Titre : Angie
Auteur: Serge Dhont
Angie grimpait les dernières marches menant au grenier et s’arrêta devant la vieille porte en bois, elle souleva avec force le vieux loquet récalcitrant et pénétra dans la pièce principale. La jeune fille fit quelques pas et sourit, elle adorait se retrouver seule dans le grenier de grand-mère, c’est un endroit qu’elle honorait régulièrement de sa présence.
D’abord fermer les yeux et respirer, dans un premier temps la poussière lui agace les sinus et les ailes de son nez frémissent légèrement. Ensuite, elle perçoit immanquablement l’odeur des vieux meubles désuets encaustiqués à souhait. Le genre d’odeur qui vous rappelle des souvenirs d’enfance fugaces : des rires, des culottes courtes, des sparadras, de la limonade glacée l’été et quelques pleurs parfois aussi.
Les vieux bouquins et bibelots divers sont là eux aussi, elle les sent, autant leur parfum que leur présence.
Quand Angie se sent bien imprégnée de toutes ces odeurs, elle ouvre les yeux ; son premier regard se porte sur la fenêtre-tabatière par laquelle un énorme rayon de soleil fait danser des milliers de minuscules particules de poussière, qui sont autant de paillettes d’or en suspension dans l’espace confiné du grenier. La jeune fille se dirige alors vers la fenêtre et observe le jardin de grand-mère. Elle adore cette vue du jardin, cette perspective particulière dont elle seule peut jouir.
Il fait chaud maintenant, très chaud, la sueur commence à perler sur ses tempes et dans le bas du dos. C’est bien les vieux greniers çà : une glacière en hiver et un véritable sauna en été ! Angie ferme à nouveau les yeux et aspire de longues goulées d’air par la bouche. Il fait tellement étouffant en ce mois de juillet qu’elle à l’impression que l’air qu’elle respire est presque palpable. Elle ouvre à nouveau les yeux et tourne la tête vers la gauche où elle peut voir une photo jaunie de grand-père en costume élimé dans un vieux cadre en bois. On avait l’air plus digne avant sur les photos se dit Angie, quel regard et surtout quel sérieux ! Le malheureux est mort il y a deux ans de cette saloperie de cancer… Depuis grand-mère est seule, enfin seule, avec sa télé.
Angie avait compris pourquoi les vieilles personnes seules regardent avec tant d’assiduité ces jeux débiles de fin de soirée ou ces feuilletons brésiliens navrants d’heure de table. En fait, çà les lobotomise pensait-elle. Ces programmes sont tellement idiots que çà vous ramollit la cervelle. Et là, on ne pense plus à rien, on se laisse aller par les conneries télévisuelles. On ne pense plus à son cher et tendre disparu il y a deux ans, ou en tout cas on essaye d’oublier son absence. On ne pense plus à la vie tel qu’elle était pendant les jeunes années.
Imaginez-vous ces longues soirées d’été assis sur le seuil de la maison pour discuter du travail à la forge ou du prix du pain avec les voisins. On communiquait.
Pas de télé…
Une larme perla au coin de son œil, puis elle secoua la tête et tenta de remettre ses idées en place. La jeune fille se mit alors à observer panoramiquement le grenier. Elle entama un tour de 360° sur elle-même quand tout à coup une caisse attira son attention. Une vielle lampe à pétrole était posée dessus.
Bizarre, Angie avait pourtant la certitude de tout connaître de ce grenier jusqu’au moindre de ses recoins, jusqu’au moindre de ses objets , et elle était certaine de n’avoir jamais vu cette lampe ici auparavant . Angie s’approcha de l’objet mystérieux en fronçant légèrement les sourcils.
La lampe était d’aspect somme toute anodine, comme une vieille lampe à pétrole du début du 20 ième siècle avec un bec en laiton à mèche plate et le cache protecteur en verre poli. Machinalement, Angie prit l’objet en mains, souffla un peu dessus pour faire partir le plus gros de la poussière et termina le nettoyage en enlevant les saletés récalcitrantes avec la main. C’est à ce moment qu’une légère brume de chaleur se dégagea de la lampe. Apeurée, Angie lâcha l’objet en portant ses deux mains devant la bouche pour empêcher le cri qui montait dans sa gorge. La lampe ne tomba pas, curieusement elle resta en suspension à hauteur du visage d’Angie. Elle recula d’un pas les yeux grands ouverts, les mains toujours devant la bouche. Une légère fumée mauve s’éleva alors du verre poli de la lampe et un visage agréable se matérialisa. Un joli visage souriant, sans cheveux et pour lequel vous n’auriez su dire s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme. La bouche suave de l’entité s’ouvrit légèrement :
-Bonjour Angie
-……
-N’aie pas peur Angie, je suis le génie de la lampe, tu m’as trouvée et tu as donc droit à deux vœux. Fais ton choix Angie, prend ton temps.
Angie recula encore d’un pas, ses mains quittèrent alors sa bouche pour se placer dans une attitude défensive.
-N’aie crainte Angie, je te promets que je ne te ferai aucun mal.
Le cœur de la jeune fille s’emballa mais elle parvint malgré tout à sortir une phrase hachée par l’émotion:
-Vous êtes vraiment un génie ?
-Oui, et je t’accorde deux vœux, deux vœux qui s’exauceront dès que tu auras prononcé le second. Réfléchi et prend ton temps Angie.
-Je peux vraiment demander ce que je veux ?
-Demande toujours et je verrai Angie. Une seule chose pour laquelle je dirai non c’est : « je fais le vœux de pouvoir faire tout les vœux ».
-Angie se rongea nerveusement l’ongle du pouce et arpenta le grenier de long en large. Elle s’arrêta tout à coup, les yeux fixés dans le vide et un sourire aux lèvres. Une mèche de ses cheveux blonds était collé sur son front par la transpiration.
Elle regarda ensuite l’entité :
-Je sais, je sais pour mon premier vœux génie !
- Je t’écoute.
- Je souhaiterais la paix dans le monde, une paix universelle et éternelle !
Le génie perdit son sourire. Il n’en croyait pas ses oreilles, d’habitudes on demandait l’argent, le pouvoir, la gloire mais jamais de chose pour le bien d’autrui ou de la communauté. « J’ai en face de moi l’exception à la règle » se dit-il. « Un ange ! Ce n’est pas possible, enfin ! »
-Tu ne peux pas exaucer cela ?
-heu… si si !
- Alors je veux la paix dans le monde !
-Voilà, j’attend le second vœux Angie.
-Je te libère ! Génie !
Le visage mauve parut fondre, se décomposer, des larmes éthérées s’échappèrent des yeux du génie.
-Que se passe-t’il génie ? je ne peux te libérer ?
-Malheureusement si, Angie… Mais en me libérant tu as désacralisé la lampe. C’est un peu comme si ton second vœux avait annulé le premier. Me libérer tue mes pouvoirs donc je suis libre mais ne peut plus exaucer le premier. Pauvre Angie, trop bonne, trop gentille Angie, pauvre monde…
La lampe et le génie disparurent, Angie eut beau retourner tout le grenier, pas de trace de la lampe.
Elle descendit lentement les escaliers jusqu’au rez-de-chaussée. Mamie regardait le journal parlé, on pouvait y entendre qu’un nouvel attentat avait eut lieu au Moyen-Orient et avait fait 27 morts.
Angie avait les larmes aux yeux…
-
FIN
Sujet: ANGIE 
!!!
