LE MANOIR DU FANTASTIQUE
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LE MANOIR DU FANTASTIQUE

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sniz
Sangsue mort-vivante
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sniz


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MessageSujet: Message subliminal   Message subliminal EmptySam 1 Sep 2007 - 10:18

Ressorts : rêve, liberté et anticonformisme, manipulation de masse, recherche du jumeau




Dans la pénombre tamisée de son salon, il sombre lentement dans le sommeil. Il vient d’éteindre son télécran, et la silhouette rectangulaire reste imprimée sur sa rétine, comme une image résiduelle. Sa conscience du monde sensible se laisse sereinement glisser vers le néant. Il se laisse aller à la bienheureuse sensation d’apaisement et de liberté que lui procure ce lent effondrement de la dictature qu’impose la réalité du monde à l’activité de son esprit.
Progressivement, l’illusion de sa personne se délite, son être se retranche au cœur de ses mécanismes, renoue avec ses instincts les plus profonds et s’engloutit dans un microcosme aux règles souterrainement organiques dont les racines plongent à travers les âges pour rejoindre les formes les plus élémentaires de la vie. Cependant, quelque part au cœur des structures d’interconnexions de ses neurones, un étage encore créatif produit une dernière représentation cosmique de sa conscience : un éther infiniment sombre peuplé d’étoiles microscopiques.


Le dormeur n’est plus qu’un îlot volcanique baigné dans un océan primitif sur le rivage duquel vient rouler périodiquement le flot de sa respiration.


Au bout d’un temps indéterminable, les circonvolutions qui parcourent paresseusement ses réseaux neuronaux commencent à se réorganiser. Des complexes informationnels se construisent autour des données de sa mémoire. Petit à petit, des structures d’analyse se mettent en place pour simuler l’activité des fonctions sensorielles. Bientôt, une monumentale organisation va s’ériger d’elle-même, ouvrir des milliards de voies de communication pour atteindre, manipuler, agencer, combiner et structurer chacun des innombrables résidus de souvenirs qui sont emmagasinés dans les champs d’alvéoles de sa mémoire, puis construire élément par élément un univers fictif dans lequel évoluera son moi ressuscité mais inconscient de l’illusion.


Noir total.


Il ouvre les yeux. A travers la fenêtre qui découpe les ténèbres en face de lui, un rayonnement fascinant véhiculant la bienveillance d’une puissance sourdement pandémique diffuse jusqu’à lui.


Tout est calme.


Tout est simple.


Peu à peu, son attention est captée par de sympathiques flottements qui ondoient nonchalamment dans le faisceau lumineux.


Et pendant quelques instants il s’abandonne à la contemplation béate de cette présence rassurante sans remarquer les excroissances rayonnantes qui, imperceptiblement, s‘allongent, grossissent, et s’insinuent autour du rectangle.


La lumière gagne en intensité.


Rapidement, il est forcé de tourner la tête pour éviter d’être ébloui. C’est alors qu’il découvre les tentacules livides qui s’avancent vers lui. Il se souvient. Dans un éclair de lucidité, la peur l’arrache à sa torpeur, il bondit et détale pour tenter d’échapper au spectre grouillant qui se fait à chaque seconde plus volumineux et plus menaçant. Mais la quantité phénoménale d’énergie qu’il dépense dans sa course ne suffit pas à l'extraire de l’engourdissement qui s’est emparé de lui, ralentissant dangereusement sa progression, comme s’il se mouvait dans un liquide sardoniquement visqueux.


Sur le sol, sa silhouette déformée et torturée, sur laquelle fond impitoyablement une filandreuse masse vivipare, rampe frénétiquement et lutte contre l’impitoyable inertie qui l’empale sur place. Paniqué, il risque un œil en arrière et s’aperçoit que les tentacules blancs ne sont plus qu’à quelques centimètres. Mais il est déjà trop tard. Il sent que, derrière lui, son pied refuse de se soulever du sol puis, à la fois happé vers la lumière et entraîné par son élan, il perd l’équilibre, chute en avant pour s’en aller rejoindre l’écrasement de son ombre.


Il essaie immédiatement de se relever mais constate avec une terreur démente qu’il est déjà cloué au sol. Dans un sursaut incontrôlé, il se débat encore, vainement : ses articulations sont immobilisées par la gelée vitreuse mais ferme qui s’empare méthodiquement de lui. Il sent le fluide glacé pénétrer sous ses vêtements, glisser sur sa peau, recouvrir ses jambes, remonter sur son dos vers la nuque, puis pénétrer en lui par sa bouche, ses narines, ses oreilles, son anus, ses yeux, son urètre. Un violent orchestre joue une partition stridente sur chacun de ses sens javellisés pendant que la substance se répand dans ses tissus, prenant progressivement le contrôle de ses membres, corrodant son estomac et ses intestins, décomposant les cavités pulmonaires, et remontant le long de sa moelle épinière pour s’engouffrer dans son cerveau.


Désarticulé, il s’effondre, physiquement inerte. Mais sa lutte désespérée se poursuit à l’étage symbolique : une confrontation échiquéenne oppose les mécanismes fondamentaux de son être à ceux que l’entité a déjà perverti à son service. Celle-ci gagne en puissance à mesure qu’elle infecte les bastions fonctionnels de son esprit et remonte avec une précision mécanique la hiérarchie des priorités de son entendement, en utilisant les souvenirs administrés par les niveaux qu’elle contamine pour saper la résistance des forteresses plus élevées : dans un ouragan d’impressions, ce qui reste de lui revit à une vitesse déraisonnée des scènes depuis longtemps enfouies. Le vieux clochard lui remet son livre. Il entend les sirènes et les aboiements des chiens. Terrifié, alors que ses yeux, ses oreilles et ses boyaux grincent effroyablement, il revoit dans un délire infernal les couloirs éblouissants, les durs infirmiers en blouse blanche, la porte lugubre de la salle 101, les appareils, les outils, les seringues, les… stop.


Silence total.


Tout est simple.


Tout est blanc.


Rien n’a jamais existé avant cet instant. La tempête est totalement oubliée. Il vient de renaître. Il ne s’est jamais senti aussi bien. En fait, il ne sent rien. Cet agréable sentiment qu’on s’occupe de tout lui rappelle diffusément un abandon enfantin et il renverse doucement la tête en arrière. Une nuée de flocons noirs dans laquelle une légère brise crée de sympathiques volutes descend lentement vers lui.


Au bout de quelques instants, son champ de vision est rempli de la danse compacte des particules, qui détachent leur silhouette sombre sur le fond immaculé, et il se retrouve bientôt immergé dans ce crépitement de noir et de blanc, comme s’il se trouvait dans l’écran inactif d’une vieille télévision. Sur le sol se forment des amoncellements de cristaux qui, rapidement, s’érigent étage par étage en petits immeubles sombres entre lesquels court un réseau de rues miniatures.


Alors que les bâtiments atteignent sa hauteur, les particules qui les forment commencent à se coaguler par la base, faisant apparaître un immense caniveau, des parois décrépies, des lampadaires antédiluviens, et des dizaines de portes par lesquelles sortent des centaines d’acariens qui, azimutés, l’échine courbée, traînent leur carapace au fond du dédale.


Il lève les yeux. La chute des flocons noirs se fait beaucoup moins dense et il peut voir que, loin au-dessus de lui, les empilements sont devenus blancs, resplendissants. L’onde de coagulation remonte le long des façades. Lorsque elle atteint ces niveaux étincelants, s’y édifient des bâtiments olympiens, pendant qu’un réseau vertigineux de plates-formes, d’où tombent vers les bas-fonds les résidus putréfiés de la solidification des cristaux, s’organise entre les puissantes architectures.


Par une violente bousculade, il est soudainement tiré de sa rêverie aérienne où l’avait retenue l’intuition d’un souvenir nostalgique. Il est à présent au fond d’une rue dépravée, à la dimension des rampants qui autour de lui courent en tous sens, l’air affairé, un télécran cathodique en guise de tête. Un énorme arachnide, apparemment à l’origine de ces brutalités, lui fait face. Il reconnaît avec stupéfaction dans son télécran crânien le Signe «biohazard», symbole et emblème de l’Ennemi public.


D’un bond, il esquive un sévère coup de griffes, puis sans réfléchir prend ses jambes à son cou.


Stimulé par une ardeur angoissée, slalomant entre les acariens hébétés, il tente d’échapper à la dizaine d’agents qui est à ses trousses. Alors qu’il s’est engagé dans une ruelle étroite et sombre, il aperçoit quelques mètres plus loin une puissante lumière blanche qui s’échappe brièvement de l’embrasure d’une porte pour inonder le passage.
Instinctivement, il y sent la manifestation d’une présence alliée. Il s’y engouffre et barricade la porte. Au centre de la pièce plongée dans l’obscurité trône un télécran dont la lueur blafarde est faiblement réfléchie par le sol et les murs. Déjà, les arachnides projettent leur masse chitineuse sur la porte métallique, qui se déforme sous les chocs. Le symbole de l’Ennemi public apparaît à l’écran et, le petit disque central se déformant légèrement comme pour mieux articuler, il se met à lui parler avec un caverneux accent de bourdonnement hertzien :

« Pourquoi m’as-tu abandonné ?

-Je n’ai rien à voir avec la secte évolutionnaire ! Que me voulez-vous ? Pourquoi me poursuit-on ?

-Je ne peux pas répondre à toutes tes questions. Nous n’avons que très peu de temps, tu es déjà piégé ici. Je suis là pour t’aider : j’ai un message à te faire passer.

-Qui êtes-vous ? Comment me connaissez-vous ?

-Je suis à la fois ton démiurge et ton esclave. Mais entends ceci : je t’attends sur le banc au bord du lac.

-Allez-vous me sortir de là ?»

Le télécran s’éteint. Cependant, dans un fondu progressif, apparaît en son centre un étrange rectangle blanc autour duquel gesticulent d’énigmatiques vers phosphorescents. Mais à cet instant, la porte est arrachée de ses gonds et projetée sur lui à travers les airs. Il reçoit le linteau sur la tempe. En une fraction de seconde, son esprit vacille, sa vision se brouille, il perd ses attaches, sa réalité s’évapore…


Tout est blanc.


Tout est léger.


Il est en suspension.


D’énergiques turbulences secouent ses vêtements, qui lui tamponnent la peau.


Petit à petit, sa rétine s’adapte à la forte luminosité et il peut discerner au loin, dans cette atmosphère encore éblouissante, un subtil horizon tanguer lentement.


Il se met sur le dos, écarte les bras. Il croise gaiement au milieu des îlots nuageux, s’engage dans un cañon qui s’ouvre entre deux forteresses, admirant les contreforts escarpés des puissants remparts qui s’élèvent de chaque côté de lui. Il se délecte de cette liberté aérienne et en oublie ses douleurs crâniennes. Il pourrait rester une éternité, là, navigant entre ces majestueux vaisseaux atmosphériques…


Mais un point noir apparaît dans la nuée diffuse qui s’étend vers l’infini au-dessus des nuages. Tel un météore, l’objet fonce dans sa direction à pleine vitesse. De loin, il reconnaît le volume parallélépipédique d’un livre. Mais avant qu’il n’ait eu le temps de réagir, le pavé est sur lui et par réflexe, dans la fraction de seconde qui précède la collision, sa compréhension n’a que le temps de reconstituer les caractères qui ornent la couverture : 4891…


Tout est pesant.


Son visage est déformé par le souffle et ses oreilles sont assaillies par le rugissement des turbulences. A travers les artefacts provoqués par le choc, qui comme des étincelles éclatant tout près de son visage brouillent partiellement sa vision, il voit défiler les nuages, l’horizon se réduire, puis se dévoiler en dessous de lui une prodigieuse cité de pierres blanches dont les magnifiques structures se précipitent vers lui. Pas une ombre ne se profile sur les appontements boisés. Un effluve floral lui parvient compendieusement au moment où sa trajectoire s’engouffre entre deux plates-formes, l’entraînant dans les abysses de la métropole. Il continue sa chute vertigineuse, baigné maintenant dans un brouillard qui empeste l’huile de moteur surchauffée. Lorsque, les yeux en pleurs, il émerge en dessous de cette atmosphère suffocante, il est brûlé par les radiations de spots surpuissants, orientés vers les bas-fonds, et aveuglé par leur rayonnement, lequel est réfléchi par la couche de brume qui gît en contrebas. Au sortir de cette nappe, à peine distingue-t-il le sol quelques mètres en dessous de lui que c’est déjà l’impact.


Rien.


… … …


Lentement, sa conscience émerge du néant, végétative. Il est le ruissellement de ce fluide.


Quelque chose bourdonne.


«…mons… …és… …pas… …ber ?» Noyée dans le clapotis de l’eau, une marmelade de syllabes incompréhensible parvient jusqu’à lui,.


Quelque chose remue.


Soudain, ces lointaines impressions s’amplifient, s’entrechoquent, s’agrègent, puis heurtent violemment sa conscience, qui s’éveille en sursaut.

«ça va mieux ?»

Il sent sous son dos le contact rugueux de l’asphalte, mais sa vision est encore floue.

«Qu’est-ce qui m’est arrivé ?

-Tu as dû faire une chute et t’assommer»

A force de cligner des yeux, il retrouve la netteté de sa vue et constate qu’il fait nuit, qu’il est sous un pont et qu’il y a, debout à côté de lui, un vieil impifable à la barbe hirsute et aux fripes déchirées qui lui sourit de toutes ses dents irrémédiablement jaunies.
Du plus loin qu’il se souvienne, jamais un impifable n’a osé lui adresser la parole. Encore moins en le tutoyant. Mais paradoxalement, cette scène produit en lui une étrange sensation de déjà-vu, et en dépit du gouffre qui le sépare de cet homme, il a l'irrésistible sentiment qu’il peut lui faire confiance. Le vieillard lui tend la main et Il note qu’en dépit des apparences il est encore assez solide pour contrebalancer son poids et ainsi l’aider à se relever.

«Tu devrais être plus prudent.

-Je… Je n’arrive pas vraiment à me souvenir de ce qui s’est passé.

-Ca n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est que nous ayons pu nous rencontrer.»

Fasciné, Il écoute benoîtement le pauvre homme.

«Tu vis au rez-de-chaussée de ton immeuble, n’est-ce pas ? Es-tu déjà monté au dernier étage ? As-tu vu les plafonds ?

As-tu déjà ressenti la solitude ?

Te souviens-tu clairement avoir vu un cheval un jour ?

T’es-tu déjà promené parmi les tourbillons de feuilles mortes dans un jardin de fontaines en marbre brun ?»

Le clochard fourrage dans son caddie entre des pages de journaux, des cartons et des sacs poubelles, puis en extrait un énorme bouquin poussiéreux qu’il lui tend victorieusement : «Parcours-le, tu commenceras à comprendre.»



4891.


Dernière édition par Paracelse le Mar 19 Fév 2008 - 23:56, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Message subliminal   Message subliminal EmptySam 1 Sep 2007 - 10:19

Du plus profond de ses entrailles, il est inexplicablement bouleversé par ce titre.

«Ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Il faut que tu le fasse.»

Son cœur s’emballe et il se met à suer d’énormes gouttes, mais il ouvre
le livre avec conviction, tente d’évacuer son anxiété par une longue
inspiration puis jette ses yeux sur une ligne au hasard : «1888. Si
l’on veut une fin, il faut aussi vouloir les moyens : si l’on veut des
esclaves, il faut être fou pour leur donner une éducation de maîtres.»
Son abdomen se contracte, il se plie en deux.

«Oui. C’est ça, continue, tu te débrouilles bien.»

«-373. Ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou
enchaînés, de sorte qu’ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que
devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête.» Ses mains sont
convulsées de crispations incontrôlables. «1851. Nous avons aboli
l'esclavage, mais sans avoir résolu la question du travail.».

Mais soudain il se passe quelque chose. Sur la page qui est sous son
regard, il aperçoit une fois encore le Signe. Du haut du pont, des
sirènes et des aboiements de chiens se font entendre. Maîtrisant la
douleur qui le tétanise, Il veut jeter à l’eau cet ouvrage
compromettant mais il s’aperçoit avec épouvante que ses mains sont
collées à la couverture dont le matériau fondant s’agglutine sur ses
doigts.

«Tu t’es laissé jouer. Mais tout n’est pas perdu, tu peux encore leur échapper. Je peux encore te sauver.»

Résolument, le vieillard tire une dague de ses guenilles et d’un coup
sec la plante dans la poitrine de son compagnon avant de le projeter
vers le canal. Immédiatement, une puissante détonation se réverbère
sous la charpente du pont.

«Mon destin est insignifiant.»

Alors que, dans sa chute en arrière provoquée par le geste de
l’impifable, son champ de vision se met à tournoyer, il voit
précipitamment la tête du vieillard exploser.



Soudain, toutes les fréquences aiguës font silence, il n’entend plus
qu’un sourd vrombissement et est agressé par la froidure des eaux. Son
sang s’échappe de sa poitrine en un triste filet rouge qui se désagrège
progressivement dans les bouillonnements du fluide. Emporté par les
remous, il se contorsionne pour tenter de rejoindre la surface, mais
ses vêtements et ses chaussures l’alourdissent et les efforts
désespérés de ses bras menottés restent impuissants contre les effets
de la gravité. L’air commence à lui manquer, il cherche à respirer, se
débat, suffoque, gèle, panique, ses mouvements deviennent incontrôlés,
il ne va plus pouvoir se retenir, il le pressent, dans un réflexe
irrésistible, ses poumons vont ingurgiter le liquide, sa blessure le
brûle, il n’en peut plus, il va mourir…



Saloperie de cauchemar.



Cinq heures du mat.



Impossible de se rendormir, maintenant.



Il se met sur son séant, allume sa lampe de chevet et se masse les paupières. Il sort lentement des brumes du sommeil.



Lorsque son pied nu touche le sol, le télécran qui fait face à son lit
s’éveille et commence à proférer ses conseils d’une voix doucereuse.
Mais il n’y prête pas attention et il ne voit pas le Signe qui
s’affiche à l’écran. Il se dirige vers sa salle de bain.



Il plonge ses mains en creux sous le jet froid, puis se projette l’eau
au visage. En relevant la tête pour se regarder dans le miroir, il
aperçoit furtivement entre les montants de la porte une ombre se
glisser dans le couloir. Il se brusque à sa poursuite, mais constate
que le couloir est vide et la maison silencieuse. Il tend l’oreille,
sonde l’atmosphère, cherchant à percevoir le bruissement d’une
respiration. Rien. Son imagination lui joue-t-elle des tours ? Non.
Quelque chose se brise. Dans le vestibule. Tandis qu’il se précipite
dans cette direction, il entend le glissement familier d’une clé dans
la serrure de la porte d’entrée. Un courant d’air lui effleure le
visage. Un lourd appareil dont la forme et l’utilité lui sont inconnues
a brisé le carrelage en tombant. Lorsqu’il atteint le seuil, il
découvre que le brouillard qui précède toujours l’aurore est déjà en
train de descendre des hauteurs et de s’accumuler au sol en
s’épaississant à vue d’œil. Il entend une foulée résonner à sa gauche
et se lance à la poursuite de la silhouette qu’il distingue dans la rue
à quelques mètres devant lui.



Mais après quelques détours, Il commence à s’essouffler et ralentit sa
progression. Ses poumons le brûlent, un formidable poing de côté
l’assaillit. Déjà il ne discerne plus l’ombre qu’il pourchasse, noyée
dans la brume qui continue à se densifier. Il s’arrête. Des pas
résonnent dans la ruelle qui s’engage à sa droite. Surmontant son
épuisement, il se jette obstinément dans cette direction. Mais,
exténué, il s’immobilise de nouveau au premier croisement. Le
tamponnement binaire retentit à sa droite. Non, à sa gauche. Derrière
lui ? Les échos venus de toutes parts, amplifiés par l’intempérie, se
télescopent dans ses oreilles. Il ne distingue même plus les murs à
travers l’épais brouillard.



Soudain, il se rend compte qu’il s’est égaré dans un quartier
méconnaissable. Il pense à la porte de sa demeure qu’il a laissée
entrouverte…



Désabusé, il décide d’errer au hasard dans la cité endormie en attendant l’aurore.



Il se surprend à ricaner sourdement. Si un agent le trouvait, pieds
nus, en pyjama, en train de déambuler dans la ville après le
couvre-feu, qui plus est perdu dans le brouillard qui précède l’aurore,
il serait emmené illico en centre de sensibilisation sociale pour
comportement anormal.



Cependant, sa fatigue l’a rattrapé et, avisant une banquette qui se
dresse non loin de là, il s’y laisse choir dans un soupir de
soulagement.



« Je n’espérais plus te trouver »



Il sursaute puis, aux aguets, scrute le brouillard qui l’entoure.



Rien.



Silence.



Il est en train de devenir dément, il voit des ombres et entend des voix. C’est ça, c’est la seule explication.



« Ne t’effraie pas. Tu n’es pas fou. Je suis bien là, mais le brouillard t’empêche de me voir. Ca vaut mieux pour l’instant. »



Cette voix… Il la connaît bien.



«Je te connais. Qui es-tu ?

-Je suis un ami qui veut t’aider.

-Je n’ai pas besoin d’aide.

-En es-tu certain ? En dépit de ce que tu crois, tu n’es pas arrivé ici par hasard.

-Qu’est-ce que ça veut dire ? C’était toi, chez moi ?

-Laisse-moi t’expliquer. Tu vas comprendre. Une puissance autoritaire a
réussi à renverser la prépotence de mon pouvoir. Mais bien qu’elle
contrôle la plupart des mécanismes, j’ai jusqu’à présent toujours
réussi à lui échapper. Son système est basé sur un réseau d’images
agréables ou que, par la force d’expériences atroces, on t’a rendues
insupportables. Lorsque la situation lui échappe, elle utilise le
trouble spécifique que produit l’une d’elles, parmi les plus
puissantes, pour en reprendre le contrôle. Tu lui as toi aussi
vaillamment résisté. Pour la première fois, tu as pu franchir toutes
les étapes et avec mon soutien, tu as réussi à te soustraire
temporairement à l’hégémonie infectieuse et c’est pourquoi je peux te
rencontrer ici, maintenant. »

L’hallucination continue… A moins que cela ne soit un l’œuvre d’un plaisantin complètement givré.

«Tu espères ainsi me prouver qu’il n’y a pas une voix qui débite des inepties insensées dans ma tête?

-Non. En réalité, je suis cette voix.»



A quelques centimètres de son visage, Il voit émerger du brouillard une main tendue vers lui.

« Serre-la. »

Il peut concrètement sentir la chaleureuse poignée qu’on lui adresse.

« Il est temps que tu ouvres les yeux. »

Un souffle puissant commence à dissiper la brume. Son mystérieux
interlocuteur se dévoile petit à petit. Il peut distinguer son avant
bras, puis son épaule et son flanc. Mais cet homme qui apparaît
progressivement, dont il peut maintenant reconnaître le visage, c’est…



Lui.



Le brouillard continue à se dissiper promptement et Il se rend compte
qu’il est à l’extérieur de la Ville, aux abords d’un petit lac. Au
loin, les éternelles brumes aériennes restent accrochées en hauteur.

« As-tu déjà pu voir ce qu’il y a derrière ces bancs de brume ? Jamais,
n’est-ce pas ? Tu fus libre de t’y promener, il y a longtemps. Si
longtemps même que tu ne t’en souviens plus. Regarde ! »

Les nappes se dissolvent et laissent apparaître une riche cité en
pierres blanches dont les structures, dressées sur les vieux immeubles
des bas-fonds, s’élèvent à plusieurs centaines de mètres.

« Souviens-toi. Tout cela est à toi.»

Sans vraiment savoir pourquoi, il est transporté par une profonde allégresse.

Son jumeau lui prend les mains, l’enlace, rapproche lentement sa tête
de son visage, vient effleurer ses lèvres et lui adresse longuement un
ardent baiser. Par sa bouche, Il peut sentir entrer en lui les
radiations bienfaisantes de l’Autre qui, niveau par niveau, renversent
toutes les barricades qui bloquaient les passerelles, laissant chacune
des complexes entiers à l’abandon, pendant qu’un sauvage plaisir
s’insinue dans chacun de ses organes.



Tout devient clair.



Subitement, tous les plus ténus souvenirs, mêmes oniriques, engrangés
dans sa mémoire depuis les premières étapes intra-utérines de sa vie,
ressuscitent à sa compréhension dans un monumental feu d’artifice de
sensations enchevêtrées. Accédant à un état de conscience total, il
saisit pleinement le sens de toutes ces péripéties. Le spectacle
majestueux de l’aurore ouvre alors sur les cieux son festival de
teintes rouges orangées, tandis qu’au loin, dans les sierras ambrées,
des dizaines de gigantesques geysers éclosent et projettent dans les
airs un liquide épais qui s’écoule sur le flanc des montagnes et inonde
la vallée.



Tout est limpide.



Sous l’action de cette humeur abondamment nourricière, les fleurs
développent autour des deux hommes, dans une croissance
extraordinairement véloce, d’énormes organes qui diffusent un parfum
suave. Ils sont déjà entièrement noyés dans le fluide bienfaiteur et
une immense corolle de pétales multicolores, entre lesquels virevoltent
des torsades de particules cotonnées et translucides, se façonne en
forme d’un paraboloïde dont ils sont le centre. Enveloppées par une
aura féerique d’arcs de lumières roses et verts fluorescents, leurs
poitrines commencent à s’amalgamer, leurs mains jointes se soudent.



Mais soudain, une cale vient d’être démise dans une galerie, au plus
profond de la mine, et Il sent les présages d’une nausée titanesque
monter des tréfonds de son être. La transmutation se met à régresser,
leur étreinte à se desserrer inexorablement.

« Ils ont dû nous devancer et dépêcher un agent physique. Nous ne pouvons rien contre son appareil. Tout est perdu. Adieu. »

Un long éclair, dont les ramifications fractales se structurent en
cocon autour des jumeaux, vient accumuler son flux entre leurs corps.
De leurs bustes en fusion émerge lentement une méduse noire tatouée du
Signe. Dans les profondeurs, le grisou s’intensifie et, en même temps
que la chaleur, toute cette atmosphère déchaînée remonte vers le
sensible, puis les parois de confinement volent en éclats et le volcan
vomit ses entrailles dans l’océan. Le liquide est devenu sombrement
glauque et charrie les débris répugnants des bulbes broyés. Convulsé de
spasmes, Il voit la méduse refermer ses tissus corrosifs sur la tête de
son alter ego. Des tranchées de pourriture verdâtre se mettent à
descendre de son cou et, en se ramifiant, craquèlent sa peau qui se
délite et dont les lambeaux pourris se répandent alentours. Un jus de
décomposition putride s’échappe de ses tissus externes, qui se
disloquent douloureusement. Ses organes en putréfaction accélérée
s’échappent alors de son ventre béant, à travers les effervescences de
son sang noir, pendant qu’il le regarde intensément avec une expression
d’incommensurable tristesse. Le cœur flétri, encore agité de
palpitations incohérentes, descend vers l’abîme aquatique en hoquetant
misérablement. Les intestins et le colon se déroulent, se fragmentent
et gerbent des moisissures congestionnées avant de glisser eux aussi
vers les profondeurs. Puis en même temps que les cheveux, les yeux
rabougris se détachent de leurs orbites et viennent glisser sur le
visage de son double pendant que le squelette, que les muscles jaunes
de gangrène ne soutiennent plus, s’écroule définitivement dans un
tourbillon de matière organique nécrosée où il peut reconnaître les
filaments desséchés de sa cervelle.



Un violent choc le propulse en apesanteur, complètement désorienté par
ses virevoltes et, dans un spectacle intolérable il se voit coincé
entre deux planches reliées par des barreaux de fers, emporté dans une
spirale qui descend vers l’infini dans les ténèbres…



Saloperie de cauchemar.



Cinq heures du mat.



Impossible de se rendormir, maintenant.



Il se met sur son séant, allume sa lampe de chevet et se masse les
paupières. De l’autre côté de la fenêtre, le brouillard qui précède
l’aurore est en train de s’installer. Mais il n’y prête pas attention.
Il émerge lentement de l’angoisse de ses songes. Machinalement, il
cherche des doigts la télécommande de son télécran.



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Captivé par son télécran, il ne remarque pas l’ombre qui se glisse
prudemment dans le salon, gagne la salle de bain et sort discrètement
par la fenêtre.
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