Un ptit texte qui m'a été inspiré par les derniers concerts que j'ai vus, c'est du 2d degré, je préviens
Nous étions installés depuis deux heures sur le devant de la scène, à patauger dans la boue et à guetter le moindre mouvement provenant des coulisses. Mélodie avait déjà eu trois malaises, Baptiste avait vomi deux fois et pour ma part mes pieds s’étaient tant et si bien enfoncés dans le marécage des piétinements incessants que je m’étais rapidement retrouvé paralysé. Mes genoux commençaient à trembler de manière inquiétante et une jolie nausée me faisait de l’œil depuis un moment.
Autour de nous, les festivaliers, visiblement non conscients de ce qu’ils s’apprêtaient manquer, allaient et venaient entre les différents stands et goûtaient l’insouciance de ceux qui ne savaient pas.
Quand Mélodie eut à nouveau un malaise, j’attrapai le bras de Baptiste qui s’apprêtait à lui administrer une dose d’adrénaline en spray.
- Tu vas finir par la tuer avec tes remèdes de savant fou.
- Je ne suis pas fou.
- Et tu n’es pas savant, alors laisse la dans la boue. On risque de manquer le début à cause d’elle.
Baptiste rangea son spray, peu convaincu, et vomit sa perplexité en direction de la scène, toujours désespérément vide.
- Attends moi là, lui dis-je. Je vais voir où il est.
- Qui ça ? Jaün ?
- Oui, je veux m’assurer qu’il viendra.
- Mais il est au programme, tu n’as pas à t’en faire. Et puis tu es paralysé.
Sur ces paroles, j’abandonnai mes bottes à la boue et contournai la scène, perdant encore une chaussette dans une ventouse de glaise. Sous l’œil moqueur du soleil qui pourtant, de son côté, peinait à escalader le ciel en cette matinée de printemps, j’arrivai à hauteur du standardiste des coulisses. J’étais dans un état effroyable, la seule chaussette qui était restée fidèle à mes pieds pendouillait tristement au bout d’une jambe couverte de boue et d’autres substances bien moins reluisantes. Les cheveux hirsutes, je m’adressai au « chargé de l’accueil » dans un langage qu’il ne comprit tout d’abord pas. Puis, m’avisant qu’il n’était pas de ceux-là, je réajustai le tir.
- Excusez moi, je voulais juste vous demander si Jaün jouait bien ce matin ?
- Jaün ? C’est le gars qui change de couleur entre chaque chanson ?
- Oui, répondis-je, songeant en moi-même que c’était là une manière bien réductrice de définir celui qui raconte.
- Ca dépend, tout le monde ne le voit pas.
- Oui, je sais. Mais est-ce qu’il joue ?
- Oui, il jouera entre Grodur et Pazaupoing.
- Est-il possible de le voir pour m’en assurer ?
- Puisque je vous dis qu’il jouera !
- C’est que voyez vous, je n’ai aucune confiance en vous, dis-je en levant le menton dans un mouvement impressionnant.
- Ben il faudra vous en contenter, répondit le courageux standardiste, nullement affecté par mes manœuvres d’intimidation.
- Bien, dis-je. Je reviendrai.
Je récupérai ma chaussette dans l’océan de boue qui s’étendait sur tout le devant de la scène et repris place dans mes bottes, aux côtés de Baptiste et de Mélodie. Cette dernière s’était réveillée pendant mon absence.
- Tu te sens mieux, lui demandai-je en braquant un regard soupçonneux sur Baptiste.
- Oui, merci. Le concert ne devrait plus tarder à présent.
- Tu l’as vu ? me demanda Baptiste.
- Non, le réceptionniste est un incompétent et il ne connaît Jaün que pour ses changements de couleurs.
Un stigmate d’agacement se dessina sur leurs visages.
- Imbécile !
- Ignorant !
- Terrien !
Soudain, une ombre chinoise jaillit des recoins de la scène et se dressa devant le micro dans un mouvement ondulant. Personne ne parût la remarquer, et lorsque Jaün se matérialisa dans un bleu nuit éclatant, un pied sur le manche de sa guitare, peu nombreux furent ceux à l’applaudir. Les non réceptifs nous observaient d’un œil interloqué et guettaient la scène pour s’assurer que Pazaupoing ne jouaient pas en avance par hasard. Ne percevant évidemment rien, ceux-ci repartirent rapidement à leur morne ignorance.
Jaün leva un pied et caressa de ses doigts experts sa guitare en bois qui chanta alors la mélodie qui lui était soufflée. De sa voix caméléon, celui qui raconte entonna une mélopée Glauzdh, de celles qui ne s’entendent qu’en écoutant vraiment, et posa son regard aux mille expressions sur les quelques initiés qui ouvraient des yeux ronds sur le devant de la scène.
Bientôt une brume scintillante se déposa aux côtés de Jaün et une contrebasse se matérialisa dans une pluie d’étoiles. Zul fit alors son apparition et chuchota à la caisse de résonance de l’instrument une harmonie évidente qui, dans un vol nuptial aux ondes chatoyantes, se coupla au chant de Jaün. Des fils musicaux s’entortillèrent alors autour de nous et se glissèrent dans nos têtes. Plus paralysé que jamais, mon corps se débarrassa de mon esprit, soudain trop complexe à retenir et à comprendre. Je quittai alors ce monde pour des vallées oubliées, avec pour seul guide ce tissage ingénieux et embrassai de tous mes sens ces terres rares et précieuses auxquelles ce voyage me conviait.
Plus bas, les magiciens continuaient d’enchanter les airs et redoublaient d’astuces afin de nous maintenir la tête ailleurs pour encore quelques instants. Mais peu à peu l’étreinte se fit moins dense et ce fut lourdement que j’atterris alors dans mes bottes, au beau milieu de la boue.
Pazaupoing entraient déjà sur scène, Jaün s’était volatilisé. Le voyage avait duré quelques minutes à peine, le temps pour les techniciens de préparer la scène après le passage de Grodur.
Mais pour ceux qui regardaient bien, pour ceux qui regardaient afin de vraiment voir, une ombre chinoise continuait à danser autour du micro, accompagnée de quelques étoiles.
FIN