Voici une petite nouvelle ecrite le matin avant de commencer la boulot.
Vacances
−Je peux m’asseoir ici ?
Stéphane ne réponds pas, il se contente de hocher la tête. Il vient juste de se réveiller et peine à reprendre ses esprits.
L’homme qui a posé la question pénètre dans le compartiment et s’assoit sur la banquette d’en face.
−Bonjour dit-il.
−Bonjour répond Stéphane en s’étirant.
Déjà, le train repart. Les deux hommes sont ballottés quand le wagon passe sur les aiguillages, avant de prendre de la vitesse. Ils viennent de quitter la gare, les dernières maisons s’éloignent, laissant place à la végétation et au champs.
Stéphane regarde le paysage, quand il sent que son voisin l’observe. Utilisant le reflet de la vitre, il fait de même. L’homme a l’air amical.
Tournant la tête, Stéphane le regarde à son tour. L’homme semble vouloir engager la conversation. Pourquoi pas ? Se dit Stéphane. Après tout ça ne peut que rendre le voyage plus agréable.
−Vous allez jusque où ? Lui demande-t-il.
−Terminus. Et vous ?
−Pareil.
Le train passe sur un pont et lance un sifflet qui retentit sur l’eau en contrebas, remontant la cour du fleuve
−Vous y avez déjà été ? Reprend Stéphane.
−Non, ce sera la première fois. C’est comment?
−Je ne sais pas, je n’y suis jamais aller non plus. D’ailleurs je n’ai jamais pris cette ligne.
−Eh bien nous voila en route pour l’inconnu, plaisante l’homme.
Stéphane bouge à la recherche d’une position plus confortable. L’homme fouille dans son sac et sort un bouquin, mais il ne l’ouvre pas.
Visiblement, il n’a pas envie de lire, mais plutôt de discuter.
−Pour combien de temps on en a ?
−Ca dépend du nombre de gares qu’on va traverser, réponds Stéphane. Mais ça va durer un bout de temps.
−On va avoir le temps de faire plus ample connaissance alors. Moi c’est Daniel.
−Stéphane.
Ils se serrent brièvement la main. Autant bien s’entendre s’il faut passer plusieurs heures ensemble.
Le train ralentit. Il entre de nouveau en gare. Un petit village isolé au milieu de la campagne.
−Encore une, soupire Stéphane.
Peu de monde sur le quai. D’ailleurs, il y a juste une femme qui monte, les autres personnes patientent sur les bancs. Ils prendront peut-être le prochain, à moins qu’ils n’attendent quelqu’un.
−Il y en a tant que ça ?
Les wagons s’ébranlent, entraînés par la locomotive qui accélère.
−Ca n’arrêtent pas, dit Stéphane. Et tout ça pour une où deux personnes.
−En tout cas, on peut dire que c’est pas un express, répond Daniel avec un sourire.
Cette petite blague détend l’atmosphère, et calme Stéphane qui était sur le point de s’énerver. Tous ces arrêts l’agacent, il devra exister des trains pour les gens pressés et d’autres pour ceux qui ne le sont pas. Malheureusement ce système n’existe pas encore.
A peine la bonne humeur s’installe-t-elle que le train freine.
Encore une gare. Seul deux personnes grimpent à bord.
−Tout ça pour si peu de gens, dit Daniel. Ca ne m’étonne pas que le voyage soit si long.
−Oui, mais au moins on a le temps de voir le paysage, et c’est très beau dans le coin, répond Stéphane, résigné quand à la duré du trajet. Et plus on approche du terminus, et plus le paysage est paradisiaque. On y passera presque des vacances si on avait le temps.
Daniel acquiesce et s’approche de la fenêtre.
Devant eux s’étend une prairie où l’herbe est bien verte, coupée par une rivière qui serpente entre les bosquets. Au loin, scintillant au soleil, la mer s’étale jusqu'à l’horizon, où le ciel vient s’y noyer.
Une invitation à rester. Invitation qui s’installe profondément dans le cœur de Stéphane, lui qui a toujours été attiré par la mer.
−C’est vrai que c’est magnifique, une vrai carte postale, dit Daniel.
−Regarde, il y a du sable là- bas, ajoute Stéphane montrant un point dans la direction où ils vont.
Le train avance à bonne vitesse, et maintenant, la vaste prairie est parsemée de plaques de sable, les bosquets laissent place aux palmiers et aux cocotiers. Une gare se profile en amont. Le train ralentit et s’arrête une nouvelle fois.
−J’ai bien envies de descendre et de passer quelques jours dans un de ces villages, dit Stéphane.
Ca lui est venu tout seul, il n’a pas eu le temps de réfléchir. Lui qui est accro au boulot.
−C’est une bonne idée. Malheureusement, je ne pourrai pas faire la même chose. Mais vas-y, ne te prive pas.
−Je vais attendre encore un peu, plus loin ça doit être encore plus beau.
Incroyable. Sa décision est prise, et ce en quelques secondes. Tout ça parce qu’il à vu la mer au loin. C’est vrai qu’il n’y a pas été depuis longtemps. Trop de travail, et pas assez de temps pour se distraire. D’ailleurs pas assez non plus pour trouver quelqu’un avec qui partager sa vie. Stéphane est un solitaire, il peut se permettre d’être égoïste, et c’est ce qu’il va faire, en plaquant tout et en s’offrant des vacances ici.
Le train redémarre. Stéphane et Daniel sont tous les deux à la fenêtre. Ils admirent le paysage qui défile devant eux. Le sable gagne du territoire, la mer se rapproche. Bientôt, ils ne voient plus qu’une immense plage.
−Je descend au prochain, dit Stéphane.
A Peine dit-il ça, que les freins grincent. Gare en vue.
Stéphane se lève, décidé. Il attrape son sac et se dirige vers la porte.
Avant de sortir, il se retourne vers Daniel et lui tend la main.
Celui-ci la sert.
−Je t’envie, dit-il.
Puis Stéphane s’éloigne dans le couloir, et traverse le wagon. Il y a beaucoup de monde dans le train, malgré toutes les petites gares où presque personnes ne monte. Mais ça lui est égal. Il veut juste sortir et voir la mer. Ca vient du plus profond de son être, comme une voie intérieur.
Le train s’arrête, les portes s’ouvrent. Stéphane descend les deux marches, et pose le pied sur le quai.
*
Stéphane sort de la gare et contemple la rue qui s’étire devant lui comme un tapis le conduisant jusqu'à la mer, bordée de chaque coté par des maisons en bois et quelques magasins en dur. Ca doit être l’avenue principale. Des gens, peu nombreux, déambulent sur les trottoirs.
La rue descend en une petite pente régulière jusqu'à la plage. Il n’a qu’à se laisser glisser pour voir l’eau.
Pas tout de suite, il préfère prendre son temps. Maintenant qu’il est là, plus rien ne presse. Mais, il sait bien que c’est faux.
Il se retourne, contemple un instant la gare − bâtiment en briques, à la fois récent et ancien, comme s’il était là depuis des dizaines d’années, mais avait gardé la brillance de sa jeunesse − et commence à descendre l’avenue.
Il avise un bar, un peu plus loin sur la droite, et décide de s’y rendre.
A l’intérieur, l’atmosphère est enfumée. Nuage qui trouble la vue et pique les yeux. Il lui faut quelques temps pour s’y habituer. Une demi-douzaine d’hommes sont assis au comptoir, buvant une bière. Une famille est installée à une table, dégustant un repas. L’odeur des steaks et des graillons lui rappelle qu’il est l’heure de manger. Il choisit une table ni trop loin, ni trop prés de la sortie et des hommes au bar, et commande du poulet et des frites.
Les hommes l’observent. Il s’en est aperçu dés qu’il est rentré.
Qui est-il ? Que vient-ils faire ici ? Voila ce qu’ils se disent. Leur regard est méfiant, menaçant même, comme pour dire attention à toi, ne fait pas n’importe quoi, ici c’est chez nous.
Stéphane fait semblant de ne rien voir. Il n’est pas ici pour avoir des problèmes, et ne tient pas à provoquer les gars accouder au zinc. Ils ont l’air costaud, et à six contre un il ne ferait pas le poids.
Il finit son repas, paye et sort.
Le soleil lui réchauffe la peau, effaçant l’impression de malaise qui l’avait envahi à l’intérieur.
La mer l’attire toujours autant, mais il veut garder le meilleur pour la fin et décide de flâner en ville pour digérer.
Après quelques instants de réflexion, il continue à descendre la rue principale, en direction de la plage malgré tout. Un petit parc s’ouvre sur la gauche. Il traverse la route et s’y rend.
Des allées de gravillons, bien propres, le mènent jusqu'à une fontaine, où l’eau coule en quatre jets qui se rejoignent au milieu, crachés par des anges miniatures.
Le gazon est une invitation à s’asseoir, mais il s’y refuse, et préfère un banc qui borde la fontaine. Il s’y installe et constate qu’il est seul dans le parc. D’ici, il peut voir que des gens passent dans la rue, mais personne ne vient se relaxer.
Le repas et la douce chaleur du soleil on raison de Stéphane. Il se met à somnoler et part dans un rêve étrange.
Il se voit flottant au-dessus du sol, dans un champ le long d’une route. Des cris lui parviennent d’un peu plus loin. Il s’approche, et partout des corps gisent dans l’herbe et sur l’asphalte. Broyés, coupés, démantibulés. Certains, encore vivant, poussent des râles, mais ils ne tiendront pas longtemps. Il s’approche vers le corps le plus proche. Une femme. Elle le regarde, suppliante. Du sang coule de sa bouche. Stéphane se penche, elle tousse et l’éclabousse de rouge. Il se jette en arrière, tombe à la renverse…
… et se réveil sur le banc.
Quelle horreur ! Ca avait l’air si vrai, si réel. Il en a la chair de poule. Autant oublier ça, ce n’est qu’un mauvais rêve.
Stéphane se lève et sort du parc en se frottant les bras.
La rue est un peu plus animée depuis tout à l’heure. Il y a beaucoup de gens qui vont et viennent. Sûrement l’heure de pointe, la sortie des écoles et du boulot. C’est une petite ville, mais il y a de l’animation, pas comme dans ces villages qu’on traverse parfois, et qui semblent morts, abandonnés depuis des années. Ici, il y a de la vie.
Stéphane se décide à aller sur la plage. Il oblique dans cette direction, et part d’un bon pas. Maintenant qu’il est en accord avec lui-même, avec la petite voix au fond de lui, c’elle qui c’est installée depuis qu’il a vu la mer, rien ne pourra le faire changer d’avis.
L’océan a toujours eu sur lui un pouvoir hypnotique et apaisant. Le flux et le reflux des vagues le calment, l’apaisent. Il pourrait rester des heures à le contempler, perdu dans ses pensées. La mer l’attire inexorablement, et plus encore aujourd’hui.
Il avance sur le trottoir, quand il croise un homme qui boite, et se tient le bras, replié contre la poitrine. Il à la tête en sang, comme s’il venait de se battre. Stéphane pense immédiatement aux hommes du bar. Mais ça pourrait tout aussi bien être un accident. Il est tenté d’intervenir, mais, à quoi bon. Il n’a pas de connaissance médical et ne connait pas la ville. Et puis, personne ne prête attention à l’homme. Autant faire pareil, et ne pas s’attirer d’ennui. Essayant de chasser l’homme de ses pensées, il reprend sa route, et contemple la mer qui l’attend en bas.
Une brume légère se lève sur la plage, remontant vers la ville en ondulant, tel un serpent blanc se faufilant dans les herbes. Dommage, il ne pourra pas profiter d’une vue dégagée, mais l’attrait est toujours là. Il n’est pas venu là pour cuire au soleil comme le font tout ces gens l’été, mais pour se reposer, oublier un moment son travail, sa vie, et surtout parce qu’une part de lui-même ne lui à pas laissé le choix, sinon il serrait encore dans le train.
De l’autre coté de la rue, il repère un autre homme blessé. Il boite lui aussi et sa chemise est maculée de rouge. Peut-être s’agissait-t-il d’une rixe après tout, se dit Stéphane. Mais quand une femme arrive derrière, elle aussi couverte de sang, il pense alors à un accident. C’est dingue, ils n’ont pas de pompiers ici, pour que les gens remontent à pied ? pense-t-il. Se faisant, il regarde en haut de la rue et voit l’homme qui se tenait le bras et boitait entrer dans la gare. Curieusement, il marche normalement, en balançant les bras comme tout un chacun. La douleur à du passer.
Il revient à son but, et constate que la brume c’est épaissie et est rentrer plus en avant entre les battisses. Elle va bientôt l’atteindre. Le temps change rapidement par ici, se dit Stéphane. Mais la mer pendant une tempête, c’est aussi un spectacle magnifique. Voir les vagues qui éclatent contre les rochers en rugissant, projetant de l’écume à plusieurs mettre de haut est fascinant. Toute cette force, cette puissance que personne n’a réussi à dompter. La mer est la plus forte et le sera toujours. Elle est libre, et c’est ça qui attire Stéphane. Pour lui qui est prisonnier, volontaire certes, mais tout de même prisonnier, de son travail, elle est un symbole. Suivant les endroits, le regard peut se perdre au loin sans rencontrer un obstacle. Immensité qui donne le vertige, renforçant le sentiment de liberté et de grandeur.
Pour ne rien perdre du spectacle, Stéphane hâte le pas. Autant arriver au plus tôt, il pourra trouver un bon coin, bien confortable avec une belle vue. Un peu d’herbe pour le moelleux, et quelques rochers autour pour le protéger du vent pénétrant qui le fait frissonner a chaque fois.
Perdu dans ses pensées, il ne voit pas les cinq personnes qui le croisent. Toutes estropiées et couverte de sang. Elles viennent d’émerger de la brume, et remontent la rue, le regardant avec de l’envie au fond des yeux. Lui qui n’a rien, pas même une égratignure. Intact.
Bientôt, d’autres personnes émergent à leur tour du brouillard. Et ce n’est que quand l’une d’elle le heurte par mégarde qu’il se rend compte de ce qui l’entoure.
Sa première impression est de vivre un film d’horreur où les morts se réveillent. Mais sont esprit rationnel reprend le dessus, et il pense plutôt à une catastrophe. Peut-être un bateau échoué plus bas sur la cote. Mais comment expliquer toutes ces blessures ? Il décide d’aller voir s’il peut-être utile a quelque chose, et pénètre la brume qu’il a maintenant atteint.
*