L'homme du train

Bon je préviens, ça n'a ni queue ni tête ni quoi que ce soit d'autre, c'est écrit avec les pieds mais c'est pas long. C'est un délire de cours.

Le type me fait penser à un célèbre chanteur de rock avec cette grande mèche brune qui lui barre le front. Il a les cheveux gras et un blouson en cuir. A part ça rien de notable, si tant est qu’on considère que d’énormes dents jaunes n’ont rien de notable.
Il gratte une allumette sur le talon de sa santiag et approche la flamme d’un truc jaune qui pend mollement de sa bouche. Il recrache de la fumée dans un souffle riche en consonnes. C’est une cigarette apparemment. Sûrement une gitane, la cigarette.
Il tousse. Il crache. Je reprends ma lecture.
De temps à autre je relève la tête et observe d’un œil vide la forêt défiler par la fenêtre. Je me fais chier en train. J’arrive pas à lire, et regarder le paysage trop longtemps me donne envie de gerber. Gerber me donne envie de pleurer. Pleurer me donne envie de dormir. Et quand je dors, je hurle des trucs bizarres. Alors non.
Mon livre c’est : « considérations ethnologiques de l’approche mathématique des paradigmes sociaux au 19e siècle ». Merci pour le cadeau petite sœur. On s’est pas compris quand j’ai dit que j’aimais la littérature du 19e.
Le type me fait toujours autant penser à un chanteur de rock. Un mort. Un groupe qui a bien fonctionné. Peut-être bien le chanteur des Clash. Les dents jaunes en plus.
Ou alors un des Beatles. Celui qui est mort noyé.
Il me regarde.
A moins que ça soit Jeff Buckley qui ait coulé.
Il se lève.
En fait je sais plus trop.
Il s’approche et s’assoie sur le siège en face de moi, plantant son regard dans le mien.
En tout cas, c’est un groupe qui marchait du tonnerre.
- Je suis Dieu.
Et le chanteur en question a eu droit à une mort violente. Peut-être bien dans un crash d’avion avec Mick Jagger. Ou un autre.
- Je sais que tu ne me crois pas, Alfred, mais je suis Dieu.
Bref, je sais plus.
- Je sais c’est dur à avaler, mais c’est vrai !
Un chanteur de rock, quoi.
Le type est en train de me parler, j’ignore depuis combien de temps. Je lui demande s’il a besoin de quelque chose en particulier.
- Je suis Dieu, dit-il en tapant sa cendre sur le siège voisin.
Je lui dis qu’il y a des cendriers s’il veut fumer.
- Et j’ai beau être Dieu, je suis un peu paumé en ce moment. Ca va pas fort quoi.
Il retape sa cendre sur le siège voisin. Je tire le cendrier de l’accoudoir et dis : mettez vos cendres là-dedans, vous risquez de brûler le siège.
- Mon problème, Alfred, c’est que j’ai un cœur d’artichaut, il me dit en écrasant son mégot sur le siège.
Je lui répond que je m’appelle pas Alfred et qu’il faut qu’il utilise le cendrier.
- Pourtant j’essaie de pas me faire avoir, mais à chaque fois c’est pareil…
Qu’est-ce qu’il dit ?
- Je vois rien venir…
Je place une jambe dans l’allée, prêt à déguerpir s’il se jette sur moi en hurlant que c’est pas sa faute si sa mère est tombée 17 fois sur un couteau quand il avait six ans.
- J’ai un cœur d’artichaut, j’te dis.
Je lui dit qu’il doit me confondre avec quelqu’un d’autre.
- Tu sais, faut pas croire, c’est dur.
Et il se rallume une cigarette, toujours en grattant une allumette sous son talon. Je me demande vaguement comment il réussit ce coup-là mais le voilà déjà reparti dans sa logorrhée.
- C’est chiant de toujours avoir à répondre de ci ou de ça, et tu sais Alfred, je n’y peux pas toujours grand chose.
Je lui dit que je ne m’appelle pas Alfred et lui désigne le cendrier du doigt.
- C’est comme le coup de l’avion qui s’est écrasé, j’ai reçu et reçois encore des tonnes de prières me demandant pourquoi j’avais laissé faire ça. Et tu sais ce que j’ai répondu Alfred ?
Le type (peut-être bien Jeff Buckley finalement) tape encore ses cendres sur le siège voisin et je décide de renoncer à l’idée du cendrier. Je le soupçonne d’avoir un morceau de grattoir scotché aux semelles et je me promets de regarder la prochaine fois qu’il essaiera de faire le coup du cow-boy.
- J’ai rien répondu. J’avais honte, tu vois ?
Non, je ne vois pas. Je ne comprends pas ce qu’il me dit. Il doit me confondre avec un autre. Mais il continue son monologue.
- Je sais que je suis pas irréprochable. L’alcool m’a salement amoché et j’suis pas aussi vif qu’avant. Les dégâts de l’amour, quoi.
Je lui demande s’il a pensé au suicide, et s’il n’envisage pas ça dans un avenir assez proche par hasard. Il écrase son mégot dans le cendrier et me transperce de ses grands yeux noirs pensifs.
- Bien sûr que j’y ai pensé ! Mais comment se suicider quand on est Dieu ?
Je lui dis que quand on est Dieu on fait absolument ce qu’on veut, on peut voler, on peut marcher sur l’eau et ouvrir la mer rouge, on peut voir à travers les murs et encaisser des tirs de 22 long rifle. Tout ce qu’on veut.
Il se roule une cigarette. Visiblement il est pas doué pour ça, le produit final ressemble plus à une asperge flétrie qu’à une clope.
- Ben ouais mais tu vois c’est con je saurais pas me suicider.
Je souris en apercevant le morceau de grattoir collé sous le talon de sa santiag. Je lui dit que je peux l’aider s’il le souhaite.
- Tu ferais ça ?
Il semble touché. Je lui dit que je ne m’appelle pas Alfred mais que oui, je le ferais si ça pouvait le soulager. Un sourire naît sur ses lèvres et sa cigarette est à deux doigts de tomber, juste retenue par les dépôts blanchâtres de ses commissures.
- Maintenant alors!
Je me demande vaguement s’il est sérieux, décide que oui et sors un python 9 mm de ma sacoche. Je pointe le canon juste entre ses deux yeux et presse la détente. J’en reviens toujours pas du bruit que ça fait. Comme un œuf qui éclate quand on le serre dans son poing.
Les sièges sont dégueulasses maintenant, et pour les ravoir ça risque d’être compliqué, un sang aussi épais ça s’imprègne facilement. Le temps d’une seconde ou deux, je me demande à combien s’élève l’amende pour la dégradation du matériel, puis je récupère la cigarette qui pend encore aux lèvres du mort et tire un latte ou deux.
Je me fais chier en train.
Je retourne le python contre moi et presse la détente une dernière fois aujourd’hui.

Magnifique !

Bon maintenant avoues; tu as écrit ça pendant que tu lisais Ellis ou juste après l'avoir lu, non ?

Hé hé, en fait non, je l'ai écris après un Palahniuk! T'es pas tombé loin...

très très bon...
Je trouve ca fluide, léger, un tantinet torturé !!
J'aime bien...

Combien de verres avant d'ecrire ça?
Sinon c'est vraiment tres tordu comme histoire mais ca se lit bien.

Extraordinaire! Ca se lit tout seul, on est happé et c'est franchement bizarre. Tout tout bon!
Merci

héhé, j'adore ! C'est tout à fait le style de textes que j'aime ! Un peu délirant, un peu space, mais très très bien écrit !!! Bravo !

Bien écrit mais pas assez retravaillé et un peu court.
Dans l'ensemble, j'ai trouvé ça excellent.

Sympa ! un style nouveau pour toi, bien maîtrisé. Ok c'est un délire mais ça tient !

Winiwow, wow ! quelle évolution ! je me souviens de textes « anciens », celui-ci est superbe !
Il y a un style, il y a du peps, c’est plein de trouvailles. Le ton détaché, décalé par rapport à la fin brutale et inattendue est parfait. Bref, grand bravo à toi !
J’adore par exemple :
« Il recrache de la fumée dans un souffle riche en consonnes »
« …en hurlant que c’est pas sa faute si sa mère est tombée 17 fois sur un couteau quand il avait six ans »
« Les sièges sont dégueulasses maintenant, et pour les ravoir ça risque d’être compliqué »
Entre autres !
Mo

Mo a écrit:

Winiwow, wow ! quelle évolution !

Je te l'ai fait bossé depuis le temps, pompes et tours de terrain... ahh il en a sué le gaillard !

thomas desmond a écrit:

Mo a écrit:

Winiwow, wow ! quelle évolution !

Je te l'ai fait bossR depuis le temps, pompes et tours de terrain... ahh il en a sué le gaillard !

je vois, je vois, la bonne vienne méthode, la schlague, y a que ça de vrai ! pour d'autres aussi, ce serait bénéfique pour faire rentrer les règles de grammaire...

ahh pour ça je pense pas qu'on ait vraiment progessé... toujours aussi nullos !!

Va falloir que tu prennes le groupe en main : lever à 4h30 du mat, sans café ni benco, avec déclinaisons à tous les temps du verbe haïr, dictées de 3 heures avec crayons lestés de 500gr de plomb, puis randonnées littéraires dans les ravines de la langue française, exercices de rédaction les yeux bandés, les pieds pendus au plafond, épreuves de récitation à l'envers, en patois savoyard, à tous les temps du subjonctif...

Ça va chier, c'est moi qui vous le dis !

Yes sir Mo !

Ben merci à tous d'avoir lu ce texte et pris le temps de commenter, je me suis bien amusé à l'écrire et c'est cool de voir que vous l'avez apprecié

Ben je ne vois qu'une chose à dire: bravo!!

original, prenant, bien écrit... très bon quoi.

Merci vinivow