Une chtite insomnie, l'occasion rêvée pour écrire une "One Hour Story" (one hour et demie en fait)
Voilà j'éspère que ça vous plaira
Alors que son bus aurait dû arriver depuis dix minutes maintenant, Boris profita du retard pour contempler à nouveau le fabuleux objet. Il prit garde que personne ne puisse le voir, car alors sa sécurité n’aurait plus du tout été garantie, et sortit de sa poche l’objet de son adoration, délicatement enveloppé dans une étoffe soyeuse et douce.
A sa vue, Boris sembla un instant défaillir, ses yeux s’emplirent d’une lueur sauvage et il caressa sa surface lisse avec une tendresse infinie. Bien qu’il savait la chose éphémère, Boris n’en fût pas moins ému à l’idée de l’avoir rien que pour lui. Il pensa avec une émotion toute particulière à cet instant magique, quand alors il se retrouverait seul dans son appartement et qu’il pourrait s’adonner tout entier et sans restriction à cette petite merveille.
Boris jeta autour de lui un regard méfiant et rangea précieusement son bijou à lui – et bien à lui – dans sa poche, non sans l’avoir convenablement enveloppé. Il ne s’agissait pas de l’abîmer, ô grand Dieu non.
Le bus ne tarda plus et Boris aperçut alors le pale halo des phares se profiler dans la brune automnale. Il s’inséra alors avec prudence dans la sinistre marée de visage blafards, et se posta dans un coin le plus à l’écart possible.
Boris se fit discret durant le voyage et évita tant que possible ces regards anonymes qui semblaient lire en lui son secret. Mais alors qu’il observait le paysage défiler sous ses yeux à travers la vitre arrière du bus, Boris remarqua du coin de l’oeil qu’un homme l’observait avec un intérêt suspect. Et qu’une femme aux longs cernes maladifs s’était rapprochée sensiblement de lui, et mon Dieu oui, il lui sembla même que le chauffeur du bus l’espionnait dans son rétroviseur.
Instinctivement, Boris porta sa main à la poche dans un geste protecteur. L’appréhension monta en lui et ses attitudes lui parurent soudain comme étant autant de traîtresses, prêtes à livrer à ces visages ternes la moindre de ses pensées. Il lui tardait de plus en plus de rejoindre ses pénates, l’affaire devenait urgente.
Les secondes s’égrenaient avec difficulté et Boris surprit encore de ci de là quelques expressions suspectes sur les visages qui l’entouraient. La femme aux cernes le scrutait de ses petits yeux fourbes avec une insistance insolente et quelques silhouettes se firent soudainement menaçantes. Des sourires se dessinaient sur les lèvres gercées, on échangeait des coups d’œil malicieux et une lueur gourmande semblait danser dans davantage de regards.
Aussi, avec un détachement qu’il espérait crédible, Boris se rapprocha des portes automatiques afin de pouvoir descendre le premier lorsqu’il serait arrivé à son arrêt, et ainsi rejoindre sans encombre son appartement. Du moins l’espérait-il.
Boris avait pris le parti de tourner le dos à ces étranges individus, espérant ainsi chasser ses inquiétudes comme un mauvais rêve, et se dressait à présent devant les portes automatiques, prêt à piquer un sprint au prochain arrêt, le sien. Il avait l’impression que l’objet – véritable don de Dieu – vibrait dans sa poche, il le sentait lourd, plein de vie. Mais il sentait également tous ces regards dans son dos qui le décortiquaient sans pudeur. Les muscles tendus, Boris s’attendait à tout instant à ce qu’on se jette sur lui et qu’on lui dérobe son trésor.
Il crut alors bel et bien avoir une crise cardiaque et s’effondrer à même le sol, lorsqu’une voix sinistre grinça derrière lui.
- Monsieur… Je peux vous demander quelque chose ? fit-elle.
Boris se retourna brusquement et perdit alors le peu de couleur qu’il avait encore. La femme aux cernes se tenait devant lui, le dévisageant de ses yeux minuscules. Boris dut s’y reprendre à deux fois pour déglutir et articuler un son.
- Heu… Oui, fit-il, s’attendant d’un moment à un autre à ce qu’elle l’attaque, sûrement à l’aide de ses longs ongles hideux.
- Est-ce que c’est bien ce que je crois ? fit-elle sur un ton de conspirateur.
- Comment ça ? Je ne comprends pas…
- Ce que vous avez dans votre poche… fit-elle désignant du menton le renflement qui se dessinait sur sa cuisse.
- Et bien je ne vois pas par quel moyen je pourrais vous répondre, dit Boris d’une voix rendue fébrile par la tension. Puisque je n’ai pas la moindre idée de ce que vous croyez, Madame.
Le femme parut amusée par sa réponse et un rictus horrible déforma davantage encore son visage.
- Vous voudriez peut-être que je le dise à haute voix ?
Boris, bien que déjà blanc comme un linge, perdit encore en couleur. Un voile de panique se dressa brusquement dans son esprit.
- Non, s’écria-t-il malgré lui. Je vous en prie, ne faîtes pas ça !
Son ton était implorant, ce qui accentua encore l’hideux rictus de la femme.
- Et bien, je veux ma part alors…
C’est alors que Boris sentit le Bus décélérer, puis s’arrêter. Il aperçut une lueur de compréhension vaciller dans le regard de son assaillante et, alors que les portes automatiques s’ouvraient, il eut juste le temps de sauter du bus, et ainsi de s’arracher au bras décharné qui le retenait déjà. Il prit alors ses jambes à son cou et, sans se retourner, parcourut en à peine une minute la distance qui le séparait de son appartement.
Arrivé à bon port, il jeta un regard par-dessus son épaule et s’aperçut avec soulagement qu’il était seul. Il chercha frénétiquement ses clés, puis, après un instant qui lui parut mille éternités, il se retrouva seul chez lui, bouclé à double tour.
Avec une frénésie fiévreuse, Boris déballa l’objet de toutes les convoitises et se laissa submerger par la liesse qui l’envahit soudain. Cette couleur, cette douceur au touché…Ah, quel bonheur !
Il ôta d’un geste machinal ses filtres respiratoires et activa le purificateur d’air électrique.
Il prit un couteau et une chaise et se posta en face de son assiette, plus prêt que jamais.
Et il dégusta en silence, savourant cette orgie de sensations et écoutant la douce mélopée de ses sens en pleine excitation.
Quel merveilleux objet, et surtout quel délice que cette tomate.