Voici une courte nouvelle ...
Cadavres au crochet
« HAAAH!!! Putain, c'est quoi ça !?! Putain! Putain, c'est quoi cette merde ? »
Je n'ai jamais crié aussi fort... Mais c'est quoi, ce délire?
« Putain...putain!!! »
Nonnonnon. Cool. Tu es seul. Le ... meurtrier est parti. Quelle horreur mais quelle horreur bon dieu!!! Fais le vide ...
... meurtre ...
... tueur ... ici ...
... Thomas ...
... pas moi ... seul ...
oui, seul ... sûr ...
...
...
...
...
Je ne pensais pas ... Je ne pensais pas que ça faisait ça, de découvrir un corps. Je ne pensais pas que le sol fondait et que le sang nous restait collé à la rétine pendant cinq minutes. Je ne pensais pas qu'on chialait sans même avoir mal. Je ne savais pas que ça pouvait arriver un matin en arrivant au taf. Je ne savais pas que “conscience” même devenait un concept absurde et que le corps seul essayait de répondre ... Je me suis gerbé dessus. Les vomissures ruissèlent sur mon tablier.
Rien qu' à relever les yeux, l'acide me remonte à la gorge. C'est vraiment immmonde : j'ai beau être boucher depuis vingt ans, je n'encaisse pas la vue de ce sang. Je suis dans l'arrière boutique de la boucherie-charcuterie Anthony. Anthony c'est moi. Je vis dans un village dont je connais tout le monde : c'est une bourgade de campagne quelquonque, avec ses rires et ses coups de gueules. Et ce matin, devant moi dans la boutique vide, le crochet du milieu est le seul avec une proie. Thomas m'avait appelé hier soir pour m'annconcer sa venue avant l'heure ... Une heure plus tard je suis arrivé, pour un simple mercredi de travail ; Et maintenant... Un long cadavre pend les bras ballants, la gorge éventrée par le crochet de boucherie. Sa main gauche soutient le cou de Thomas, dont la nuque à été hachée comme par un coup de mâchoire.
Si j'ai pas encore appelé les flics c'est parce que je rêve .
...
...
Faux espoirs.
Les cadavres n'ont pas bougé depuis trente secondes. Je n'ai aucun pouvoir mental sur eux. Par conséquent ils sont réels... Une gorgée d'acide gicle de mes lèvres. Je ne vais pas... pas bien du tout. Suis-je dans ma petite boucherie ?
Il y a un pendu en face de moi... il porte un habit bleu, juste vieilli, qu'on dirait de la poste. Le cadavre cache ses yeux. Une vieille casquette de facteur les dissimule. Lui, me voit-il ?
Il y a quelque chose... Un bout de papier sous ses pieds. Je ne suis pas obligé de le lire... non... mais je m'avance pour le prendre. Mon coeur ne bat plus, il gerbe de la peur dans tout mon organisme. Des visions me viennent pendant que j'avance. Je vois le pendu sauter du crochet. Pas Thomas. Peut-être parce que la main semble vraiment l'aggripper.
J'y suis enfin. J'attrape la lettre fébrilement et je coise le regard de l'inconnu. Son regard jauni me dévisage cruellement.
Mon bond en arrière est immense et me fracasse le dos contre le mur. Je suis trop... con ! Pourquoi avoir peur ?! Je suis pas du genre poltron. Cool. Je suis sur une épouvantable scène de crime, mais en sûreté. Le choc est passé. Je vais prévenir les poulets.
Je déplie le billet et lis : “Ne me dénonce pas”
En réaction, instinctivement, j'attrape mon portable pour appeler les keufs. L'écran s'allume. En un instant, l'indice de batterie passe de trois barres à zéro. L'écran s'éteint. Pas moyen de le rallumer.
Moment de vide.
Mon regard s'égare et j'erre sur les corps. Thomas, aggripé, à une seule blessure. Il n' a pas dû souffrir. Ses yeux sont grands ouverds dans l'effroi. Son corps s'est vomi. Il s'est vidé sur sa chemise. Les sucs la couvrent tout entière, des grumeaux informes mal digérés, exhalent leur puanteur. Il n'est pas loin et je vois sa mâchoire et... ses dents sont cassées et ses lèvres lacérées au sang. Il s'est mordu lui même. Il a cogné ses dents. La souffrance à été effroyable. Il s'est tordu. Il s'est demené sans même sentir ses dents éclater sous ses mâchoires. Il a mordu, mordu de douleur. Mordu à en crever de douleur. Mais la douleur primaire qui l'envahissait était pire encore. Il n'est pas, pas du tout mort dans l'instant. Thomas... pauvre apprenti... Qu'as tu pu faire ? Pourquoi cette mise en scène macabre ? Pourquoi cet homme au dessus de toi ? Qui est ce type ?
Son corps est mort il y a plus longtemps. Sa peau à moisi et son sang coagulé, ses chairs par endroits déchirées révèlent des os pourris. Où est il resté tout ce temps... c'est immonde... Sa silhouette garde pourtant de l'énergie et c'est ça qui m'effraie. C'est un corps élancé... qui n'est pas décharné.
Je me barre. Tout de suite.
« Je vais te balancer, enculé! »
J'ai gueulé ça devant moi et fait volte face. Les sueurs froides m'ensserrent aussitôt. Cet air glacé qui suinte sur mes mouvements donne une terrible impression. Celle d'une omniprésence irrépressible. Je me sens vulnérable. Le dos tourné aux corps me fait violemment trembler. J'ai peur d'être attaqué. C'est insoutenable, vite, la PORTE !!!
Je suis une fièvre en mouvement je sursaute jusque à la sortie HAAAAAH !!! La porte est fermée !!! Mes mains galopent dans leurs transes et dans leurs spasmes. Elle aggripent, secouent et ébranlent sans que je ne les contrôle. La poignée la serrure la cléf. Ouf ! J'avais fermé derrière moi avant d'avoir regadé dedans. Un formidable sursaut m'agite. Je suis sauvé ! Je sens mes mains heurter avec violence. Quelque chose tinte. Un épouvantable sursaut m'a agité. J'ai pété la clef net. Elle à cassé parfaitement au bord de la serrure. Je me suis enfermé.
Je vais devoir attendre qu'on vienne... Si l'entrée n'est pas elle-même fermée. Calme pitié reste calme. Je suis le seul être vivant ici. Seul, torturé dans les relents de décomposition.
Je me rasseois et j'apperçois soudain... comment... il y a une nouvelle lettre sous les pieds du pendu. Les tremblements me prennent. Toutes les issues sont fermées, la pièce est vide, rangée hier. Il-n'-y-a-aucune cachette. Comment est-il possible...
« Arrête tes conneries ! Tu l'as simplement pas vue tout à l'heure. »
Ca me rassure d'entendre ma voix. C'est vrai, j'ai pris le pemier papier en vitesse, et ma peur m'a fait tout de suite reculer. J'aurais dû faire attention. Je dois retourner sous le pendu. Non...
Allez merde, go! J'y vais sur une lancée. Je heurte les pieds du macchabée. Les plaies purulentes frôlent mon nez. Le corps se met en branle. La tête de Thomas bascule. Ses yeux éclatés plongent dans les miens. Il bouge. Le pendu bouge.
Je hurle hurle hurle en reculant. Je m'écrase sur le cul. Je m'immobilise. Mes nerfs se calment au terme de longues minutes.
« Si ... si j'ai oublié un putain de papelard faudra me l'apporter cette fois ! »
Gueuler détend.
Même gueuler des conneries. Je vais mieux. J' inspire et déplie le mot. Il y a écrit : “Tu m'as désobei”. La peur me réétrangle.
Qu'est-ce que j'ai fait ? Denoncé qui ? Balancer le meurtrier ? Balancer ce postier funèbre, là, le cadavre ? Hein ?! La première lettre me défendait toute délation. Le cadavre m'a réecrit quand j'ai brisé la clef. Le cadavre est le tueur. Le cadavre m'a écrit. Le cadavre c'est Lui !!!
N'importe quoi ! Calme pitié calme. Le papier était déjà là. Ca fait allusion au passé. On m'en veut pour une ancienne offense. Ou alors c'était là pour Thomas. Ou alors on à écrit dans mon dos. Ou alors c'était là avant, forcément oui.
Clignotement. Quoi encore ? Non, plus rien encore laissez moi attendre le fournisseur qui va m'ouvrir. Laissez moi, l'air, la puanteur, le tueur, le cadavre et le tueur-cadavre et tout. J'en peux plus. J'attends. Mes yeux sont rivés aux suppliciés. Torturés devant moi. Le seul néon au plafond luit sur eux. Il jette un contre jour cru sur le sang desséché. Sur les plaies puantes... la chair pourrie. L'écat blafard est insoutenable sur les peaux livides. Un bref court-circuit. NON ! Lumière, ne m'abandonne pas. Il va m' écrire. Il va m'écrire si tu t'échappes. Il va m'écrire...
Clignotement. Extinction temporaire. Noir. Lumière. Flashs altérnés. Lumière. Foutu néon !
Par terre là bas ! C'est une lettre... non ?
Noir total. Je ne bougerais pas. Plus jamais. Léger froissement. Grésillement. Lumière. Je reste hébété. Je cligne des yeux. J'inspire et regarde : j'avais rêvé, il n'y a pas d'autre lettre. Mais un avion en papier à mes côtés.
Je ne réfléchis plus. Il n'a pas écrit, il est mort ! C'est encore une connerie là depuis tout à l'heure. Je déplie...
Clignotements. Flashes en série. Alternance fébrile. Je déplie ... je devine... clair-obscur alterné. Eclairs blancs. Eclairs noirs.
“Ma main droite t'attend”
Eclipse totale.
Abysses.
Ténèbres absolues.
Je suis un frisson d'épouvante. Mon imagination est une lame de glace. Chaque atome est une terreur. J'y perçois des respirations, des cruautés aiguisées. L'air me terrorise. La matière me révulse. Je n'ai qu'un rempart : tout va bien. J'ai mal lu, ils sont deux morts et j'ai une panne de courant. Ces pensées tournent des heures durant. Cela empêche à ma chair de se défaire. Mon esprit s'embrouille. Je suis vivant. Bien vivant pas comme les deux autres. Je suis le seul vivant dans la pièce. Voilà une
certitude.
Les heures passent.
Je me perds.
Le temps s'égoutte.
Si lentement.
La lumière filtre d'un coup par la porte vitrée. On vient. Je me lève. La lumière est forte. Je recule d'une dizaine de pas.
Je suis venu jusqu'au milieu.
Un long bras putréfié empoigne ma gorge. Un bras droit.
« HAAAH ! Putain ! HAAAAAAH ! »
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