Une journée comme les autres

Je viens de relire ce texte que j'avais écris il y a de ça quelque temps, je serais curieux de savoir ce que vous en pensez.


La vie de Monsieur Pierre n’avait vraiment rien d’extraordinaire. Et pour cause, elle était réglée comme du papier à musique à la rengaine éculée. Tous les jours, c’était la même routine, navrante et monotone.
Il se levait le matin à 7 heures, partait au travail vers 8 heures, déjeunait à la cantine le midi, prenait sa pause café à 15 heures et repartait chez lui vers 18 heures.
Le soir, il mangeait à 19 heures et suivait le journal télévisé à 20 heures. Ensuite, selon l’intérêt des programmes, il regardait la télévision ou lisait un roman.
Puis, vers 23 heures, il se couchait et entamait ainsi ses 8 heures de sommeil quotidiennes. Comme d’habitude.
Pendant les week-end, Monsieur Pierre lisait beaucoup, allait au cinéma et sortait avec ses amis.
Tout ce qu’il y avait de plus banal en somme.

Mais quelqu’un décida un jour de mettre un peu de piquant dans cette fadeur et de rendre la vie de Monsieur Pierre palpitante, intrigante et jonchée d’aventures diverses.
Mais voilà, ce que quelqu’un n’avait pas prévu, c’est que Monsieur Pierre tenait à sa vie sans tumulte et sans accrocs. Il y tenait dur comme fer.
Aussi, lorsqu’un dimanche matin il reçut cet étrange coup de téléphone, sa vie, sur le point alors de basculer, ne vacilla pas d’un iota.
- Allo… Monsieur Pierre, disait la voix.
- Oui, qui est à l’appareil ?
- On ne se connaît pas… Mais il faut absolument que l’on se voit ! Je dois vous montrer quelque chose… Rendez-vous au café en bas de chez vous à 14 heures !
- Je suis navré mais j’ai d’autres projets.
- Mais… fit la voix, décontenancée. Votre vie en dépend, Monsieur Pierre ! Je ne vous veux aucun mal. Je ne vous demande que cinq petites minutes…
- Non, désolé. Bonne journée.
Et il raccrocha. Cet après midi, il avait prévu de se faire une toile et de rentrer chez lui ensuite pour terminer la lecture de son roman, confortablement installé dans son rocking-chair avec un cappuccino.
Aller dans un café pour rencontrer un inconnu à 14 heures ne faisait pas partie du programme.

Une fois la table débarrassée et la vaisselle faite, Monsieur Pierre prit son manteau et se rendit à la séance de 15 heures au cinéma du quartier. Il avait opté cette fois ci pour une comédie. Il donna sa carte à la fille du guichet qui lui précisa qu’il ne lui restait plus que 3 places sur son compte mais qu’elle pouvait le recharger s’il le désirait. Il déclina poliment la proposition et se dirigea vers la salle qu’un homme lui désignait tout en déchirant une partie de son billet. Ce dernier lui rendit son billet avec un étrange regard puis se tourna vers le client suivant.
Alors que Monsieur Pierre parcourait le couloir qui le menait à sa salle en observant d’un œil distrait les affiches de films qui se succédaient sur les murs, il se rendit compte qu’il avait dans la main, en plus de son billet, un morceau de papier plié en quatre. Il l’ouvrit machinalement et put y lire : Quatrième siège en partant de la gauche, troisième rangée.
Il jeta le papier en passant devant une poubelle et pénétra dans la salle 5.
Comme à son habitude, il prit sa place au fond de la salle, sur le côté. Monsieur Pierre tenait à sa tranquillité et avait en horreur ces gens qui vous donnaient des coups de genoux dans le dos ou qui parlaient dés qu’il n’y avait plus d’action ou que le film ne les intéressait plus.
Pendant le film, il n’accorda pas le moindre regard à la place qu’on lui avait suggérée sur le papier. Il s’en fichait totalement et n’était de toute façon pas le moins du monde intrigué. A vrai dire, il n’y pensait même pas, le film, bien que très moyen cette semaine, monopolisait toute son attention.
A la fin de la séance, Monsieur Pierre s’engagea dans la file de spectateurs et quitta la salle. Dans le hall, il passa devant l’homme qui lui avait remis le papier sans même apercevoir le regard noir qu’il lui jetait.
Mais alors qu’il s’apprêtait à sortir, une voix l’interpella.
- Monsieur, je crois que ceci est à vous…
Une femme d’une trentaine d’année, dans le genre BCBG, se tenait devant lui et l’observait d’un œil avide.
- Je vous demande pardon ? fit Monsieur Pierre d’un air distrait.
- Ceci… dit-elle en lui tendant un téléphone portable. Vous l’avez laissé dans la salle.
Le téléphone se mit à vibrer. La femme le lui mit alors de force dans les mains et se précipita vers la sortie, laissant Monsieur Pierre sans réaction.
Celui-ci, perplexe, observa à tour de rôle le téléphone qui continuait à vibrer et l’étrange femme qui s’était mis à courir une fois la porte du hall franchie.
Il s’approcha alors du guichet et attendit que l’ouvreuse lève la tête de ses papiers.
- Quelqu’un a dû oublier son téléphone dans la salle, lui dit-il quand il obtint son attention. Je suppose que c’est à vous que je dois le remettre ?
- Heu… Je ne sais pas… fit-elle, décontenancée. Vous êtes sûr qu’il n’est pas à vous ?
- Je puis vous l’assurer.
- Vous êtes vraiment sûr ? Il sonne, vous devriez peut être répondre…
- Puisque je vous dis qu’il ne m’appartient pas, je n’ai aucune raison de répondre !
Elle lui jeta un regard noir.
- Eh bien laissez le donc ici, répondit-elle sèchement. Puisque vous ne voulez pas répondre !
Il lui remit le téléphone portable, la salua aimablement et sortit du cinéma, boutonnant son col pour parer le vent froid qui lui fouettait le visage.

Quelque chose semblait vouloir s’immiscer subrepticement dans la vie bien rangée de Monsieur Pierre. Quelque chose ou quelqu’un, Monsieur Pierre n’avait pas la moindre idée sur la question. Encore eut-il fallu bien sûr qu’il se la pose.
Car enfin Monsieur Pierre avait pour fâcheuse habitude d’araser scrupuleusement les contours de son existence, si bien qu’aucune écharde ni aucun épis ne dépassait de la surface lisse de sa vie.
Alors quand ce quelque chose ou ce quelqu’un faisait une tentative d’intrusion, il glissait simplement sur lui et ne trouvait aucune paroi à laquelle se raccrocher.
Ce qui commençait à devenir franchement pénible !

En rentrant chez lui, Monsieur Pierre trouva une lettre glissée sous la porte. Aucune adresse, ni aucun nom. Juste un mot.
Urgent !!!
Il s’en empara en se demandant vaguement s’il avait pensé à payer la dernière facture EDF, et pénétra dans l’appartement en prenant soin, comme d’habitude, de verrouiller derrière lui.
Il décacheta l’enveloppe et en tira le feuillet qui y avait été glissé. Il se mit alors à le lire d’un œil absent.
Votre vie est en danger, Monsieur Pierre !
Ce que je voulais vous montrer ce matin, ce sont des photos de vous, prises dans votre appartement.
On vous espionne Monsieur Pierre et on veut votre perte.
Le temps presse, ils vont bientôt passer à l’action, il faut faire vite.
Ceci dit, j’ai peut être quelque chose qui pourra vous aider il faut qu’on se parle de vive voix pour ça.
Je vous téléphone ce soir.

- Ma vie va très bien, dit Monsieur Pierre tout haut en roulant en boule le papier qu’il jeta à la corbeille. Tout se passe très bien.
Et il s’installa dans son rocking-chair en s’emparant au passage de son livre et, comme prévu, se plongea dans la lecture, sans une pensée pour tous ces événements étranges.

A 20 heures, alors que le journal télévisé allait commencé, le téléphone retentit d’une sonnerie qui agaça Monsieur Pierre. Il songea tout d’abord à ne pas répondre mais se dit que finalement le meilleur moyen de se débarrasser de cette désagréable intrusion était d’aller à son encontre et d’expédier l’affaire vite fait bien fait.
Il décrocha.
- Allo.
- Monsieur Pierre ? C’est moi, fit la voix sans attendre la réponse. La personne qui vous a contacté ce matin et qui vous a…
- Ecoutez, tout va bien dans ma vie, je n’ai pas besoin d’aide ! Au revoir !
- Attendez, attendez !!! s’écria la voix, paniquée.
- Quoi !!!
- Comment se fait-il que vous ignoriez à ce point de telles menaces ???
- Je vous le répète, ma vie va très bien !
- Tout ça ne vous intrigue pas ???
- Non. Ma vie me plaît comme elle est, je n’ai pas besoin de ces débordements.
- Mais votre vie est morne, Monsieur Pierre. Ennuyeuse à mourir !
La voix se faisait plus dure et un soupçon de colère la faisait trembler.
- Qui êtes vous pour juger ma vie ? Et puis, quel rapport avec le reste ?
- Le rapport ??? Le rapport ?!! hurla la voix. Mais bordel de merde, je vous annonce que votre vie est en danger, vous restez de marbre !!! Je vous laisse des messages partout, je vous tends des perches énormes et vous n’êtes pas foutu de vous en saisir !!! Le rapport c’est que je ne comprends pas pourquoi vous vous bornez à ignorer l’intrigue !!!
- Ignorer quoi ???
- L’intrigue bordel ! Que vont dire les lecteurs s’il ne se passe rien ? Si vous restez là à aller au boulot, à lire vos fichus bouquins et à vous payer des cinoches ? J’ai une nouvelle à écrire, moi ! Alors bougez vous ou je change de sujet !!!
- Vous êtes fou à lier… Au revoir.
Et il raccrocha.
Peu de temps après, alors qu’il regardait le journal télévisé (comme tous les soirs), Monsieur Pierre avait déjà tout oublié de cette histoire.

Géniale l'idée !!! Bravo !!
J'adore ce personnage impassible, surtout quand il répond pour la première fois au téléphone !!!!!!!

j'ai kiffé ma race comme ils disent à la télé... Une Viniwow quoi...

Merci pour le com'! L'idée m'est vraiment venue par hasard, en relisant un début de texte j'ai trouvé ça tellement plat que j'ai cru à un moment que même mes persos se liguaient contre moi!

viniwow a écrit:

j'ai trouvé ça tellement plat que j'ai cru à un moment que même mes persos se liguaient contre moi!

L'idée est vraiment sympa !
La narration ,par contre, est un peu légère à certains passages...
Et je n'aime pas l'enchainement d'horaire du départ: c'est du vu et revu ( voir "le lacet et le destin" sur ce même site, par exemple).
Tu me diras,c'est difficile à éviter: j'ai moi-même 2 de mes nouvelles qui utilise ce système de : "8H00, il mange. 08H20, il se brosse les dents, 08H32,il...
Ce n'est pas très bon et c'est surtout éculé !
Remarque, cette critique va m'obliger à reprendre moi-même mes textes.
Sinon, bravo à nouveau pour l'idée qui est vraiment original. Unpeu retravailler, ce texte pourrait faire merveille...

[color=red]Je rejoindrai Berval pour le style narratif,

En fait le style plat rejoint un peu l'état d'esprit dans lequel j'ai écrit ce texte... J'étais pas inspiré avec les mots, j'ai eu cette idée et j'ai essayé de la coucher sur la papier comme j'ai pu et voilà

ok

Une très bonne idée, avec un personnage principal que l'on cerne tout de suite et qui est très bien décrit à traver ses actions(ou son manque d'action ).

Superbe nouvelle, vraiment !
Avec une chute comme j'aime.
Chapeau ! Je me suis régalé à lire ça !

Contrairement à Berval, j'ai bien aimé ton début, quand tu commence avec ce systeme ou tu happe la journée de Pierre (monsieur Pierre, s'il vous plait !) heure après heure. Ca nous montre comment la vie de Pierre (monsieur s'il vous plait !) est morne et sans interet. Une vie banal et plate.

Ceci dit, au début, j'ai cru que tu allais virer vers PHONE, un film asiatique qui commence avec un coup de téléphone, et toute les personnes qui ont eu le même numéro sont mortes, car un fantome ne cesse de les appeler, et quand on decroche, on l'entend hurler...

Mais non, la chute est tellement... innatendue. On se casse bien la gueule à la fin Bien reussi.

Merci à vous!
Pour ce qui est du début j'ai longtemps hésité et finalement je l'ai changé pour le fanzine et j'ai réduit le paragraphe que je trouvais un peu trop lourd pour un début...

EXCELLENT ! J'ai éclaté de rire à la fin, je ne m'attendais vraiment pas à ça ! Pour être tout à fait honnête, rien ne m'a dérangé, dans ton histoire ni au niveau du style. C'est simple, clair et précis - tous les ingrédients pour former une nouvelle originale et surprenante.

Bravo !

Excellent, grandiose, titanesque, epoustouflant, gargantuesque !

Ben merci beaucoup à vous deux, ça fait plaisir de voir l'accueil chaleureux que vous reservez à Monsieur Pierre!!!