Salut tout le monde,
depuis le temps, me revoilà avec le premier jet d'une nouvelle que vous apprécierez j'espère. Je l'ai écrite hier soir et je ne me suis pas relu, donc soyez indulgents please !
J'espère avoir le temps de vous visiter plus souvent bientôt, et de lire toutes les nouvelles que j'ai manqué...
Merci de me lire.
MA DERNIERE DANSE DES ESPRITS
Je me tiens au sommet du dernier gratte-ciel de New York et je contemple la ville à feu et à sang à mes pieds. Le vent fait voler mes longs cheveux noirs d’Indien. Je regarde les brasiers rougeoyer dans la nuit, qui emportent le cendres des cadavres de Blancs. Il y en a un à chaque coin de rue, et au sommet des buildings qui délimitent des canyons de verre et d’acier, illuminés comme autant de gigantesques paquebots en train de sombrer, leur poupe dressée vers le ciel en une ultime bravade aux éléments.
Je me dresse sur le plus grand et le plus imposant de ces monstres d’architecture, le dernier à avoir subi notre assaut. Je domine la ville que nous venons de prendre et que nous allons raser jusqu’au dernier morceau d’asphalte. Puis nous ferons tomber les autres citadelles-verrues qui défigurent ce pays, et nous fêterons notre victoire, après six siècles de guerre contre vous, la gangrène Blanche qui a envahi notre terre.
Laissez-moi vous raconter comment c’est arrivé.
Tout a commencé après la Bombe, même si aucun Indien ne pouvait en avoir conscience à l’époque. En réalité ça a commencé quand le premier Blanc a posé le pied sur notre continent, en 1492 ou avant. Vous avez débarqué en amenant toute votre merde avec vous, vous nous avez volé, vous avez recréé le Nouveau Monde à votre image, vous nous avez massacré et parqué dans des enclos minables. Vous avez fait de nous des étrangers sur nos propres terres, physiquement d’abord et puis socialement, en prétextant qu’après tout on n’avait qu’à faire comme tout le monde et s’intégrer, plutôt que de se plaindre de notre misère. Et même alors, on devait subir votre haine et votre racisme. Vous vouliez nous faire disparaître en diluant notre race, mais vous ne vouliez surtout pas de nous dans vos familles.
Mais passons, vous savez déjà tout cela, n’est-ce pas ?
Là où ça devient intéressant, par contre, là où vous avez perdu le fil de notre histoire, c’est à partir de la Bombe. Je dis que ça a commencé dès 1492, parce qu’en fait vous n’avez jamais rien compris aux Indiens. Une fois que vous nous aviez entassé dans des enclos de porcs, vous vous êtes mis à trouver nos traditions follement attirantes et à adorer l’image mystique et nostalgique que vous vous étiez fait de nous. Les anthropologues nous ont étudié comme on étudie la vie des vers de terre ou la mythologie égyptienne, décidant à notre place ce que signifiaient nos rites. Vous vous êtes émerveillé de la Danse des Esprits de Wokova avec le même attendrissement que vous réserviez à vos enfants quand ils vous offraient leur dernier gribouillage. Lors de discussions sérieuses, vous preniez un air entendu pour gratifier vos amis d’un « bien sûr, c’est important pour eux. Préservons les cultures primitives, c’est la richesse de l’humanité ! » dont vous ne pensiez pas une virgule.
Vous n’avez jamais cru que la Danse des Esprits puisse réellement faire disparaître l’homme blanc et toutes ses bassesses, même si tous les Indiens du continent s’y étaient mis comme l’avait demandé Wokova. Vous avez peut-être eu tort. Peut-être qu’assez d’Indiens se sont mis à danser pour que cela finisse par arriver, car c’est ce qui se produit aujourd’hui.
Bien sûr ça ne s’est pas passé comme Wokova l’avait imaginé. Nous avons vite renoncé à vous voir vous volatiliser dans le vent, mais finalement vous nous avez fourni vous-même une arme pour vous détruire. La Bombe. Vous avez été surpris lorsque les Bridés vous l’ont envoyée, n’est-ce pas ? Oui, et nous aussi bien sûr, puisque nous étions tous des citoyens américains, pas vrais ? Nous les Peaux-Rouges avions même fait preuve de patriotisme en nous engageant dans l’armée lors des deux premières guerres mondiales et autres conneries au Vietnam et en Iraq. Si, si, je l’ai lu dans les livres d’histoire. Et puis mes arrières-grands-pères y étaient, vous savez ; nous on a la mémoire des ancêtres.
Grâce aux Chinois et à leur nouveau type de bombe, deux états ont été remplacés par cet immense cratère, et on a tous été irradiés. Seule la côte est a été épargnée par les retombées : tous les systèmes électroniques étaient bousillés, mais la population était sauve. Mais à l’ouest du Mississippi, tout le monde est mort en deux semaines. Les gens ont vu leur peau blanchir par plaques et tomber, jusqu’à découvrir leurs muscles, qui se sont mis à pourrir. Puis ils se vidaient de leur sang qui suintait à travers cette couche de viande noircie et déstructurée, mais en général ils s’étaient donné la mort avant, ne pouvant plus supporter la douleur de leur chair à vif.
J’ai vu des scènes abominables se produire pendant ces quelques jours d’agonie. Les gens succombaient à la folie et se mettaient à commettre les pires atrocités sur leurs voisins. Des choses que je ne raconterai pas. Bientôt les villes ne furent plus que des charniers, des tombeaux puants, où l’odeur devait être assez forte pour pouvoir intoxiquer la planète entière.
J’ai survécu. Je ne suis pas le seul. Pour une raison mystérieuse, les Indiens de race pure n’étaient pas atteints par la maladie. Les radiations n’avaient eu pour effet que de nous foncer la peau, au point de nous faire ressembler à des Africains. Mais nous étions toujours là, et nous avons erré pendant des mois dans la campagne, nous nourrissant de ce que nous trouvions, puis réapprenant à chasser quand plus rien de frais et comestible ne fut disponible dans les placards. Comme pour les humains, certaines espèces d’animaux avaient disparu, tandis que d’autres survivaient. On ne savait pas pourquoi et on s’en foutait.
Quand les cadavres ont disparu, on est revenus dans les villes prendre ce dont on avait besoin. Surtout les voitures. On n’était pas beaucoup, et il y avait bien assez d’essence dans les soutes des stations services pour nous permettre de rouler pendant des années.
On a fini par se réunir en communautés composées d’Indiens noirs de toutes tribus, puis les communautés se sont rejointes. Cela a pris quelques années. Ceux nombreux qui avaient sillonné le pays réunirent leurs informations, et on savait que les populations étaient intactes au nord du Canada, au Mexique et sur la côte est des Etats-Unis, mais qu’ils étaient privés d’électricité et de moyens de communication. Ils vivaient toujours dans les villes, mais étaient obligés de subsister à la mode ancienne.
Une partie d’entre nous décida qu’on devrait coloniser ces territoires et faire disparaître la race blanche du continent et tout ce qu’elle avait apporté avec elle pour revenir définitivement à la vie traditionnelle de nos ancêtres, accomplissant ainsi la prophétie de Wokova. De fait certains se mirent à danser, et après de longues discussions entre et à l’intérieur des communautés, presque tout le monde finit par soutenir cette proposition. J’étais à la tête de ce mouvement depuis le début.
Nous nous sommes entraînés et nous sommes redevenus des guerriers. On a repris les chevaux, on a fabriqué des arcs, des flèches et des haches car ce sont les armes les plus nobles. Nous allions finalement mettre un terme à la présence des Blancs, nous allions reprendre l’offensive et remporter la guerre qui sommeillait honteusement depuis deux siècles.
Nous nous sommes entraînés et nous avons beaucoup dansé. Quand on a été prêts, on a marché vers l’est, droit sur New York. Et on l’a prise. On l’a pénétrée en une gigantesque marée, on s’est répandu au galop dans ses rues, on a envahi ses quartiers de notre fureur, on a grimpé jusqu’au sommet de chaque tour pour traquer et exterminer tout ce qui était blanc de peau. Cette nuit, la cité est rouge de sang et du feu des brasiers mortuaires. Rouge, comme la couleur de notre peau. Du moins avant la Bombe.
Je me tiens au sommet du dernier gratte-ciel de New York, et je contemple le soleil qui émerge au-dessus de l’océan, hiératique. La forêt artificielle des buildings accroche ses rayons matinaux, au niveau des étages supérieurs. L’astre qui éclaire ce jour nouveau projette vers la rue des strie d’ombre parallèles entre les aiguilles de verre et d’acier, figurant les arc-boutants fantômes d’une cathédrale vouée à la folie humaine. Le spectacle est beau et me perce le cœur.
Ce matin est une victoire et ça ne fait que commencer. Nous avons beaucoup dansé, mais ce n’est que le début. D’autres villes tomberont. Toutes les autres. Et ça ne s’arrêtera que quand tout ceci aura disparu et que les Indiens pourront reprendre le cours de leur histoire.
Mais dorénavant ce n’est plus moi qui dirigerai la Danse des Esprits. Je vais rejoindre aujourd’hui tous les Anciens de notre nation. Voyez-vous, les premières plaques blanches sont apparues sur mon corps. Sur ma peau.
Je vais donc me laisser tomber du haut du dernier gratte-ciel de New York. Peut-être qu’en descendant à la rencontre du trottoir, j’aurai le temps de réfléchir et de comprendre ce qu’est la destinée. Peut-être trouverais-je la paix. Je le souhaite profondément.
Je n’ai rien à ajouter. Déjà la police est là. Ils sont en train de monter pour venir me chercher. Il est temps que je termine cette lettre, et que j’accomplisse ma Danse des Esprits personnelle.
C’est un bon jour pour mourir.
Mitakuye oyasin – A tous mes proches.
[Ce texte est la transcription de la lettre manuscrite trouvée dans la poche de la dépouille de S.B. Il l’a probablement écrite au sommet du building, juste avant de se suicider en se jetant dans le vide. S.B. souffrait d’une maladie de la peau rare et bénigne (voir le dossier médical joint au rapport). Commissariat du 9ème district, New York, le 14 mai 2006.]