LA VIE EN ROSE (SF)

LA VIE EN ROSE

Cette foutue pilule blanche glissée sous la langue collait encore dans ma bouche malgré l’eau glacée où je l’avais baignée. Encore une qui faisait du forcing, allait-elle me soustraire au monde visible et palpable ? Ou bien capoter ?

A leur mise sur le marché il y a trois mois, beaucoup de ces Pilules à Invisibilité Réduite n’avaient pas fait la preuve de leur efficacité et retardé ainsi le soulagement d’une population new-yorkaise à fleur de peau. Encore aujourd’hui je faisais partie des vingt-deux millions de fourmis colonisantes de l’île de Manhattan, soit un trop plein évident de vis-à-vis, là où le besoin d’espace vital minimum était parmi les plus élevés du monde.

Je finissais pas croquer allègrement la pilule blanche, malgré les indications de la notice fourrée dans la boîte, et je me redressais dans ma cellule habitée de deux mètres sur trois : direction le miroir, qui agrandissait sérieusement la pièce mine de rien. Mon reflet ne se montra pas, j’avais l’autorisation de sortir, d’aller travailler et vivre à l’insu du monde. Je rencontrais en chemin quelques-uns des six autres millions d’Intouchables soustraits à la vue et qui allaient à leur occupation principale : un travail ingrat pour le bonheur des Somptueux.

Pourquoi le peuple des serviteurs, bonnes, laveurs de vitres et autres larbins se voyait-il contraint d’avaler toutes les quarante-huit heures ces pilules blanches qui libéraient le regard des nantis ? Est-ce que je ne valais pas le coup d’un regard, moi, passant le balai dans les rues et débarrassant les immondices ostentatoires ? J’ai travaillé pendant douze heures, ramassant toujours plus d’ordures sous les poils de mon balai-brosse. Une habitude, ma routine devenue invisible aux regards, des déchets abandonnés qui sur le trottoir se déplacent seuls vers les poubelles alignées, une magie quotidienne et des enfants qui cherchent où je suis, en tapant du pied dans le vide.

Seize heures après l'absorption, je décidais de sortir à nouveau et je me recoiffais en aveugle. J’étais un courant d’air froid et grippant pour les Somptueux, mais encore appréciable aux yeux des Intouchables et j’espérais partager cette chair palpable, vibrante, avec une femme. J’entrais dans un bar un peu avant minuit et je rejoignais sans bruit la partie qui nous était réservée pour y retrouver des connaissances. Chacun portait là distinctement sur sa veste, son chemisier ou son pull, le triangle jaune des Intouchables rendu obligatoire. Car quelle gaffe politique si les Intouchables soustraits à la vue allaient, sans le savoir, à la rencontre d’un Somptueux qui ne les verrait pas !

Je finissais de me laver les mains aux toilettes. Un homme sortait à son tour d’une cabine et je me déplaçais légèrement pour lui laisser la place. Je retournais à mon verre de Vodka Pomme au sous-sol lorsque je vis s’avancer en face de moi la plus belle des chevelures, blonde et bouclée. Je perdis mon souffle quelques secondes, happé par sa présence et ses yeux de panthère. Je devais lui parler car sa jupe en passant m’avait caressé la main comme si elle avait été la plus chaste du monde.

J’ai replacé machinalement une mèche rebelle de mes cheveux et je me suis retourné sur son parfum délicat. Dans vingt-quatre heures nous serions de nouveau visibles dans la foule pour quelques instants volés, un amour naissant exhibé sans honte. En attendant je devais courir pour la rattraper, saisir son bras pour me présenter et lui manger le cou de baisers dépourvus.

Elle poussa un cri de surprise sous mon étreinte, et je vis son regard de panthère effrayée, ses cheveux figés, j’aperçus son visage stupéfait, je découvris mon erreur impardonnable d’Intouchable : pas de triangle jaune sur son sein mais quatre hommes qui me tenaient déjà les bras et les épaules, me liaient les mains comme si elles avaient serré un poignard tâché de sang.

Je passais les douze heures suivantes aussi soustrait du monde que l’on peut l’être : invisible et en cellule. Après que mon casier judiciaire fut dûment rempli, je rentrais chez moi pour m’allonger et terminer mes quarante-huit heures d’invisibilité. Malgré que mon droit premier à exister et me montrer soit renié, j’avais connu des sessions transparentes plus joyeuses. Arrivé chez moi, je m’écroulais sur le lit rabattu.

Est-ce qu’il ne valait pas mieux mourir plutôt qu'admettre le déni de soi-même ? Et le Manhattan décadent des Somptueux survivrait-il à cette insuffisance de misère humaine étalée ? J’ai ruminé longtemps jusqu’à ce que les effets de la Pilule à Invisibilité Réduite s’estompent. J’allais devoir en reprendre une très vite afin de ne pas me rendre hors la loi, ou bien j’allais briser la petite vitre face à moi et avaler la pilule rose.

Il y a trois mois, les autorités new-yorkaises ont offert aux Intouchables le luxe de choisir entre les pilules blanches et la pilule rose : vivre invisible ou mourir. J’ai brisé la vitre et avalé la mort dans un verre d’eau.

Pas mal du tout ! J'ai bien aimé cette histoire. Claustrophobique à souhait, poétique, presque halluciné... Beaucoup de vocabulaire, des phrases choc. On sent du talent derrière ces quelques lignes.
Bon, maintenant les critiques (il en faut, hein ! ) : C'est peut-être intentionnel, mais je trouve ça un poil pénible à lire, un peu confus. En retravaillant, tu pourrais garder cette même richesse mais en rendant le texte plus fluide, plus facile à lire (y'a des endroits où il a fallu que je relise deux ou trois fois pour comprendre).
Pour finir, je sais pas pour les autres, mais moi "malgré que", ça passe pas... (tout comme "au jour d'aujourd'hui", d'ailleurs. C'est horrible et en plus, grammaticalement c'est faux).

Il me tarde d'en lire plus de ta part !

malgré que ça marche. Un peux vieux peut-être mais bien français. C'est vrai: si on peut éviter les QUE dans une phrase c'est souvent mieux pour la fluidité et la légèreté.
au jour d'aujourd'hui pas français...
Cette nouvelle m'a plu lootens. C'est original et bien mené.
C'est crispant et très désagréable à lire parce qu'on s'imagine que ce monde pourrait exister et ce serait sinistre et trop stressant.
Donc tu as réussi ton coup en accrochant le lecteur (enfin moi, tous les autres je ne sais pas encore!). Tu as produit chez moi une angoisse, un malaise devant ce que tu imagines d'un futur peut-être proche.
Il y a effectivement quelques petites choses à reprendre au niveau de la compréhension directe. Mais le découpage et petits paragraphes de quelques lignes est bienvenu.
C'est bien lootens, j'espère que tu nous en donneras d'autres dans le style...
Nad

Sur le "malgré que", quelques pages (comme pour "au temps pour moi" le débat est vif) :

http://www.langue-fr.net/index/M/malgre-que.htm

http://www.synapse-fr.com/manuels/MALGRE.htm

vous etes les premiers a donner des critiques négatives sur ce texte, ca fait un peu de mal mais ca change de "tout est beau tout est rose". Ce texte est issu d'un petit concours internet sur le theme de l'invisibilité, et il ne fallait pas dépasser les 5000 mots, d'ou beaucoup d'idées regroupées sur quelques lignes ! Je pense reprendre ce texte et l'allonger pour développer encore plus le coté claustophobique et aussi le personnage central.

Par contre je suis désolé, mais je ne pense pas avoir utilisé le terme "au jour d'aujourd'hui" ??? Et pour mon style, c vrai qu'il est léché et tres travaillé ce qui peut tuer l'émotion et le rendre parfois indigeste, je suis désolé... Une petite camomille pour faire passer tout ca ? ;-) a tres bientot, et faites rappliquer vos amis pour que j'ai encore plus de retours sur ce texte ...

Sois quand même content de ne pas avoir "QUE" des critiques négatives, car ici tout le monde dit ce qu'ils pensent, car même si nous ne sommes pas des génies de l'écriture, nous sommes pour la plupart de gros lecteurs... Et puis pour ma part je ne considère aucune critique comme négative du moment qu'elle est fondée. Les plus durs sont souvent les celles qui font vraiment avancer, alors que les très sympas font juste plaisir...

J'ai bien aimé ton texte, surtout au niveau du thème, original et halluciné... A noter seulement quelques maladresses de style facilement corrigeables, qu'une recherche de simplicité allégeraient...

Bref, un nouvel auteur talentueux parmis nous !!!

Quelques humbles suggestions pour étayer mes critiques...

Citation :

là où le besoin d’espace vital minimum était parmi les plus élevés du monde.

je crois qu'il aurait été plus juste de dire : là où l'espace vital moyen était un des plus faibles du monde. C'est plus parlant...

Citation :

qui agrandissait sérieusement la pièce mine de rien

En passant à : "... qui, mine de rien, agrandissait sérieusement la pièce", tu passes d'un ton familier à un ton soutenu.

Citation :

je rentrais chez moi pour m’allonger et terminer mes quarante-huit heures d’invisibilité. Malgré que mon droit premier à exister et me montrer soit renié, j’avais connu des sessions transparentes plus joyeuses. Arrivé chez moi, je m’écroulais sur le lit rabattu.

ça fait répétition...

Non non looten, pour "au jour d'aujourd'hui" c'était un petit apparté perso ! (c'est d'ailleurs pour ça que c'était entre ( )... )

Sinon pour les critiques, crois-moi y'a aucune intention de faire mal, c'est juste sincère.D'ailleurs je crois vraiment que c'est les critiques font avancer : je voudrais en profiter pour dire que les critiques de Nad en particulier me sont toujours précieuses : sur LA VIE REVEE DES ROSES elle a été franche avec moi, comme je le disais c'est vrai que sur le moment ça refroidit, mais le soir même, tu peux pas savoir à quel point ça m'avait donné la patate et une envie dévorante d'écrire, pour me surpasser, pour faire bien tout ce que j'avais loupé avant, etc... et j'ai pondu INQUISITOR, pour laquelle j'ai eu de sa part une critique immensément positive et qui m'a gonflé de plaisir comme une beaudruche d'hélium... Mais du coup maintenant, je m'endors un peu sur mes lauriers, d'une part parce que la motivation d'arriver à contenter quelqu'un comme Nad a disparu, et d'autre part parce que j'ai l'angoisse de faire moins bien...
Bref, je m'étends sur ma vie là, mais c'était juste histoire de profiter de l'occase pour faire ma déclaration à Nad...


A+ et continue à nous en faire des comme ça, Iooten !

Au fait, Lootens, tu n'as même pas pris le temps de te présenter dans la partie... "présentation"... Nous t'y attendons pour savoir qui tu es !!!

bien sur les critiques "négatives" sont les plus aidanes pour aller de l'avant je le comprend parfaitement et je l'accepte ! je voulais simplement souligné que vous etes le premier site ou la langue de bois n'est pas une REINE ;-) Je vais retravailler ce texte parce qu'il n'est pas assez long et ne développe pas corectement les idées que je voulais y mettre

a bientot

PS pour THOMAS, à propos de mon "espace vital minimum", je faisais allusion à l'idée de base d'Hitler sur l'Allemagne nazie et sa théorie de l'espace vital. Et je ne voulais pas dire que cet espace vital des New-yorkais est le plus réduit du monde, mais que c'est SURTOUT ces habitants qui ont des plus gros besoins en espace (de la meme manière que les américains créent une partie de leur besoin en énergie... ce qui en fait les plus gros consommateurs du monde...) Vois tu la nuance, que j'ai mal exprimée je te l'accorde ! PAr conre pour ta reformulation "... qui, mine de rien, agrandissait sérieusement la pièce", c'est clair que c'est mieux ! MERCI BEAUCOUP, au plaisir !!!

Voili voilou

Et oui Lootens, pas de langue de bois ici, et en même temps tout le monde est super sympa tu verras... Pour ton truc d'espace vital, ok mais je tu admettras que ça n'est pas très clair... mais j'ai saisi le truc !

Au plaisir de te relire !

Oukontiamban a écrit:

Sinon pour les critiques, crois-moi y'a aucune intention de faire mal, c'est juste sincère.D'ailleurs je crois vraiment que c'est les critiques font avancer : je voudrais en profiter pour dire que les critiques de Nad en particulier me sont toujours précieuses : sur LA VIE REVEE DES ROSES elle a été franche avec moi, comme je le disais c'est vrai que sur le moment ça refroidit, mais le soir même, tu peux pas savoir à quel point ça m'avait donné la patate et une envie dévorante d'écrire, pour me surpasser, pour faire bien tout ce que j'avais loupé avant, etc... et j'ai pondu INQUISITOR, pour laquelle j'ai eu de sa part une critique immensément positive et qui m'a gonflé de plaisir comme une beaudruche d'hélium... Mais du coup maintenant, je m'endors un peu sur mes lauriers, d'une part parce que la motivation d'arriver à contenter quelqu'un comme Nad a disparu, et d'autre part parce que j'ai l'angoisse de faire moins bien...
Bref, je m'étends sur ma vie là, mais c'était juste histoire de profiter de l'occase pour faire ma déclaration à Nad...

Pffffiiiou!!! j'avais pas vu ce post Oukontiamban!!! Tu l'as bien dissimulé, grand timide!!!
En tout cas ça fait bien plaisir...
Au plaisir de te lire à nouveau.
Nad

ouééhoo c'est fini de se bécotter là ho !!

merci pour ces quelques appréciations ! Désormais j'attends le résultat de cet atelier d'écriture/concours pour lequel j'ai écrit ce texte ! je vous tiendrais au courant bien sur !

Je suis également en attente de nouvelles appréciations... Auriez vous des idées ou des thèmes nouveaux que je pourrai inclure dans ce texte quand je le retravaillerai ?

merci a vous !

je suis revenu de mes 15 jours de bénévolat. je vais peut etre avoir le temps de récrire et retravailler ce texte !