Voici ma modeste contribution à cet atelier que j'ai lancé. J'ai essayé de refaire une nouvelle style "horreur" mais j'admets que le résultat n'est pas heureux ! J'avoue n'avoir pas été très inspiré, et je m'excuse d'avance pour le manque cruel d'imagination de cette pauvre nouvelle !...
AU FOND DE L'ETANG
La clochette fixée au bout de la canne tinta pour signaler une touche, et le sion s'arqua sous la tension de la ligne qui filait du moulinet.
– Pete ! s'écria John en sautant de sa chaise pliante qui bascula en arrière. T'as une touche !
– Attends, je pisse ! répondit son ami caché derrière les fourrés.
– Mais grouille toi, bon Dieu ! Ta canne va péter !
– Laisse moi finir de pisser, merde !
Pete remonta son pantalon et courut vers la berge où l'attendait son ami. Il saisit son lancer et ferra avec justesse, ce qui eut pour effet d'engager son combat avec sa touche. Une formidable force tira la canne vers l'étang et il dût prendre un large appui sur ses deux jambes pour ne pas basculer dans le lit de nénuphars jaunes aux superbes sépales qui recouvrait la surface de l'eau.
Il recula et moulina avec technique, tout en donnant à intervalles régulières un peu de mou pour ne pas casser son bas de ligne.
– Alors ? demanda John qui trépignait sur place, leur épuisette de compétition à la main. Combien à ton avis ?
– Enorme ! grogna Pete en plein effort. Entre vingt et trente livres peut-être !
– Un brochet ? Ou peut-être un silure glane ? s'exclama John, qui déjà pensait au superbe cliché qu'il allait prendre de son ami et de sa prise, si toutefois il réussissait à la sortir de l'eau.
– Ah ! Il tire fort, le fumier ! dit Pete en soufflant.
Soudain il bascula en arrière et faillit perdre l'équilibre. L'énorme prise qui avait mordu à son hameçon avait abandonné la lutte.
– Putain, t'as cassé ! dit John tout en jetant l'épuisette sur l'herbe de dépit.
– Non... attends voir, s'écria Pete tout en moulinant à toute vitesse. Il est encore au bout, à moins que ça soit une saloperie de branche !
John reprit l'épuisette et attendit au bord de l'eau, prêt à réceptionner l'énorme poisson qui, de toute évidence, devait être épuisé.
Le fil de nylon tendu coupa l'onde tranquille du plan d'eau et se rapprocha de la berge, ramenant lentement vers les deux pêcheurs la lourde masse accrochée à l'hameçon.
Les deux hommes poussèrent un cri horrifié quand une épaule humaine émergea à la surface. Ils lâchèrent leur matériel et tombèrent sur leur séant.
– Putain ! souffla John d'un air ahuri. C'est un cadavre ! T'as tiré un putain de cadavre, Pete !
Pete se redressa et récupéra sa canne.
– Il faut qu'on le sorte de là ! Prends l'épuisette.
John fixa son ami comme s'il lui avait demandé de danser la polka avec sa jolie prise.
– T'es fou ? Je touche pas à un mort, moi ! dit-il en secouant la tête. On va appeler les flics et ils vont se démerder tout seuls !
John s'agitait et perdait son sang-froid, tandis que Pete tirait le corps vers la berge. Bientôt il aperçut un crâne gonflé et coiffé d'un mélange de cheveux et d'algues visqueuses. Le corps pivota dans l'eau et Pete découvrit un visage dont l'état de décomposition était déjà fortement avancé. Son hameçon était planté dans la bouche, ou plutôt dans le trou qui béait sur le bas du visage. Une femelle écrevisse à l'abdomen garni d'œufs en sortit et tomba dans l'eau, faisant un petit ploc.
Pete huma la terrible odeur du corps mais il continua à le tirer lentement. Il toucha enfin la berge et se mit à flotter sur le dos en libérant quelques gaz putrides.
– C'est une femme ! s'écria John en remarquant sur le torse squelettique deux protubérances mammaires dont la graisse disparue avait sûrement régalé la faune aquatique de l'étang.
– Il faut qu'on la sorte de là, dit Pete en fixant le cadavre.
– Tu veux qu'on touche à cette pourriture ? T'es timbré ? s'écria John qui avait reculé. Ça doit faire plusieurs jours qu'elle trempe au fond de ce putain d'étang, et toi tu veux qu'on la sorte, comme ça, à la main ? Mais regarde là ! Si on la prend par le bras, je suis sûr qu'il va nous rester dans la main ! On fait quoi après ? On explique aux flics qu'on a voulu la remonter en kit ? Ce n'est plus un corps, c'est un tas de chair pourri et moisi !
– Calme-toi ! lui intima John. Ça ne sert à rien de péter les plombs. Tu as appelé les flics ?
– Non, ça ne capte pas !
– Alors on la sort. Viens m'aider.
– Pas question, débrouilles-toi ! Moi je prends le 4x4 et je vais chercher les flics.
John haussa les épaules et regarda son ami s'éloigner au volant de son 4x4. Quand la voiture eut disparut au loin, il retroussa ses manches et se pencha pour tirer le cadavre sur la berge.
– T'inquiètes pas, ma beauté, je vais te sortir de là, murmura-t-il en empoignant le corps gluant.
Il déposa la dépouille sur l'herbe et s'agenouilla à côté du visage dont traits étaient quasiment effacés.
La morte ouvrit brusquement les yeux.
John roulait à cinquante à l'heure sur le chemin de terre cahoteux quand il percuta un énorme sanglier. Il écrasa le frein et sa tête cogna violemment contre le volant. Il reprit connaissance quelques instants après, et découvrit dans son rétro son visage couvert de sang.
– Et merde ! gueula-t-il. Fais chier !
Il sortit et constata les dégâts. L'énorme sanglier s'était coincé dans la grille du radiateur. Il respirait encore avec peine, mais John n'osa pas le dégager de la gangue de métal dont il était prisonnier ; il décida de le laisser agoniser et repartit à pieds vers l'étang pour prévenir Pete.
– Eh ! Oh ! Pete ?... T'es où ? cria John.
Sa voix alla se perdre dans la forêt environnante, mais son ami ne lui répondit pas.
– Allez, joue pas au con ! Sors de ta cachette !
Silence.
– Je me suis tapé un sanglier, ma caisse est HS ! Je peux prendre la tienne ?...
Soudain l'onde de l'étang bouillonna et John observa avec stupéfaction une superbe femme sortir de l'eau, nue comme au jour de sa naissance. Ses longs cheveux blonds collaient à son corps plein et musclé, ruisselant d'eau et couvert de graines de nénuphars. Son visage aux traits sauvages et à la bouche embrasée, était sublimé par deux yeux où brillaient les foyers de deux feux éternels. Ses seins apparurent à la surface, globes de chair hauts et fermes, dont les tétons étaient dressés comme des bourgeons de vie n'attendant qu'à être sucés par une bouche avide. La déesse sortit des eaux et s'approcha de John, dont la frayeur combattait la plus forte des excitations. Elle fut près de lui et il put sentir son doux parfum de fleur des eaux ; il observa chaque goutte d'eau coulant le long de sa peau au grain d'apparence si doux et il se sentit emporté dans un tourbillon de désir. Elle lui offrit un sourire coquin et sa langue rose lécha ses lèvres charnues.
Une voix légère comme un reflet chanta dans son corps.
Viens, donne-moi tout le plaisir que tu veux, je n'attends que toi, viens, suis-moi, viens te baigner avec moi, enlace mon corps nu, je veux te sentir contre moi, viens me faire l'amour, dans l'eau c'est si bon, viens, viens...Il ferma les yeux et avança lentement vers le bord de l'étang ; il avait envie de cette femme, et son désir était plus fort que toute chose existante.
L'objet de son désir pénétra dans l'eau et attendit qu'il la rejoigne, les mains posées sur sa taille arrondie.
Il la sentait si proche, si attirante, si belle et sensuelle, qu'il faillit basculer tête la première dans l'eau saumâtre.
Il ouvrit brusquement les yeux et resta muet d'horreur devant la jeune femme : toute la beauté avait quitté son corps. Il avait en face de lui un cadavre complètement pourri.
Dans sa tête la voix résonna plus fort.
Viens me baiser, viens c'est si bon, viens, prends-moi, rentre dans l'eau, elle est si chaude, viens me pénétrer, viens...Il hurla pour éloigner cette voix qui faillit le faire plonger malgré lui, quand soudain la tête de son ami Pete jaillit des eaux. John cria de surprise et n'eut pas le temps de reculer. Son ami lui enserra la jambe et le fit basculer dans l'étang.
John se retrouva plongé sous l'eau. Plusieurs mains se mirent à le tirer dans tous les sens, le faisant hurler de douleur et de terreur. Un doigt dur comme de la pierre creva son œil, et ses jambes furent maintenus prisonnières, l'empêchant de refaire surface pour prendre une dernière goulée d'air.
Une eau croupie se déversa dans ses poumons et le noya.
L'eau de l'étang redevint calme.
FIN