plus en voir l’extrémité, il sentait qu’elle se dirigeait vers l’immeuble situé de l’autre côté de la rue. L’adaptation d’une source de son à une autre passa quasiment inaperçue. Contrairement à la fois précédent le laps de silence fut trop court pour être enregistrable par le cerveau du jeune homme. Une fois les Beatles réduits au silence, Noah entendit—pouvait-on seulement encore utiliser le terme d’entendre—des gémissements. D’abord ceux brefs et aigus d’une femme puis les plus longs et rauques d’un homme. Pas de doute, il était tombé sur un couple en train de s’envoyer en l’air.
Noah ne se serait pas privé de quelques instants à jouer les petits vicieux sauf que le son augmentait toujours. Il poussa au moment où la femme lança un hurlement de plaisir certainement du à un orgasme foudroyant.
Alors commença une incroyable excursion dans le monde du son. Il écoutait quelque chose et dès que le bruit devenait insupportable—ce qui arrivait toujours au bout de quelques secondes, parfois une minute—il poussait.
Parfois il tombait sur des émissions télévisées, d’autres fois sur une mère en train de chanter une berceuse à son enfant. Il arriva dans une salle de concert où jouait un groupe mexicain hilarant, puis au sommet d’un arbre d’où était audible la musique du vent caressant les branchages.
Et tant d’autres sons dont il ne parvenait pas à définir l’origine. Mais ne dit-on pas que peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. Car il s’enivrait réellement de tout ceci, jamais il n’avait éprouvé une telle sensation d’extase.
A présent, il était obligé de rester continuellement à l’état de poussée tellement le son augmentait à une vitesse faramineuse. Mais cela ne le gênait pas vu le pouvoir qu’il sentait en lui.
Immensément grisant.
Toute l’énergie de son corps fusionnait vers ce nouveau sens qu’il était désormais devenu impossible de nommer ouïe, pas humainement tout du moins. Il ne reconnaissait plus aucun son maintenant, ils défilaient trop rapidement. Son corps était en transe totale, il transpirait à grosses gouttes, de la bave coulait de son menton mais il n’en était plus conscient. Et les ondes sonores s’enchaînaient jusqu’à ne plus produire qu’un unique son ; à la foi doux et strident, grave et aigu. Un son qui gardait la même intensité extraordinaire et Noah qui poussait de plus en plus fort quand…
blocage total !
Il ne s’en rendit pas compte instantanément car le son ne changea pas tout de suite mais au bout de deux ou trois secondes, il du se rendre à l’évidence ; le bruit amplifiait de nouveau. Et lui il était vidé, la moindre parcelle de son corps avait épuisé jusqu’à la plus petite étincelle d’énergie. Tous les muscles de son corps lui faisaient penser à des poissons échoués sur le sable.
Tout à coup ce fut l’effet élastique ; l’extrémité de sa balle auditive revenait vers lui à une vitesse fulgurante.
Etrangement les sons étaient bien moins agréables qu’à l’aller. Il y eut un ivrogne en train de dégueuler son mauvais vin, une vieille femme en pleine crise de diarrhée, un punk défoncé ne connaissant pas la subtile différence entre chanter et beugler, une adolescente se faisant violer à l’arrière d’une voiture.
Et le volume sonore continuait à augmenter. Si Noah avait écouté tout ceci avec ses oreilles, disons physiques, il serait déjà mort, les tympans en sang.
Le paroxysme fut atteint lorsque la bulle rentra en lui. Les battements de son cœur, ses poumons se gonflant et se dégonflant, le sang coulant dans ses veines.
Son organisme. Cette cacophonie hurlante. Plus fort, encore plus fort. Il voulait que cela stoppe. C’était trop bruyant, tellement bruyant que son corps était secoué de spasmes violents. A y regarder de plus près sa peau vibrait de l’intérieur. Il sombrait peu à peu dans la folie. Ca devait cesser, même la mort était préférable. Mais elle ne semblait pas vouloir l’accueillir.
Et alors il eut un dernier éclair de lucidité.
Il hurla !
…plus de bruit
…plus rien du tout