Voici mon texte, avec du retard il est vrai...
MUTATION
Stonefield Storm. Une société pharmaceutique privée de renommée internationale. En décembre 2005, un de ses innombrables employés, (nous l'appellerons Michel Verdier), fut muté dans une petite bourgade perdue dans la campagne française.
Les faits relatés ci-dessous sont tirés du rapport d'expérience 154-B3, et plus précisément du journal de Michel Vernier.
3 Décembre 2005
Cher journal.
Aujourd'hui, c'est avec tristesse que je prends la plume pour noircir tes pages. Une bien mauvaise nouvelle m'attendait dans ma boîte aux lettres : je suis muté ! Je ne te raconte pas le choc : j'étais déconfit, anéanti, détruit, aplati, ramolli ! C'est tout juste si j'ai lâché ma larme ! Ces enfoirés de Stonefield auraient pu m'en parler avant quand même ! Mais que veux-tu ? Dans ces grandes sociétés où l'on a de "contact" qu'avec son supérieur, le contact humain est mis de côté.
Il ne me reste que deux jours pour dire au revoir à l'équipe. Pierre, en qui je voyais déjà mon nouveau meilleur ami, avec ses blagues vaseuses mais toujours désopilantes ; Simon, le chanteur, qui égayait nos journées de sa jolie voix d'oiseau ; Gabrielle, la ronchonne qu'on aimait tant taquiner ; et surtout : Marie. La jolie Marie... Je n'ai même pas eu le temps de lui parler de moi, d'elle, de nous... Je ne suis peut-être pas son genre mais certains regards ne trompent pas. Je t'ai déjà raconté tout ça quelques pages auparavant. Et bien tout cela part en fumée ! À quoi bon vouloir créer une relation quand on est loin ? Ça ne marche jamais !
Comme tu le sais, j'ai toujours du mal à me faire de nouveaux amis. Je mets du temps. Toujours ma sacrée timidité qui prend le dessus, mais que veux-tu ? On ne change pas comme ça.
Je suis muté à Ambilly, une petite ville que je n'ai même pas trouvée sur la carte ! Je m'attends à tout : trou miteux peuplé d'une trentaine d'habitants, ancienne ville classé Cevezo, repère d'anciens SS ou pire : de péquenots ! Tu me connais, je suis un gars de la ville ! Les odeurs de fumier et le chant du coq, ce n'est pas pour moi !
Mais bon, ne faisons pas trop de conjectures, et advienne que pourra. D'autant plus qu'un logement de fonctions m'a déjà été attribué, ça fera ça de moins à gérer.
Ah ! J'oubliais ! Ils m'ont augmenté. Les petits malins !
6 Décembre 2006
Et voilà, on y est ! C'est pas la joie, ça tu peux me croire. J'ose même penser que tu l'as senti, quand je t'ai sorti du carton de livres où je t'avais rangé, tout emmailloté dans une serviette, comme un nouveau-né !
Le déménagement s'est superbement bien passé : il n'a pas cessé de pleuvoir ! De quoi me souhaiter la bienvenue dans le coin. Mais bon, laisse-moi te dépeindre les lieux !
C'est simple : on se croirait dans un Walt Disney dessiné par un psychopathe ! La ville est déserte. Je n'ai pas vu une seule personne dans les rues. Il pleuvait tu me diras, mais bon... Pas un parapluie, par une voiture, pas un chien ni un oiseau : rien. J'ai demandé quelques renseignements aux deux types qui m'ont aidé à décharger mes cartons mais je crois qu'ils ne parlaient pas français. En tout cas je n'ai pas eu le plaisir d'entendre le son de leur voix !
Mon logement de fonction se trouve dans un immeuble gris. Très joyeux ! Le genre de bâtiment qu'on s'attend à voir démoli à coups de dynamite sous huitaine ! Mais à l'intérieur : surprise ! Un grand hall peint en blanc, très propre, un escalier nickel et un couloir fraîchement repeint. On se croirait dans un immeuble parisien. Il y a d'autres appartements mais je n'ai pas eu le temps de regarder les noms sur les sonnettes !
Et l'appartement ? Et bien écoute, j'ai été plutôt surpris. C'est un meublé refait à neuf, avec de la moquette épaisse couleur crème, des murs de crépis blanc, un insert dernier cri, une petite salle de bain somme toute assez coquette, une cuisine équipée tout en chromes, une chambre avec un lit immense, une grande baie-vitrée avec vue sur le rien et surtout, et là c'est quelque chose... des glaces ! Partout ! On se croirait à Versailles ! Quand tu allumes une lumière, le soleil semble rentrer dans la pièce ! À mon avis, les gars de Stonefield Storm ont tout retapé pour mon arrivée, et c'était la moindre des choses ! S'ils m'avaient refilé un taudis, j'aurais dit basta !
Bref, me voilà en peignoir et pantoufles, assis à mon bureau (une belle planche de verre serti d'aluminium), en train de te raconter mes impressions à la lueur d'une très bourgeoise lampe d'avocat, mon petit verre de cognac à moitié vide à portée de lèvres.
Ah ! Je ne t'ai pas parlé des instructions ! Sur la table de la cuisine m'attendait une feuille dactylographiée. Cinq jours de repos me sont alloués pour m'habituer à mon nouveau logement. Le 11 décembre au matin, on viendrait me prendre à 6h30 tapante. La bonne nouvelle ! Cinq jours de grasse matinée, ça m'a fait chaud au cœur ! J'aurai le temps et le privilège de découvrir cette contrée enchanteresse d'Ambilly !
7 décembre 2005 : 3h30
Je n'arrive pas à fermer l'œil. Des bruits bizarres résonnent contre les cloisons et j'ai entendu des bruits de pas qui semblaient venir de la cuisine. J'ai eu peur comme un gamin ! Tu m'aurais vu ! Ça devait être les voisins. J'irai faire leur connaissance demain matin. C'est important, les bonnes relations de voisinage...
7 décembre 2005 : 8h52
Je suis dans la merde ! Enfermé dans l'apart' : ma clé a disparu et la porte est bloquée ! Et c'est pas tout : pas moyen d'ouvrir ces satanés volets : le bouton est coincé ! Je ne sais même pas s'il fait jour !
Et bien sûr – je ne l'avais pas remarqué hier – mon portable ne capte pas dans ce trou ! J'ai essayé d'alerter mes voisins en cognant contre les murs et les radiateurs, mais personne ne m'a répondu. Y a de quoi tomber fou...
7 décembre 2005 : 9h34
Je suis dans la chambre. C'est la seule pièce où la lumière fonctionne encore ! Cet appart' tombe en ruine, je te raconte pas ! Plus rien ne marche dans la cuisine, ni dans la salle de bain d'ailleurs. J'ai été obligé de me diriger avec la lumière de l'écran de mon portable, qui n'a presque plus de batterie d'ailleurs. J'ai encore entendu des bruits sourds. J'ai collé mon oreille contre les cloisons mais plus rien. Je commence à ne pas me sentir très bien et j'espère que ça va vite cesser.
7 décembre 2005 : 13h42
J'ai vu une femme, sous la forme d'une lumière blanche, sans traits distincts, les bras tendus vers moi, dans le couloir de l'entrée, comme une apparition. J'ai hurlé de trouille et me suis cloîtré dans la chambre. La lumière grésille et les bruits résonnent de plus en plus. Je n'ose plus crier, car j'entends des pas dans l'appartement. Mon portable ne marche plus. Ça gratte à la porte...
RAPPORT D'EXPERIENCE 154-B
Sujet : Michel Vernier.
Type d'isolement : appartement-B12
Temps d'acclimatation : 6h
Echelon 1 : coupure avec l'extérieur
Echelon 2 : sons
Echelon 3 : extinction des principaux feux et énergies
Echelon 4 : apparition type a
Echelon 5 : extinction totale de la lumière
Echelon 6 : rongeurs
Echelon 7 : voix
Echelon 8 : poursuite
Echelon 9 : apparition type b
Echelon 10 : mise en application phobie niveau 1
Echelon 11 : mise en application phobie niveau 2
Echelon 12 : mise en application phobie niveau 3
Observations : Ok
Prélèvements pour analyses : Ok
Programme : procédure abandonnée - sujet en observation dans appartement-B12 pour examens complémentaires jusqu'à nouvel ordre.
FIN