Instable mais essentiellement pernicieux, à l’évidence. Puisqu’il se produit lorsque personne ou presque ne s’y attend. Je suppose que c’est ce qui fait sa valeur maintenant que j’ai réussi à concevoir le phénomène sous un angle plus large.
Je l’ai pris comme une demi-révélation. Juste demi parce que j’avais quand même une sorte d’impression un peu niaise qui me poursuivait depuis pas mal de temps sur le thème ‘A force de ne rien faire, il se passera bien quelque chose ‘. C’est-à-dire que quitte à être surpris, j’aurais aimé l’être complètement. Mais non : le sentiment d’avoir mis la main sur un raisonnement profond s’est logiquement estompé en quelques jours et au bout du compte, j’en ai conclu que ça ne valait pas une révélation entière.
Il est des moments qui permettent de se féliciter d’être étranger à la rigueur et au sérieux scientifiques ; celui où l’on avance une théorie allant à contresens des acquis en matière de physique dans l’espace depuis Newton en fait partie. Et c’est idéal pour moi car dans le cas contraire, j’aurais dû invalider ma propre hypothèse et ça ne m’aurait pas donné l’air fin. Qualité que je souhaite conserver dans la mesure du possible.
En revivant mentalement la chronologie des faits, j’ai identifié la fulgurance du propos comme étant le premier élément irrégulier de cette affaire. Et par irrégulier, j’entends non référencé dans le codex de ‘L’apaisement par le dialogue’ étant donné que même en feuilletant bien, « J’en ai marre, tu m’as gonflée alors maintenant tu dégages, de toute façon c’est mieux qu’on se sépare » n’y figurait pas.
Dix mois, quatre jours et une dizaine d’heures : j’avais tenu tout ça quand même. Enfin, il paraît que c’est à partir de deux ans qu’on commence à étudier en détail le trajet habituel de son conjoint pour y poser des Claymore donc nous, on a atteint un certain niveau de précocité finalement. Je reconnais bien là mon esprit de compétition : toujours devant les autres. A la maternelle, je voulais déjà être le premier à goudronner le préau. Oui, j’ai eu une enfance assez misérable.
Il y a quand même des chaînons manquants dans la farandole de trombones rouillés que représente ma relation avec Elle - entre faire de la pub pour un produit de kiosque à journaux et la voir profiter de ma notoriété en étant nommée dans un de mes textes, je choisis le moindre mal ; non, encore mieux : je vais l’appeler Ghislaine, tiens -.
Un des chaînons proches de l’extrémité est particulièrement incompréhensible parce que psychologiquement, j’avais la mainmise sur son libre-arbitre. Par exemple, je me souviens qu’Elle ( Ghislaine Croutard, donc ) faisait le café exactement à ma manière qui était de loin la meilleure mais uniquement quand je lui précisais « Mais putain, tu mets trop d’eau, je te l’ai déjà dit quarante fois en plus, t’as une mémoire de vieille dinde et tu sers à rien. Non, ne réponds pas, ça va m’énerver ». Même pour le chat, j’avais réussi à imposer le nom : Laurence Parisot, c’était un mâle mais je m’en foutais. J’avais établi que ce serait ça parce qu’il était un peu fripé et qu’il miaulait plus pour manger plus. Oui, à l’époque il me semblait que j’étais formidable.
Niveau baise, j’ai suivi le parcours standard avec option avance rapide : au début, je la prenais cinq fois par jour sans penser aux raisons qui me motivaient et après j’ai commencé à en chercher. Plus tard encore, je suis passé au plan G comme « J’ai pas envie, je suis en train de télécharger Cannibal Holocaust, il paraît que c’est une allégorie classique à la guerre du Vietnam mais avec des décapitations de singes ». Le tout en moins de six mois.
J’en suis arrivé à espérer qu’elle prenne un amant en attendant un utopique renouveau libidineux de ma part. Je guettais un peu ses humeurs pour y déceler un signe probant, ça m’aurait permis de jouer un genre de Sam Karmann contrit dans un contexte à fort potentiel en drame français et j’aurais eu matière à méditer sur quelque chose d’un peu consistant. Malheureusement, Alain Resnais devait être occupé ailleurs, Elle se croyait patiente sous perfusions de « C’est pas le plus important… » et pire que tout, dehors le temps était au beau fixe. Non vraiment, aucun élément n’était réuni pour faire ça correctement et en tout cas, si elle s’est risquée à une aventure durant notre cohabitation, je n’en ai rien vu. D’autant plus fâcheux qu’à cette époque, je m’étais piqué de vidéo amateur et qu’un flag m’aurait propulsé au hit-parade de YouPorn.
Le domaine du sexe n’a pas fait exception à ma règle sacrée : l’immobilisme vient à bout de n’importe quoi et quand tout le monde a fini de jouer, la force d’inertie est la seule entité qui ramasse les gains ; la preuve : un casino ne bouge jamais. Oui, on peut se fouler une cheville si on la lit en marchant.
Quoiqu’il en soit, on avait nos sujets de convergence avec Ghislaine. Les fruits de mer entre autres. Et puis on savait cumuler nos ennuis jusqu’à en concevoir un dont la masse était supérieure à la somme des parties additionnées. Ca nécessite un vague esprit de communauté et le résultat, quand il se rappelle à votre souvenir en permanence, est des plus impressionnants, je peux en témoigner. Un peu comme une vache qui regarderait sa propre bouse de quinze mètres de haut en se demandant comment il est possible de chier un truc pareil. L’ennui échappe à la logique scientifique, c’est bien le problème.
On aurait toujours pu essayer de lutter contre le fléau en faisant un gosse ou plus d’excursions dans les coffee shops hollandais, l’un dans l’autre on aurait échoué quoi qu’il arrive. Dix mois, quatre jours et une dizaine d’heures à cause d’un malentendu de départ : on descend une bouteille à deux pour briser la glace et on se retrouve à batailler sur le fait de peindre un des murs du salon en marron parce que ça volumise la pièce. Y avait un effet Queer dans le whisky, c’est pas possible.
Et puis un soir : rébellion. On sait pas pourquoi, ça restera un mystère. « J’en ai marre, tu m’as gonflée alors maintenant tu dégages, de toute façon c’est mieux qu’on se sépare ». Erreur 404. Pas moyen de réinitialiser, que dalle. Ctrl+Alt+Suppr, pas d’effet. J’ai buggé et le temps de couper l’alimentation, j’avais déjà perdu toutes les données. Un formatage barbare, imprévisible et odieux. J’avais la maîtrise complète de l’environnement et elle ne pouvait rien me reprocher hormis le fait de ne jamais rien faire et de sembler en retirer de la satisfaction : c’était son unique carte. Comment j’aurais pu savoir qu’elle allait l’utiliser ?
Voilà et alors, ça a servi à quoi, à interrompre l’inertie pour qu’elle reprenne ses droits un peu plus tard et c’est tout. Tu fais la queue au Super U en grignotant les chips que t’as pas encore payées et là, une pouffiasse te dit que la caisse doit fermer et que c’est comme ça. Tu tractes ton caddie vers la file d’à côté en percutant volontairement la prothèse du col du fémur de mamie au passage parce qu’il y a pas de raison qu’elle trinque pas elle aussi, regard plongeant dans les Lay’s barbecue. Et c’est reparti.
Qu’est-ce qu’il y a à comprendre là-dedans, je me demande. On a pu observer un mouvement, certes. Néanmoins, ça reste peu confortable et d’aucuns diraient sans intérêt. Seul le moment de la fracture reste globalement inconnu d’ailleurs, c’est-à-dire qu’on est face à des séquences d’inertie en chaîne balafrées par des turbulences aléatoires qui n’ont d’autre but que de libérer une séquence de son occupant pour lui en octroyer un autre. Bonnet nain et nain bonnet, en somme.
C’est à peu près de cette manière que j’ai intégré l’idée d’inertie comme moteur originel du mouvement et non comme stabilité par définition. Le vide, à terme, génère son contraire, sinon une chose à peu près opposable. Fugitivement dans la durée mais la brutalité de l’antagonisme lorsqu’il se rompt, proportionnelle à l’étendue durant laquelle il a régné sans partage, crée inévitablement un déplacement. Pour aller où, je crois que ça ne fait guère de doutes : le phénomène, une fois son action accomplie, redirige vers un siphon voisin qui accueille les déportés pour un autre stage à l’issue incertaine, je ne vois que ça en guise de métaphore ménagère.
Bref, encore un cycle à la con.
Tiens, ça aurait été un titre parfait, ça : ‘Bref, encore un cycle à la con’.
Dommage que je préfère me la péter gratuitement avec : ‘L’inertie est un mouvement instable’.
Le premier ne m’aurait pas rendu plus intelligent de toute façon alors autant en profiter.
Pour ce que ça vaut.
Tiens, ça aussi ‘ Pour ce que ça vaut’, ça aurait été plutôt adéquat même si ça pêche par un excès ou un manque de, enfin ça pêche quelque part en quelque chose de non identifié.
‘Quelque chose de non identifié’, non, ça je l’aurais pas sélectionné parce que ça fait passer un message malsain de hasard mal goupillé.
D’un autre côté ‘Message malsain de hasard mal goupillé’ aurait pu faire l’affaire mais maintenant c’est trop tard.
Et ‘Maintenant c’est trop tard’, alors là on aurait l’impression de mâchouiller le sein d’une vieille pute déguisée en Gavalda dans un bar nocturne de Calais alors non, je peux pas me le permettre.
Voilà, bon moi je vous laisse là, le dernier métro est dans cinq minutes alors sortez de mon véhicule affronter votre sort et n’oubliez pas de sauter sur les rails entre deux pubs Chantelle, paraît que ça le fait.
Sujet: L'inertie est un mouvement instable 
