voila c'est pas vraiment de la science fiction, mais bon... Quoi que... Ce texte est le résultat d'un atelier d'éciture sur une chaise de bar... Bonne lecture !
Nous sommes ici dans les bas-fonds de la ville, probablement le lieu où la somme des solitudes est la plus grande, et les hommes seuls viennent y monnayer quelques instants d’une sexualité dénuée de sentiments. Sans préliminaire aucun, l’un d’eux me bascule comme une vulgaire putain et calé sur mes deux pattes arrière de chaise haute, il me chevauche abruptement. Il a dans ses coups de rein la rudesse des marins qui rentrés au port vident leurs frustrations sur moi. Les pieds dans le vide et les mains arrimées au comptoir, il se balance de plus belle, sans ménagement pour mes articulations de chaise délicate. Il s’arrête parfois pour reprendre son souffle et siroter sa bière pression, et je maudis cette ambiance glauque de bar lubrique où l’eau suinte sur les murs.
Nous sommes quinze filles à exhiber nos longues jambes de bois pour le portefeuille du patron. Lui passe ses journées à tirer sur les robinets de brune et de blonde pendant que nous enchaînons les clients à un rythme effréné. Mon marin frustré me repose à quatre pattes sur le plancher souillé d’alcool et de crachats, il paye sa pinte de bière et sans caresse me quitte comme il m’a trouvée. Mon tabouret charmant viendra-t-il demain me chercher ici ? Et suis-je indiquée quelque part comme étant sa promise, alors que nous venons lui et moi du même tronc ? Un nouvel homme m’attrape par le côté et sa main me serre abruptement comme pour montrer qu’elle aura le contrôle sur moi : il l’a décidé, je serai dominée.
J’ai appris à ne plus me fier aux visages qui trahissent et aux sourires polis qui cachent parfois une grande brutalité dans les rapports à venir. L’homme sourit de ses dents les plus blanches, commande un verre de Whisky sans glace, allume une cigarette et commence à boire. Le tabac est pour moi une bonne manière d’évaluer certains clients qui fument seulement après l’amour et montrent ainsi leur contentement comme d’autres laissent un pourboire. Mais je sais aussi par expérience que la cigarette allumée trop tôt est la preuve indiscutable d’un rapport hors norme… L’homme porte la cigarette à sa bouche, tandis que son autre main ramenée entre ses cuisses déchiquette consciencieusement mon assise de tissus. Il enlève par petites touches des boulettes de mon rembourrage : voila les préliminaires qui commencent…
Avec ses pieds lourds il massacre l’un de mes barreaux, il gratte mon tissu et le bois de mes barreaux avec ses ongles, est-ce qu’il veut laisser son emprunte sur moi comme sur une bête tatouée ? Finalement, avec un grand sourire crispé de jouissance il écrase ignoblement son mégot sur ma cuisse. Je sers les dents et refuse d’abdiquer devant ce masochiste bedonnant, j’ai envie d’hurler mais ces cris de soumission ne feraient que l’exciter davantage ! Et puis tout à coup, l’homme indélicat bascule de moi, atteint en pleine figure par le poing d’un inconnu. Voilà mon prince charmant qui me protège ! Il se penche sur le goujat pour lui asséner un autre revers du gauche, il a le dos rond et large des hommes paternels. Oh prince charmant redresse toi que je t’admire ! Mon Roméo a le nez en trompette et un visage de poivrot, il se rue à nouveau sur mon fumeur et s’applique à lui transformer le visage en pastèque : est-ce que le Roméo de Juliette était une brute épaisse ? J’ai envie de pleurer et je vois à nouveau mes rêves de jeune chaise qui s’éloignent en courant. Où est-il ce poison acheté chez l’apothicaire, que j’abatte mes prétendants et me suicide aussi ?
Le visage de poivrot et le masochiste finissent par s’extraire bruyamment du bar en hurlant des insanités et j’autorise le propriétaire, mon mac, à frotter mes bois avec de l’alcool ménager. Mon pied brûlé est un peu apaisé mais les vapeurs d’alcool n’atteignent pas mon cœur brisé de victime de l’amour. Pourquoi tant de contes où les princesses naïves se laissent entortillées et baisées par de gentils princes qui les rappellent ensuite pour vivre avec elles et avoir beaucoup d’enfants ? Ces tabourets virils n’existent pas ici, ils ne passent pas la porte. Et la main mal assurée de ce jeune homme qui passe sur mon tissu meurtri ne saurait me faire rêver à des lendemains meilleurs. Il grimpe sur moi et rougit de son assaut frontal. Il commande une tequila, grimace en la buvant : il n’est pas encore tout à fait un homme... Sa main moite glisse le long de ma jambe, il m’effleure doucement puis plaque sa paume plus durement contre moi. Je sens qu’il s’applique mais mon Dieu que ces adolescents prépubères ont des choses à apprendre sur les femmes et leur fonctionnement ! Il m’a prise pour une game boy à stimuler aussi fort le haut de ma jambe ?
A la fin de la journée, le propriétaire nous a toutes retournées sur le comptoir astiqué et éteint la lumière. Dans cette position indécente, la seule qui soit véritablement offusquante à mes yeux, j’attends le lendemain. J’attends ce jour où mon tabouret charmant poussera la porte, délogera l’homme assis sur moi pour me dire qu’il m’aime, m’a toujours aimée et m’emmène loin faire des enfants dans une maisonnette au fond des bois.