Atelier 5 : Un autre jour

Bon voilà mon exo... mais franchement... bon courage à vous...

11h30. Encore une journée à vivre, ça n’en finit plus.
Allez zouh ! Tout d’abord, quitter la chaleur rassurante du lit douillet, ensuite affronter le carrelage glacial du couloir, chercher ma robe de chambre dans la salle de bain, faire chauffer le café et enfin, aller pleurer en silence dans mon bureau. Tout un programme. Après on avisera.
Je tire alors les couvertures délicatement en prenant soin de ne pas les réveiller. Je descends les escaliers de la mezzanine et là je me retrouve face à face avec Jude, mon chat. Il me jette un regard noir, d’une éloquence sans réplique.
Sa gamelle est vide.
Je lui donne quelques croquettes au saumon mais il reste là à me fixer de ses yeux jaunes. Inutile de lui demander ce qu’il attend, il m’a vu revenir de courses la veille et sait pertinemment que j’ai acheté une tarte tatin. C’est sa pâtisserie préférée après le Paris-Brest. Je baisse alors les yeux d’un air faussement coupable et lui donne une caresse sur le museau.
- Je sais ce que tu veux crapaud, mais il n’en reste plus.
Il pousse alors un long soupir et part bouder dans sa panière. Je vais donc dans la salle de bain, pressé de me blottir dans la douce étoffe de ma robe de chambre, mais elle n’est plus là, le cintre est vide et pendouille lamentablement de gauche à droite. Furieux, je me précipite alors dans la cuisine et je la vois, tranquillement installée à la table, en train de siroter un de ses thés au miel.
J’avais complètement oublié que je ne vivais pas seul.
Je jette alors un regard assassin à ma femme et lui balance un chausson à la figure.
- Tu m’as encore piqué ma robe de chambre, harpie de malheur !
- Non.
- Comment ça, non ?
- Non.
- Tu te fiches de moi ?
- Non.
Je sens le sang battre à mes tempes mais décide de ne pas l’étriper tout de suite, de bon matin ça risquerait de me flanquer la nausée. Je me venge alors sur le chat et vide sa gamelle dans l’évier sans autre forme de procès.
Le petit déjeuner devra se passer de moi. Je décide de passer à l’étape suivante.

Je vais donc dans mon bureau, je ferme les volets et m’enferme à double tour dans l’obscurité. Je m’installe confortablement sur ma chaise, sors mon paquet de mouchoirs, prêt pour les grands flots, mais aucune larme ne vient. Je me pince alors les paupières et, comme ça ne marche toujours pas, je les tords dans tous les sens.
Mais en fin de compte je ne réussis qu’à me faire atrocement mal, ce qui indique d’un autre côté que je suis bel et bien en vie. Reconnaissant alors qu’il s’agit là d’un bon point, je décide finalement d’aller goûter ce thé au miel.

Dans ma tasse, je trouve un vieux clou de charpentier littéralement rongé par la rouille. Encore une lubie de Véronique. Depuis qu’elle s’est mise au bricolage, ça arrive de plus en plus fréquemment. J’ignore si c’est pour le goût qu’elle fait ça ou si c’est dans l’espoir de contracter le tétanos mais, ne sachant pas si le clou est encore bon, je préfère le jeter à la poubelle.
Je bois alors l’affreux breuvage cul sec et tape la tasse sur la table qui résonne dans un bruit mat. Soudain, alors que je savoure la brûlure qui me déchire la gorge, je sens une larme qui sillonne timidement sur ma joue. Je me précipite alors dans mon bureau, et me renferme à double tour. Bientôt une deuxième larme vient rejoindre sa courageuse camarade. Et s’ensuit alors un déferlement délicieux de liquide lacrymal. Les joues trempées, je me laisse donc aller au désespoir le plus complet et tente d’élucider une fois de plus le mystère de ma vie.
Pourquoi suis-je malheureux ?
Une larme s’arrête alors près de mon oreille et me chuchote discrètement que la vie n’est pas rose, et que de toute manière les couleurs sont ainsi faites qu’elles s’émoussent un peu plus à chacune de nos respirations, c’est comme ça. Puis juste avant de glisser elle m’annonce que Véronique est malheureuse elle aussi, et qu’elle souffre tout autant.
J’encaisse la triste nouvelle en silence et essuie la larme en question.
Véronique…
Bien sûr, quiconque la verrait se pavaner à longueur de journée, flanquée de sa clé à molette en bandouillère, à faire d’incessants aller retour entre son atelier et le salon, penserait que l’ampoule a grillé depuis un moment. Mais il ne s’agit là que d’une particularité parmi d’autres. Cette manie, par exemple, d’utiliser sa clé à molette comme d’une menace implicite, tout ça dans le but d’avoir la meilleure place pour regarder la télé. Ou encore cette étrange habitude qu’elle a de répondre « non » à tout ce qu’on peut lui dire.
Oui, Véronique est bizarre, c’est un fait avéré. Mais j’ignorais qu’elle pouvait également être malheureuse.
La séance de pleurs n’aura décidément pas porté ses fruits aujourd’hui. Je me sens encore plus petit, encore plus vulnérable et encore plus minable qu’hier.

(suite)

Dans le couloir, je décroche le tableau de Dali et j’emprunte le passage secret pour rejoindre Véronique dans l’atelier. Je m’approche d’elle à pas de loup et l’observe attentivement dans la pénombre.
A la voir ainsi, accoutrée d’un sinistre bleu de travail, la mine blafarde, je ne peux m’empêcher de repenser à l’époque où je l’ai connue. Elle était plutôt gaie, coquette et nourrissait de grands espoirs dans l’avenir. Et surtout elle parlait normalement… Bref, elle était l’anti-portrait de ce qu’elle est devenue avec le temps.
Je fais un pas vers elle, tendant un bras pour lui caresser la nuque, mais sa main vient effleurer la clé à molette qui pend sur la robe de chambre volée, m’indiquant par là que toute contrariété serait mal venue.
- Pourquoi on ne se parle plus ?
- Non.
- Tu sais que je t’aime ?
- Non.
- Et toi, tu m’aimes ?
- Non.
Je sers les dents. Jude apparaît alors, se love entre ses jambes et se couche à ses pieds, me lançant un regard dans lequel suinte encore l’amertume. Je l’ignore.
- Qu’est-ce qui a changé à ce point entre nous ?
- Non.
- Pourquoi tu ne m’aimes plus ?
- Non.
- Chérie…
Et là voilà qui repart à son ponçage, sans une réponse ni un regard. Le chat se met alors à ronronner et me sourit effrontément de ses dents brillantes. Je recule de trois pas pour prendre mon élan et lui flanque un coup de pied dans les côtes. Il vole à travers la pièce et atterrit avec élégance sur ses quatre pattes, comme toujours.
J’aimerais bien être un chat.

Normalement je devrais tondre la pelouse aujourd’hui. Mais Véronique ne va plus dans le jardin. Véronique passe ses journées dans son atelier à bricoler et à dire non. Rien d’autre ne semble exister pour elle que le bricolage, la télé et ce satané chat. Alors à quoi bon ? Et en plus il pleut…
Non, j’envisage plutôt de me suicider une fois que j’aurai essuyé la vaisselle. Je me dirige alors à la cuisine, donne une claque au chat qui passait par là, et m’empare d’un torchon dans le placard. Tout en frictionnant une assiette, je pense alors à la méthode que je vais employer pour me refroidir.
L’idéal serait de faire un saut en parachute sans parachute, mais n’ayant pas d’avion j’abandonne immédiatement l’idée. La noyade apparaît alors comme une solution envisageable, mais je n’ai pas de baignoire assez profonde. Le mieux serait donc de me pendre, mais je n’ai jamais su faire de nœud de cravate alors un nœud de pendu…
Machinalement, je regarde l’heure à la pendule et une idée me vient subitement. C’est bientôt l’heure de Derrick à la télé. Un épisode devrait suffire à me plonger dans le coma.
Je me dirige alors vers le salon d’un pas décidé. C’est alors que je trouve le chat affalé sur le canapé en train de se repasser pour la énième fois le dvd du peuple migrateur.
- Décampe crapaud, lui dis-je alors avec autorité.
- …
- Tu m’as entendu ? Casse toi !!!
C’est alors qu’il lève ses deux pattes avant, les porte à son museau et m’adresse un pied de nez obscène.
Furieux, je me jette sur lui, déterminé à en finir avec cette calamité insolente, mais celui-ci m’esquive adroitement et je me cogne alors le menton sur le bord de la table basse. Je me relève d’un bond et me campe fermement sur mes deux pattes. Le chat me toise sans ciller, décrivant autour de moi des cercles menaçants.
Je recule alors de trois pas, prends mon élan…

Finalement, l’épisode de Derrick n’a eu aucun effet sur moi, si ce n’est qu’en fin de compte il m’a redonné un souffle d’espoir. Une discussion avec l’inspecteur, qui soit dit en passant n’est pas du tout l’homme que l’on croit, m’a définitivement convaincu quant aux vertus réparatrices du bricolage.
L’inspecteur m’a révélé de sources sûres que Véronique nous fabriquait une nouvelle vie, je vais donc aller la rejoindre à son atelier. Peut être même que je lui donnerai un coup de main en fin de compte. Après tout, on ne sera pas trop de deux pour réparer les dégâts.
Je lui demanderai si elle a besoin d’aide, et là peut être qu’elle me répondra oui, qui sait.

Je dirai etrange, tres etrange. C'est pas toi qui lit du Boris Vian? (j'arrive plus a retrouvez qui c'est). Parce que là c'est a ca que je pense. Sinon, le perso je le trouve attachant (a sa maniere, parce que ca vie c'est pas ca), on veut savoir la suite, ce qu'il va faire, pourquoi il est comme ca. C'est un texte different de d'habitude, mais bien.

PS: le chat doit avoir quelques trucs casser, à moins qu'il soit tres resistant. Et puis j'aurai dit qu'il faisait une patte de nez

Oui, j'ai découvert Boris Vian y a pas longtemps et c'est clair que son côté loufoque déteint un peu sur moi ces temps ci... Va falloir que je fasse un break pour me laver le cerveau
En tout merci de ton commentaire

c'est sympa comme texte, complétement décalé mais au moins on rigole bien! et pour moi c'est le chat le héros de l'histoire! lol

C'est clair qu'on sent l'influence Vian.
Un bon texte où tu t'aventures dans un style différent, un gardant le plus important : ton humour !

Le coup du DVD m'a fait rire ! c'est rare de rire (en faisant du bruit j'entend) en lisant...

Pour ce qui est de l'exo, un peu raté non ? Peut-être que le ton pessimiste n'arrange rien?...

Citation :

Pour ce qui est de l'exo, un peu raté non ?

Oui, je suis bien de ton avis je suis un peu en dehors là

Bizarre, bizarre, bizarre !
Je dirais même plus, étrange.
J'ai bien aimé.
J'ai pas très bien compris le coup de Derrick & le bricolage, mais c'était sûrement intentionnel ?
Bon, on retrouve tes qualités, c'est toujours un plaisir de te lire.
Sur le plan technique, j'aurais deux-trois critiques : il y a toujours des expressions ou des choix de mots qui me semblent un peu exagérés ou décalés, par exemple quand le perso "frictionne" une assiette, pour ne citer qu'un exemple... Dans l'ensemble c'est bon d'employer un vocabulaire riche, et c'est une de tes qualités, mais parfois comme là ça peut pousser le lecteur hors de l'histoire et des images. C'est que mon avis, mais pour moi, il est primordial de consever une fluidité au niveau des images ; parceque bien sûr la magie de la lecture, c'est de se déconnecter des signes imprimés sur la page, et de plonger dans une succession d'images, de bruits/voix etc... que notre esprit construit à partir du matériau "texte". Et si tout d'un coup je "bute" sur un mot, ça me dissous mon petit film pour me faire apparaître la froide, plate et crue réalité des signes imprimés sur la page, de la technique de l'écriture...
Je prendrai un autre exemple qui ne se situe cette fois pas au niveau du vocabulaire mais au niveau de la narration : quand le chat vient se lover aux pieds de Véronique, moi j'imagine qu'elle est devant son établi, dans une pièce très encombrée, des vieux cartons à côté etc., et sur un plan visuel j'ai du mal à me représenter le perso qui prend son élan, et donne un grand coup de pied dans le chat sans bousculer Véro, qui arrive à le déloger d'entre ses jambes et le faire valdinguer à l'autre bout de la pièce... visuellement, ça gêne. Bien sûr on fait confiance à l'auteur, on continue la lecture, on passe à autre chose, mais n'empêche qu'au passage on a perdu un peu de notre torpeur de quand on est confortablement plongé dans les images comme dans un cocon.

Bon, pour passer à autre chose : quelques détails que je chope au vol, là, en zyeutant la nouvelle :
"Elle nourrissait des espoirs dans l'avenir", j'aurais plutôt dit "pour l'avenir".
"Des larmes sillonnaient sur sa joue", je suis pas sûr que ce soit français, j'aurais plutôt dit "sillonnaient sa joue"...
Ah et puis fais gaffe, t'emploies vachement trop le mot "alors", ça donne un côté un poil enfantin à la narration et c'est pas très joli à la lecture. D'ailleurs d'une manière générale, tu pourrais peut-être limiter l'utilisation de tous ces petits mots de connection qui deviennent horribles quand y'en a trop, genre "donc", "alors", etc... Tu écris largement assez bien et tu construis assez bien la progression/enchaînement du texte pour qu'on puisse s'en passer : on comprendra tout aussi bien que telle chose est la cause de telle autre sans mettre un "donc" entre les deux, ça coule naturellement (parce que tu en as le talent).

Bon, je m'étends vachement sur ces défauts, là, mais ça reste pour moi des critiques bien mineures, hein ! Mais je pense qu'en faisant attention à tous ces petits détails tu pourras encore améliorer tes textes.

Voilà ! Je continue bientôt ma lecture de tes oeuvres. Il me tarde !

Merci pour tes remarques Oukontiamban, il y effectivement pas mal de points à revoir dans ce texte et je te remercie d'avoir pris le temps de relever les coquilles Sinon c'est surement le texte le plus bizarre que j'ai écrit, j'étais dans ma période Boris Vian et je dormais pas beaucoup et du coup j'avais des idées étranges Pour l'inspecteur Derrick, c'est parti d'un délire de fatigue, ce passage est surement en trop...
Bon, jsuis quand même content que cette nouvelle t'ait pas trop rebuté parce que quand je la relis aujourd'hui, j'ai les dents qui grincent!
Voilà voilà, merci pour ce long commentaire, ça m'aidera

bien[

Heu oui... Ce texte n'est pas terrible, j'ai voulu faire de l'absurde et au lieu de ça j'ai fait un peu du n'importe quoi, je m'en rends compte avec le recul... Sinon pour Boris Vian, je pensais surtout justement à ce côté absurde, pas vraiment à son style qui est inimitable! Je me doutais qu'il ne te plairait pas Cornélia, je commence à connaitre tes gouts