LE MANOIR DU FANTASTIQUE
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 Démonirisme

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Sequenra
Sangsue mort-vivante
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MessageSujet: Démonirisme   Démonirisme EmptyJeu 20 Juil 2006 - 15:29

Voilà une seconde nouvelle (la première, Eternelle Majesté, est en stand by car elle me torture au niveau des temps...) qui me plaît bien et que j'aimerai vous faire partager en son entier :

Démonirisme

En ces heures matinales du 19 octobre un pâle disque solaire éclairait faiblement la Salle d’Audience du Tribunal, baignant d’une froide luminosité les colonnades de marbre et les tapisseries qui recouvraient les murs. En ce jour se tenait le procès d’un homme reconnu coupable d’actes qui avaient marqués les esprits puritains de cette société paisible. À l’annonce de son nom, qui avait perturbée le silence recueilli planant sur les dalles bleues succédant au témoignage ému d’un homme ; qui avait regagné sa place tête baissée, une femme se leva et se dirigea à pas lents vers le massif meuble de bois roux derrière lequel le Vénérable Juge, vêtu de sa longue robe noire, se tenait assis, impassible. Avant de s’adresser au Tribunal la femme se retourna vers l’audience qu’elle parcourut attentivement dans un long regard circulaire. Bien du monde avait fait le déplacement pour assister à ce premier jour d’un procès qui aurait dû se dérouler à huis clos, comme le voulait la coutume en vigueur lorsque l’inculpé était un homme de renom tel que l’accusé de cette sombre affaire. Mais la nature même de l’affaire avait été traitée jusqu’à présent de telle manière que pour le bon déroulement des choses qui allaient suivre, mais surtout afin d’apaiser la hargne de plus en plus dense qu’exprimait la société à l’égard de l’inculpé, il avait été décidé de rendre le procès public ; montrant ainsi que la justice ne pouvait laisser passer ce genre de comportement sans y porter un jugement radical. Car il ne pouvait en être autrement à la vue des chefs d’accusation et des preuves permettant de confondre le coupable sans crainte de se tromper.

Le coupable en question était assis au premier rang, au centre de la salle triangulaire. Placé de coté sur le banc des accusés de manière à ce qu’il puisse être vu aussi bien du jury, qui lui faisait face, que du Vénérable Juge, à sa droite, et du peuple, à sa gauche. Mais il semblait absent. Les mains et les pieds entravés dans des chaînes brillant d’un métal argenté, il regardait le sol depuis qu’il lui avait été ordonné de s’asseoir. La tête penchée sur sa poitrine ne permettait guère de voir son regard que cachait en plus la masse de cheveux sombres qui coulait sur son large front. On pouvait penser qu’il ne portait nulle attention à son procès, pas plus qu’au verdict qui allait inexorablement tomber d’ici quelques heures. Mais ceux qui le regardaient plus attentivement pouvaient aisément deviner qu’il n’en était rien. Il paraissait plus inconscient de sa situation qu’il ne montrait une quelconque arrogance ou tout autre manque de remord sur ses actes par une attitude distante. En effet, il se balançait par moment sur le petit banc de bois, aussi bien d’avant en arrière que de gauche à droite, tout en secouant la tête dans un hochement qu’il répétait régulièrement. De prime abord, il pouvait provoquer plus de pitié que de colère à le voir ainsi, innocemment perdu dans une divagation quasi épileptique, mais rapidement les gens se remémoraient quels actes atroces il avait commis, et dès lors lui jetaient des regards pleins d’une haine farouche pourtant peu commune chez ces gens pacifiques. Regards qu’il ne percevait pas. Après avoir observé un long temps d’arrêt sur cet homme, en proie à un délire qui ne le quittait maintenant plus depuis bien des semaines, la femme se retourna vers le juge et s’éclaircit la voix avant de prendre la parole :

« Je me nomme Fiona Colums. Je suis à l’heure actuelle considérée comme la plus compétente éminence scientifique en matière de psychologie de l’inconscient. J’ai été convoquée depuis ma résidence du centre oriental de la capitale annexée pour apporter mon aide dans l’affaire du jeune Fondé de Pouvoir à la banque B… , Mr Colin Fousam arrêté à l’âge de vingt-six ans, le 12 septembre dernier, pour divers chefs d’accusation qu’il n’est pas utile de citer sur le moment, bien qu’il me faudrait y revenir plus tard au cours de mon exposé. Mon aide consistait en un éclaircissement de l’état mental de cet homme auquel mes confrères n’ont pu, jusque là, apporter aucune conclusion satisfaisante. Le récit, que je vais présenter à la court de votre Excellence, n’est autre que la vie de l’inculpé lui-même, qu’il a retracée devant moi lors de séances de ce que je nommerais ici « hypnose avancée » pour ne pas perdre l’attention de l’assistance dans des descriptions par trop techniques. Ce récit je me suis évertuée à le retranscrire malgré la fiévreuse, et bien souvent incompréhensible, manière dont il me le racontait, et malgré les nombreuses digressions qu’il opérait fréquemment vers des sujets qui, dans le cas présent, ne nous intéressent guère, mais qui pourraient apporter leur part d’informations si le Tribunal m’en demande expressément l’exposition. »

« Sceptique au début quant à la cause même de son état mental, devenu dangereusement tangible au cours des semaines d’enquête du Tribunal, je dus me rendre à l’évidence au fil de mes rencontres avec le sujet que cette transformation était irréversible et causée par un phénomène bien réel. Est-il nécessaire de rappeler que Mr le Fondé de Pouvoir Colin Fousam jouissait d’une réputation bien assise à la banque et était hautement considéré parmi les membres d’élite de la société distinguée qu’il fréquentait à l’époque ? Est-il nécessaire de rappeler que ce jeune homme a mené jusque là une vie bien calme et ordinaire que nul événement ne venait déranger ? Est-il nécessaire de rappeler que cet homme n’a jamais troublé l’ordre publique, et ne s’est jamais fait remarquer par les services de police, ni même par son proche entourage, pour ce penchant morbide qu’on lui connaît aujourd’hui et que beaucoup prétendent, avec un acharnement guère convaincant, qu’il lui collait depuis toujours à la peau ; menaçant à chaque instant de surgir du fond de sa conscience ? Et bien je dirai que oui ; oui tout cela est nécessaire d’être rappelé. Non pas pour gagner la sympathie du jury, non pas pour faire valoir une quelconque circonstance atténuante à ses actes. Mais dans le seul but de comprendre, dans sa globalité, le tout qui a provoqué ce changement absolu et inattendu dans le comportement de cet homme au regard perdu dans les recoins les plus sombres d’une divagation moribonde. »

« Mesdames et Messieurs, honnêtes gens, je vous demande de le regarder attentivement en vous éloignant au plus possible de ce que vous savez de lui aujourd’hui. Vous conviendrez de dire, je pense, que cette attitude totalement détachée de cette réalité qui nous entoure et qui l’entoure, lui plus particulièrement, n’est pas chose courante chez les personnes portées sur le genre d’actes auxquels il s’est adonné ; bien que jusque là notre justice n’a nulle mémoire qu’un cas semblable ait été porté devant son jugement. C’est pourquoi je vous demande de suivre avec attention le récit que je vais maintenant vous présenter, si le Tribunal y consent, et de n’en pas juger la portée avant la fin. Votre Honneur… »

Fiona Colums s’était à présent tournée vers le juge, et attendait son bon vouloir pour commencer à lire à l’audience les feuillets griffonnés de notes qu’elle venait de ramasser sur la table où elle avait posé ses dossiers. Le Vénérable Juge l’y invita en opinant lentement du chef ; sans prononcer le moindre mot qui aurait pu venir perturber l’ordre de la longue barbe brune qui encadrait ses lèvres. Avant de se lancer dans son récit, le Dr Colums regarda intensément Colin Fousam qui releva la tête au bout de quelques secondes, comme se sentant observé avec insistance ; dévoilant ainsi un regard clair où brillait l’éclat terne et bleu d’une tristesse infinie. Un murmure de sourde désapprobation se fit entendre dans la foule, vraisemblablement peu satisfaite de la première manifestation du conscient de l’accusé alors qu’il venait d’adresser un petit sourire mélancolique en saluant Fiona Colums de l’auriculaire, avant de retomber dans sa discrète folie. Fixant à nouveau le sol sur lequel ses pieds remuaient, comme mus par une volonté propre, dans un inaudible frottement de tissu.

« Je vous épargnerai les résultats obtenus lors de nos premières séances car dans ce genre de pratique il faut remonter jusqu’à l’âge enfant, pour permettre à l’inconscient du sujet étudié de s’immerger totalement dans son passé afin de le relater dans son entière véracité. Les vingt premières années de Colin Fousam étant tout à fait banales et semblables à celles de toutes personnes nées et éduquées dans un climat de gentillesse, d’amour et de culture, comme vient de le témoigner son père il y a quelques minutes ; je n’ai donc pas jugé nécessaire de les joindre au reste de mon investigation. Je passe donc directement à l’âge où Fousam commence à se détourner peu à peu de ce monde pour explorer les fondements d’une réalité qui n’est pas la sienne, deux années après qu’il fut nommé à son poste de Fondé de Pouvoir à la banque B… du centre oriental de la capitale annexée, à l’âge précoce de vingt-deux ans. Comme pourront en témoigner les prochaines personnes, qui faisaient parti de son proche entourage de relations et d’amis, Colin Fousam brillait en société par son savoir érudit dans de nombreux domaines, tels la philosophie des anciens, la botanique subtropicale ou encore la physique cantique lors de soirées mondaines autant que lors de petites réunions d’intimes ; soirées et réunions auxquelles il s’adonnait fort régulièrement. À l’âge donc de vingt-quatre ans, alors qu’il ne cessait de monter dans l’estime générale d’une société qu’il avait toujours voulu fréquenter depuis son plus jeune âge, et alors qu’il était totalement conscient de ses progrès fulgurants dans ce but, il fit la rencontre d’une indienne originaire de Narragansett au cours d’une des nombreuses soirées de gala organisées dans la demeure de l’honorable et distingué Gouverneur Falcon Mosui. Rapidement, il tombera sous le charme de cette femme qui lui racontait volontiers les histoires de son peuple, dont les principales préoccupations étaient totalement opposées aux aspirations matérielles et honorifiques de cette société dans laquelle elle venait à peine de débarquer, pour des raisons qui ne nous sont pas connues, et que Colin Fousam ne semblait pas connaître ni même chercher à découvrir. »

« Toujours est-il que cette jeune personne, Mulan Sifoco, sera bientôt, comme nous le savons tous, la première victime des délires épileptiques de Colin Fousam ; tout d’abord par des comportements d’une étranges perversité déviant totalement de ses habitudes galantes envers elle, mais ensuite par des frasques d’une extravagance morbide de plus en plus manifeste pour finir par sa propre mort ; la première d’une macabre série. Reste cependant à découvrir ce qui a pu provoquer cette déconnexion soudaine de notre réalité pacifique. Intriguée par sa relation avec cette jeune Mulan Sifoco, j’entrepris de l’interroger à ce sujet. Il s’avère qu’au fil du temps ils commencèrent à se fréquenter discrètement en dehors des soirées et des réunions. Discrètement car il avait peur que ce cercle fermé de l’élite ne désapprouva cette relation somme toute peu commune. J’appris alors, par les questions qu’il m’était tenu de poser à son entourage et à ses collègues, que Colin commença à se présenter en retard, les traits tirés et le teint blafard à son bureau, et que le soir lors des différentes réceptions auxquelles il était invité, il se montrait peu loquace et sombre en même temps que sa relation avec Mulan Sifoco devenait plus poussée. Relation qu’il me contait en des termes emplis d’une telle tendresse et d’une telle précision qu’il me fallut peu de temps pour me rendre compte qu’il était tombé follement amoureux de cette étrangère, et qu’il paraissait alors totalement dévoué à son épanouissement comme à son bonheur ; exhaussant chacun de ses désirs en galant homme qu’il était encore à cette époque. En sa compagnie, chaque lieu qu’ils traversaient devenait romantique et féerique, et ils avaient pour habitude de s’arrêter des heures durant, au sommet de la colline aux sept chênes, lorsque le soleil se couchait, pour observer les étoiles, à la périphérie des quartiers suburbains où elle vivait avec sa famille. Étendus cote à cote sur l’herbe, à contempler la voûte céleste, ils partageaient les silences, les rires, les conversations animées et les plus enfiévrées déclarations de fidélité et d’amour éternels. À chacune de leurs rencontres isolées elle ne manquait pas de lui conter les histoires de son peuple qu’elle avait quitté alors qu’il l’écoutait, plongé dans un mutisme rêveur. »

« Les histoires abordaient toujours les même sujets, qui semblaient profondément lui manquer à mesure que la jeune femme découvrait les intérêts compliqués et matériels de notre société. Elle évoquait, avec nostalgie, les longues soirées passées, avec famille et amis assis autour d’immenses feux de camps, à parler des temps immémoriaux où les Dieux se dressaient, fiers, pour contempler leur création : l’Homme. Ces veillées où contes et légendes prenaient vie dans l’âcre et enivrante fumée qui se dégageait de ce qu’elle appelait les calumets. Ces mondes où planent les souvenirs infinis des temps reculés où les indiens vivaient heureux et en harmonie avec la nature, avant que "l’homme blanc" ne vienne tout perturber avec ses villes, ses armes aux explosions assourdissantes, ses banques et son argent. Elle lui contait les journées passées dans la nature à explorer le monde animal sans aucune autre pensée carnivore ou gloutonne. Et d’autres journées lors desquelles les hommes partaient à la chasse pour nourrir leur communauté et obtenir les peaux de bêtes qui serviraient de vêtements chauds pour les rudes hivers à venir. Elle lui racontait le quotidien paisible de cette communauté qui prenait le temps de vivre et d’apprécier à leur juste valeur les plaisirs simples d’une vie calme. Un soir de juillet, alors qu’ils s’étaient retrouvés au sommet de la colline, blottis au pied de leur arbre fétiche, Colin remarqua un objet long et fin enroulé dans un linge bleu ciel à côté de sa compagne. Elle avait décidé de lui faire entrevoir ce qu’étaient les soirées dont elle lui parlait si régulièrement. Pour cela elle avait apporté un de ces fameux calumets ; relique de leur vie à Narragansett que son père conservait précieusement en vitrine dans le salon de leur modeste appartement. Colin Fousam découvrit, ce soir-là, le goût particulier qu’offraient les substances opiacées qu’elle lui avait fait inhaler. Mulan Sifoco fut cependant surprise de voir que ces substances, habituellement efficaces pour créer un climat de petite transe propice aux contes et légendes, ne produisirent aucun effet sur le jeune homme et elle lui en fis part. Colin ne s’en inquiéta pas plus que cela et appréciait à tel point le goût de ces produits, qu’il demanda à la jeune femme de prendre avec elle le calumet à chacune de leur rencontre ; ce qu’elle accepta non sans mal en pensant à la réaction de son père s’il se rendait compte que l’instrument manquait dans sa vitrine. Mais l’amour était plus fort et elle céda. »


Dernière édition par le Jeu 20 Juil 2006 - 15:31, édité 1 fois
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Sequenra
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MessageSujet: Re: Démonirisme   Démonirisme EmptyJeu 20 Juil 2006 - 15:30

« La jeune femme ne savait cependant pas que le métabolisme de Mr le Fondé de Pouvoir semblait assimiler avec retard les substances qu’il avait fumées lors de ces longues veillées romantiques. Ainsi une fois de retour dans ses appartements, Colin Fousam tombait dans un état inconscient et transcendant où il rêvait à des chimères colorées et à des mondes reculés qu’il ne connaissait pas. Ces délires passagers dont il ne gardait aucun souvenir conscient étaient les prémices d’une folie qui le guettait et, rapidement, il sombra dans la dépendance de ces herbes qu’il fumait. Dès lors commença-t-il à changer de comportement à son bureau, arrivant à des horaires inhabituels, se laissant aller à des rêveries qui ne lui étaient pas coutumières. Cette dépendance se faisait surtout ressentir lors des soirées qu’il passait avec la société aux heures où il fumait habituellement le calumet avec sa compagne indienne. Il se montrait alors fort taciturne, nerveux, sombre et facilement irritable. »

« J’interromps ici mon récit pour faire le point sur ces informations. Nous pouvons donc comprendre que la drogue qu’il consommait régulièrement eut pour effet d’altérer sa personnalité, ses relations au sein de la société, qui par la suite, commencèrent à se réduire à mesure qu’il se montrait sous un jour différent, son rendement de travail qui diminuait également de beaucoup ; en particulier aux lendemains de nuits passées à errer dans les mondes hallucinés causés par le calumet. Bien que ces substances puissent faire dériver l’esprit jusqu’à le déconnecter de la réalité consciente, elles ne suffisent pas à expliquer la suite des évènements et les modifications de Colin Fousam. Nous pouvons également nous demander, à juste titre, pourquoi Mulan Sifoco ne remarqua pas cette altération dans le comportement de son ami, et pourquoi elle ne mit pas fin à ces soirées passées à fumer. J’apprenais que, simultanément à ce changement, le jeune couple s’affichait maintenant de manière assez grotesque en ville et dans les quartiers résidentiels, allant jusqu’à s’adonner en publique à des pratiques quelques peu sensuelles, érotiques et déplacées. Pratiques qui, dans les premiers temps de leur récente assurance ne semblaient pas déranger la jeune fille, jusqu’à ce que son père ne soit au courant de ses excentricités charnelles aux yeux de tous, et qu’il ne la mette en garde contre ce que les gens pourraient penser d’elle. Et effectivement beaucoup de monde, dont l’honorable et distingué Gouverneur Mosui pensèrent que cette jeune indienne était la source même du changement de comportement du, jusqu’ici, si respectable Fondé de Pouvoir ; bien qu’elle n’y fut pas totalement étrangère. Pour beaucoup elle n’était qu’une dépravée de plus qui avait perverti l’esprit naïf d’un Colin amoureux. Ainsi lui faisait-elle des remontrances lorsqu’il voulait l’embrasser en public ou même aller bien plus loin que ces simples marques d’attachement profond. Bien des témoins affirmèrent alors qu’au début l’accusé se mettait à faire l’enfant capricieux lorsqu’il n’obtenait pas d’elle ce qu’il voulait sur l’instant, mais qu’ensuite il s’emportait dans une colère noire, tapait du pied d’impatience et partait seul dans la direction opposée de leur cheminement. Certains disent qu’il aurait été jusqu’à la gifler mais qu’il se serait immédiatement repenti, excusé à genoux. Excuses que Mulan acceptait rapidement, aveuglée qu’elle était aussi par l’amour. »

« Lors d’une séance particulièrement intéressante de cette "hypnose avancée", j’appris de la bouche de Colin des détails qui entraient maintenant complètement en compte dans ce qui pouvait aider à éclaircir ce soudain changement. Dans un accès de fièvre atroce, qui se déclencha alors qu’il se trouvait allongé sur le fauteuil de consultation de mon cabinet, les lèvres tordues dans une agonie sans fond il me raconta les rêves qui venaient le hanter lors de ces transes opiacées. Ou plutôt se mit-il à me décrire les événements qu’il vivait au cours de ces sombres heures où la drogue faisait effet. Au début de son expérience du calumet, il n’entrait que timidement et furtivement dans un état de transe. Il ne percevait alors rien de plus que ce que les drogues provoquent : hallucinations grotesques, distorsions de l’espace, du temps, des images et des sons. Plus clairement il se savait être plongé chez lui dans un état peu commun. Rien de fondamentalement anormal pour qui a déjà étudié des cas plus poussés de dépendance à l’opium ou tout autre substances similaires. Cependant, à mesure qu’il pratiquait ce nouveau petit plaisir, les images changèrent mais en plus de cela, son corps et son organisme en subissait certaines retombées déjà plus inhabituelles. Sans pour autant avoir à interroger ses proches à ce sujet, le simple fait de l’avoir directement sous mes yeux était plus parlant que n’importe quelle rumeur, histoire ou anecdote, ayant une photographie de lui lorsque tout allait encore "bien". Je pus ainsi aisément constater que son teint avait changé. Autrefois frais et rosâtre, il était désormais terne et violacé. Ses yeux semblaient en permanence perdus dans les recoins d’images qu’il ne percevait pas d’où il était, comme visionnant des souvenirs à jamais présents dans son esprit. Ses pupilles, jadis sombres et étincelantes, étaient aujourd’hui bleues, dilatées et terriblement claires. Ses cheveux, frisés et auparavant clairsemés, étaient à présent totalement lisses et abondants. Sa physionomie entière avait été bouleversée : il avait manifestement perdu beaucoup de poids au cours de ses dernières expériences et se tenait maintenant d’une manière quelque peu voûtée. Sa voix, en revanche n’avait, elle, pas changée. »

« Je disais donc que non seulement son corps mais également les images de ses délires transcendants avaient changé d’aspect. C’est sur le ton du secret, dans un flot de murmures inaudibles, qu’il me confia ses visions devenues plus irréelles que psychédéliques. À chacune de ces excursions dans ce monde de chimères il se retrouvait dans un lit, sortant à peine d’un repos qu’il n’avait pas eu, dans une maison qu’il apprit à connaître petit à petit et à reconnaître les fois suivantes. Il me confia que de nouvelles sensations, inconnues jusque là, le submergeaient à chacun de ses mouvements. Il se sentait marcher d’un pas léger et bondissant, comme flottant sur un nuage de bien être, il percevait des sons étrangers à son ouïe devenue incroyablement perçante et voyait des couleurs qu’il n’avait encore jamais rencontrées, des formes kaléidoscopiques aux symétries et à la géométrie qu’il ne soupçonnait pas pouvoir exister. Toujours sur ce même ton du secret, il me dévoila qu’en sortant de la chambre aux couleurs feutrées, il se retrouvait dans une nature, magnifique et vaste, qui s’étendait à perte de vue le long d’un infini sol couvert de fleurs changeantes, dans un mouvement de silencieuse ondulation ; passant des orchidées blanches à la rose jaune, de la rose jaune aux tulipes bleues et des tulipes bleues aux camélias rouges. Ces fleurs, et les innombrables chênes centenaires qui les entouraient, frémissaient dans le souffle d’un vent inexistant qui transportait une délicate odeur de cerisier blanc. Cette même odeur qui régnait dans l’air du Japon qu’il avait connu lors d’un voyage au cours de sa prime jeunesse, et qu’il souhaitait à tout prix retrouver un jour. Il me murmura que la nature semblait bouger par sa propre volonté, que les solides branches de ces arbres centenaires se convulsaient tels des caoutchoucs de bois, que les rochers dispersés dans la vaste prairie de fleurs variantes se changeaient sous le vent, prenant des formes aux angles adoucis. Puis il me parla du ciel, orange, ceinturé par une large bande d’un sombre violet, qui semblait ne pas devoir perdre l’éclairage que lui offrait cet immense astre de flammes roses. Pourtant, il me dit qu’il arrivait que, de manière inattendue, l’astre solaire ne disparut derrière un nuage pour en ressortir avec les pâles rondeurs d’une lune gourmande, plongeant de la sorte chaque parcelle de terre et de ciel dans une lumière d’ombre diffuse imperceptible. Ces brusques changements, qui pouvaient s’opérer à n’importe quel instant, semblaient faire naître de nouvelles formes dans cette nature aux couleurs chatoyantes que Colin Fousam parcourait allégrement de son pas léger et bondissant. Ce jour là il me décrivit un univers que chacun de nous espère connaître un jour, un monde où la nature n’aspire pas à autre chose qu’être respectée et cajolée. Un monde dans lequel nous pouvons circuler à toute heure du jour et de la nuit. Il me décrivit l’étonnement, quasi lucide, avec lequel il découvrait les moments lunaires sur cette terre onirique. Dans bien des cas, à savoir la majorité, lors de délires et de déconnexions avec la réalité du monde, les univers de la nuit sont assimilés à la terreur et la peur, à la mort et aux ombres, aux inquiétants hurlements d’animaux sauvages et à toute sorte de phénomènes plus étranges encore. Chez Colin ces nuits étaient, au contraire, le moment où la nature semblait vivre de cette vie qui fourmille habituellement le jour. Des petits êtres d’aspect chaleureux, nullement effrayant, sortaient des arbres dans une activité assourdissante où venaient se perdre les rires, les babillages, et tout ce qui compose une société civilisée où les individus s’entendent cordialement. Chacune de ces petites créatures aux grandes oreilles le saluaient respectueusement sur son passage bondissant, ôtant leurs couvre-chefs bariolés de rouge et de vert. Salut que Colin rendait dans un rire jovial avant de se sentir doucement et calmement obligé de s’en retourner vers cette chambre aux couleurs feutrées, pour se recoucher dans ce lit inconnu ; comme aspiré vers cette concrète réalité physique du réveil. »

« Au lendemain de ce genre de nuit de transe il se réveillait généralement tard mais incroyablement reposé. Dans les premiers temps les changements physiques n’étaient guère prononcés, à en juger le témoignage de ses collaborateurs, mais lorsqu’un jour il arriva, la démarche hésitante, la tenue débraillée, les cheveux en désordre et la barbe non soignée, le personnel de la banque commença à se poser de sérieuses questions sur sa vie privée alors que le malaise vis-à-vis de l’honorable clientèle se faisait sentir de manière palpable. Et lorsque, tout au long de cette journée au bureau, Colin Fousam rêvassa ; sans doute de ces lointaines contrées colorées qui hantaient ses nuits, cela fut trop de laisser-aller pour le directeur de la banque Mr Luis MacFono qui alla le voir d’un pas décidé, afin de lui asséner quelques remontrances sur son attitude de désinvolture manifeste. Ce jour là MacFono fut fortement déstabilisé, a-t-il révélé à son proche ami le Gouverneur Falcon Mosui, qui me rapporta les faits lorsque je l’interrogeais sur l’affaire du directeur de la banque, lorsqu’en écoutant le sermon de son directeur, Colin leva subitement vers lui des yeux d’une noirceur inhabituelle emplis d’une foule de sentiments, que son supérieur ne voulut pas éclaircir par crainte d’en découvrir la signification et, alors qu’il allait se détourner de ce regard hargneux, un clignement de paupières fit changer de couleur les yeux du jeune homme pour leur faire prendre cette teinte bleuté qu’ils ont encore à ce jour. »

« Le soir même, les domestiques en charge du nettoyage des locaux retrouvèrent, horrifiés, le directeur perdu dans le faible éclairage de son bureau, affalé sur son fauteuil de cuir noir, le cou effroyablement enserré dans le nœud de sa cravate. Son visage affichait la plus affreuse expression de douleur et de suffocation ; sa peau était lacérée de toute part en signes et symboles qui formaient d’indéchiffrables hiéroglyphes, le teint était violet alors que sa langue pendait, longue en dehors de sa bouche, et ses yeux exorbités n’exprimaient plus rien sinon l’expression du vide. Apeurés par cette vision d’une violence inouïe, les domestiques avaient appelé les services de police qui arrivèrent fort rapidement sur les lieux, une patrouille circulant justement dans le quartier après avoir reçu un étrange appel qui laissait entendre une voix étouffée ; une voix de femme. L’un des policiers, qui se mit à arpenter le bureau à la recherche d’indices potentiels, découvrit, tapi dans le plus sombre recoin de la pièce, le corps recroquevillé et paisiblement assoupit de Colin Fousam. Il fut dès lors appréhendé comme principal suspect dans cette affaire, surtout après que le Gouverneur Mosui ait répété à la police les mots qu’il avait échangés au cours du déjeuné avec le directeur de la banque au sujet du regard de Colin. Preuve encore plus irréfutable, alors qu’une saisie avait été effectuée dans les appartements de Colin Fousam afin de trouver la trace de drogues illicites qu’il consommait allégrement, un corps de femme fut retrouvé sur son lit, les mains attachées dans le dos, entravées par une corde à tel point serrée que le sang séché de ses poignets s’était figé le long de ses bras, la tête pantelante au pied du lit, le cou étranglé avec force par le fil du combiné téléphonique, la langue et le visage dans le même état que le directeur de la banque. Il régnait une odeur à ce point infecte de putréfaction avancée qu’il n’était pas difficile de comprendre que le corps de cette jeune femme, l’indienne Mulan Sifoco, gisait dans cette chambre depuis plusieurs semaines. Le lendemain matin une nouvelle victime de la folie criminelle du jeune Colin Fousam fut découverte. Il s’agissait d’une femme qui l’avait repoussé alors qu’il venait à peine d’entrer dans la société d’élite, il y a quelques années de cela. Elle avait été retrouvée dans ses appartements par son fils qui la découvrit, le visage scarifié de toute part, à nouveau de marques hiéroglyphiques et runiques manifestement creusées dans la peau par le coupe-papier couvert de sang séché qui jonchait le sol sur lequel elle était affalée, le corps disloqué, les mains attachées dans le dos par des liens barbelés, qui lui labouraient les chairs, et le coup étranglé avec le fil du combiné téléphonique comme pour la jeune Mulan Sifoco. Cette femme, dont nous ne révèleront pas l’identité à la demande du fils, était la personne qui avait appelé la police le soir du meurtre du directeur de la banque. Au sol, à proximité de cette femme, une nouvelle preuve venait corroborer les faits : une photographie de Colin Fousam tachée de sang jouxtait le coupe-papier.»

A mesure que le Dr Fiona Colums exposait ces détails sordides, le murmure qui parcourait la salle du tribunal se transforma rapidement en une seule et même voix, qui se révoltait contre l’exposition si crue de ces faits. Le Juge calma la foule en jouant de son marteau sur le bois roux de son large bureau sans proférer le moindre mot, mais son autorité naturelle suffisait à faire taire les foules les plus dissipées.
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Sequenra
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MessageSujet: Re: Démonirisme   Démonirisme EmptyJeu 20 Juil 2006 - 15:31

« Si je vous ai fait part de ces détails, qui semblent vous répugner et vous ont fait vous révolter d’indignation, ce n’est pas sans raison. Il était absolument nécessaire que ces informations soient révélées au jury afin qu’il puisse porter ultérieurement un jugement sur toute cette histoire. Car, voyez-vous mesdames et messieurs, tout ceci appartenait manifestement à un rituel auquel Colin Fousam ne pouvait échapper dans son état. Je l’apprenais avec cette même incrédulité morbide que vous manifestez si bruyamment en ces lieux lors d’une nouvelle séance d’hypnose avancée encore plus poussée que les précédentes. Durant cette séance que j’avais voulu nocturne, pour réveiller au subconscient de Colin les sensations qu’il devait éprouver au cours de ces nuits de transe, cet homme me parla à nouveau de ces contrées lointaines et chimériques de son esprit. Mais, alors qu’avant il en parlait avec le ton du secret comme pour ne pas dévoiler à haute voix l’emplacement de ce lieu merveilleux, ce jour là il m’en parla avec la voix hésitante d’un homme traqué, et derrière ses paupières closes ils semblait regarder autour de lui ; comme s’il n’était pas dans la pièce et qu’il appréhendait de voir surgir quelqu’un où quelque chose. Je l’interrogeai avec insistance sur les rêves qu’il fit dans la semaine précédant ses meurtres avant qu’il ne cédât et commençât à m’en parler. Ses rêves n’étaient plus guère peuplés par ces inoffensives créatures qui le saluaient avec forte courtoisie. Le monde qu’il s’était figuré était à présent désespérément vide bien qu’il conservait sa nature et les agréables sensations qu’il fournissait auparavant. Les sols étaient toujours jonchés de fleurs aux couleurs de l’arc-en-ciel, le ciel lui-même surplombait toujours les terres de sa teinte orangée, ceinturé de cette bande violacée. Le soleil brillait plus ardemment que jamais et la lune était plus bienveillante qu’elle ne l’avait jamais été. Lorsqu’il se réveillait dans cet univers de bien être total, il s’entendait résonner, au loin, une sorte de murmure que les vents portaient dans leurs légers souffles inexistants, et que le bruissement des feuilles semblait modeler en une voix de plus en plus distincte à mesure qu’il revenait les nuits suivantes. Il ne s’expliquait pas la raison pour laquelle il ne croisait plus ces petits lutins avenants, mais il devait bientôt comprendre. Lorsqu’il reparaissait sur ces lointaines terres modelées par son esprit délirant, le sol, les fleurs, les arbres, le ciel ; tout se dissipait à mesure que ce murmure se faisait plus clairement entendre. Le paysage se rétractait sur ses fondements ; les rochers se résorbaient, les fleurs se fanaient et rentraient sous terre, les vents ne soufflaient plus mais semblaient s’aspirer, le soleil tourbillonnait sur lui-même pour disparaître en son centre, telle l’eau qui s’échappe par le siphon d’un évier, la maison perdait brique par brique et les arbres mourraient petit à petit sur leurs branches avant de faner en un gland desséché. Ce paysage onirique qu’il avait appris à aimer disparaissait inexorablement en même temps que d’affreux visages aux rictus déformés venaient à lui pour lui glisser quelque macabre murmure. Ce murmure il me le rapporta, j’en eu un frisson d’effroi sur le moment, et il m’avait plongé dans une terrible angoisse lorsque la nuit j’y repensais, dans le lit froid de ma chambre d’hôtel. C’est ce murmure qui lui permit de comprendre pourquoi les lutins avaient déserté leur terre, et pourquoi le paysage disparaissait de la sorte nuit après nuit. Aussi étrange que cela puisse vous paraître, cet homme n’est pas fou, non messieurs, non mesdames, non Vénérable Juge ; cet homme n’est pas fou. On peut admettre que l’absorption des drogues, inhalées avec le calumet, ait favorisé cet état, mais en aucun cas cela n’a déclenché une quelconque folie. Pourtant si aujourd’hui je vous affirme clairement qu’il n’est pas fou cela ne signifie pas non plus qu’il ait été conscient des atrocités qu’il a commit à trois reprises. »

« Comme je vous l’ai rappelé au début de mon intervention, Mr le Fondé de Pouvoir à la Banque B… Colin Fousam a joui pendant longtemps d’une estime à proprement dire élevée au sein de la société d'élite de notre capitale, il a suivi une enfance sous l’éducation puritaine de nos ancêtres sans qu’aucun événement ne vienne perturber sa vie, et il ne s’était auparavant jamais montré sous des aspects de monstruosité de violence envers qui que ce fût. Au contraire il vivait une vie tout bonnement fort peu singulière, pour le moins banale, bercée par des intérêts matériels et autres futilités liées à sa position, son emploi, sa fortune etc… Mais le jour où il rencontra cette jeune indienne il découvrit un tout autre monde, non seulement en la fréquentant elle, mais également à travers les histoires d’un peuple simple, sans prétentions, qu’elle lui contait volontiers. Ce monde il le trouva quelques temps après, en rêve, sous la forme qu’il s’en faisait en absorbant les substances opiacées du calumet de sa jeune compagne. Ce jeune homme était depuis quelques temps écœuré par les préoccupations de sa société, par la routine de sa vie, par l’ennui que lui procurait tacitement son entourage ; lui qui depuis toujours, au contraire, semblait vouloir jouir d’une liberté de vie, de penser, d’action qui ne semblait nullement correspondre à cette élite, mais qu’il pensait pouvoir atteindre en la rejoignant. Et lorsque, enfin, il mit le doigt sur son idéal de société, présenté de manière quelque peu grossière dans ces récits, il dut payer le prix pour y vivre. Ce rituel dont je vous ai parlé lors de l’exposition de ses crimes ; ce rituel était l’application macabre de ce murmure inintelligible qui parvenait à ses oreilles et le harcelait de plus en plus distinctement. Il devait tuer pour parvenir à garder ouvert l’accès à cet univers qui, petit à petit se refermait sur sa propre nature. Repensant à ce murmure dans ma chambre je fus prise de terreur en me remémorant subitement un cas, non pas semblable mais similaire, rencontré il y a quelques soixante ans à plusieurs milliers de kilomètres de chez nous, dans les montagnes rocheuses et escarpées de Bolivie. Ce rituel n’en était pas à sa première manifestation, et je découvris, il y a quelques semaines en feuilletant certains ouvrages mythologiques de la Grande Bibliothèque de la banlieue S…, que dans la mythologie et les rites des tout premiers indiens des alentours de Narragansett, il existait un esprit malveillant qui vivait dans la fumée de l’opium, et qui modelait les désirs secrets des fumeurs en leur réclamant une créance de sang pour les voir, à jamais, réalisés. Colin Fousam s’est acquitté de cette créance et, aujourd’hui, je suis persuadée que son esprit déambule joyeusement dans la nature de ce monde coloré qu’il voulait trouver pendant que, devant nous, son corps terrestre semble perdu dans une réalité qui n’est pas la sienne. Ainsi, je vous le répète, je ne demande nullement à ce que la gravité de ses actes ne soit atténuée. Je ne réclame pas la pitié pour cet homme mais je vous demande d’étudier ce cas dans sa globalité pour aboutir à ma requête. Je souhaite non pas plaider la folie mais la possession. Pour moi, comme j’ai essayé de vous le démontrer, cet homme est possédé par un mal qui le ronge et qui exige de lui des choses abominables. C’est pour cette raison que je souhaiterai vivement que soit effectuée une séance d’exorcisme pour Colin Fousam, bien que je sois consciente qu’aujourd’hui notre monde ne soit guère plus porté à croire aux histoires de fantômes ni à l’existence de démons et autres esprits malfaisants. »

Sans porter un seul regard à la foule, où les réactions fusaient de toutes parts en un flot de murmures et de chuchotements sourds, le Dr Fiona Colums retourna s’asseoir tranquillement à sa table et mit de l’ordre dans ses affaires. Elle regarda pendant de nombreuses minutes Colin Fousam qui n’avait pas quitté le sol de son regard et tanguait toujours faiblement sur le banc, pendant que d’autres témoins et relations de Colin Fousam prirent, à leur tour, la parole devant le Juge. À la fin du procès, alors que la salle bruissait d’innombrables réactions, le jury se retira discrètement pour décider du verdict. Au bout d’une dizaine de minutes les membres du jury étaient revenus de la petite salle où ils s’étaient consultés et avaient fait part au Juge Suprême de leur délibération. C’en était décidé de l’issue du procès de ce jeune homme. Le jury, vraisemblablement peu composé de personnes réceptives au surnaturel et au monde des esprits, reconnut Colin coupable, en son âme et conscience, des trois meurtres prémédités. Fiona Colums quitta la salle d’audience précipitamment alors que le Juge faisait tombé la sentence : « Condamné à la peine capitale pour meurtres avec acte de barbarie ».

Le 2 novembre, alors que le soleil menaçait de disparaître derrière des nuages de pluie, le peuple était venue en masse assister à l’un des évènements les plus marquants de cette année après le procès de Colin Fousam : sa propre mise à mort suite à la condamnation qui en avait découlée. Ce jour là, le condamné semblait, comme toujours, nullement affecté par le destin qui se refermait peu à peu sur lui ; distant de tout ce qui avait trait à la réalité de son corps physique et, comme lors de son procès, il n’avait de cesse de se balancer légèrement sur lui-même avant qu’on ne l’attache au poteau, et qu’on ne bande ces yeux d’une tristesse d’un bleu insondable avec un foulard noir. Autour de la Place de Marbre, où l’exécution avait lieu, le peuple était concentré ; hurlant sa colère, jetant des insultes et foudroyant l’inculpé de regards haineux. Aucune réponse ne fut obtenue lorsque l’on voulu s’enquérir des derniers mots du condamné. Pas un mot. Pas même un signe qui aurait pu laisser penser que Colin Fousam, l’ancien Fondé de Pouvoir à la banque B…, faisait encore partie intégrante de ce monde qui l’entourait. Lorsqu’il fut abattu, pour assouvir la soif de justice vengeresse de cette société pacifique aux faux-semblants de puritanisme, le ciel se fendit d’un sinistre éclat de rire qui succéda à la détonation des armes à feu ; entraînant le silence inquiet de cette foule aux esprits terre-à-terre. Ce sinistre éclat de rire résonna pendant de nombreuses années dans la mémoire de la capitale annexée.

Dans son monde onirique de chimères colorées, Colin regardait voleter deux magnifiques papillons aux ailes d’une translucidité verdâtre, avec un sourire béat d’allégresse et d’épanouissement, avant d’être soudainement précipité dans l’obscurité de l’ultime chaos par les griffes acérées d’une mort venue le chercher jusque dans ses rêves ; jusque dans son monde.

L’histoire sordide de ce procès traversa bien des générations et, aujourd’hui encore, on se raconte en chuchotant les méfaits de cet homme devenu la proie d’un démon arracheur d’esprits qui éclate de son rire volatil le jour où le rêve de sa victime prend définitivement fin.
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MessageSujet: Re: Démonirisme   Démonirisme EmptyLun 7 Aoû 2006 - 14:22

oulah c'est ti long... bon je vais essayer de lire ça dès que j'aurai deux minutes !
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MessageSujet: Re: Démonirisme   Démonirisme EmptyMar 8 Aoû 2006 - 14:38

je suis actuellement au boulot et du coup je n'ai pas le temps de lire ta nouvelle en entier et vu que je trouve indescent de commencer et de ne pas finir je le ferais plus tard !! le tout ecrit en 20 seconde ^^ oufffff....
a plus tard alors...
ps : j'aime bien le titre ^^
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Sequenra
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MessageSujet: Re: Démonirisme   Démonirisme EmptyMar 8 Aoû 2006 - 14:50

bonjour, ayant posté cette nouvelle avant mes petites vacances personnelles, je tiens à préciser que c'est une préversion. Je me suis attelé à reprendre tout le texte afin de raccourcir certaines phrases jugées trop longues et à reprendre certains mots de vocabulaire afin d'éviter les répétitions.

Bonne lecture cependant, l'histoire reste inchangée.
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Sequenra
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MessageSujet: Re: Démonirisme   Démonirisme EmptyVen 18 Aoû 2006 - 10:49

Pour celles et ceux qui seraient intéressés, voilà la première partie du texte préfinal (en attente de quelques corrections encore) :

Démonirisme :

19 octobre…

En cette fin de journée un pâle disque solaire éclairait faiblement la Salle d’Audience du Tribunal, baignant d’une froide luminosité les colonnades de marbre et les tapisseries qui recouvraient les murs. En ce jour se tenait le procès d’un homme reconnu coupable d’actes qui avaient marqués les esprits puritains de cette société paisible. À l’annonce de son nom, qui avait perturbée le silence recueilli qui planait dans la pièce depuis le témoignage ému d’un homme qui avait regagné sa place tête baissée, une femme se leva. À pas lents, elle se dirigea vers le massif meuble derrière lequel le Vénérable Juge, vêtu de sa longue robe noire, se tenait assis, impassible. Avant de s’adresser au Tribunal la femme parcourut attentivement l’audience d’un regard circulaire. Bien du monde avait fait le déplacement pour assister à ce premier jour d’un procès qui aurait dû se dérouler à huis clos, comme le voulait la coutume en vigueur lorsque l’inculpé était un homme de renom tel que l’accusé de cette sombre affaire. L’enquête préliminaire ayant été traitée de telle manière, il avait été décidé de rendre le procès public pour le bon déroulement de ce qui allaient suivre, mais surtout afin d’apaiser la hargne de plus en plus dense qu’exprimait la société à l’égard de l’inculpé. Montrant ainsi que la justice ne pouvait laisser ce genre de comportement sans y porter un jugement radical. Car il ne pouvait en être autrement à la vue des chefs d’accusation et des preuves permettant de confondre le coupable sans crainte de se tromper.

Ce dernier était assis au premier rang, au centre de la salle triangulaire. Placé de coté sur le banc des accusés de manière à être vu aussi bien du jury, qui lui faisait face, que du Vénérable Juge, à sa droite, et du peuple, à sa gauche. Mais il semblait absent. Pieds et poings liés par des chaînes au terne métal argenté, il regardait le sol depuis qu’il lui avait été ordonné de s’asseoir. La tête penchée sur sa poitrine ne permettait guère de voir son regard que cachait, en plus, une masse de cheveux sombres coulants sur son front. On pouvait penser qu’il ne portait nulle attention à son procès, pas plus qu’au verdict qui allait inexorablement tomber d’ici quelques minutes. Pourtant, ceux qui le regardaient plus attentivement pouvaient aisément deviner qu’il n’en était rien. Il paraissait plus inconscient de sa situation qu’il ne montrait une quelconque arrogance ou un manque de remord sur ses actes par une attitude distante. En effet, il se balançait par moment sur son banc d’avant en arrière et de gauche à droite tout en secouant la tête dans un hochement répétitif. De prime abord, il pouvait provoquer plus de pitié que de colère à le voir ainsi, innocemment perdu dans une divagation quasi épileptique. Mais rapidement les gens se remémoraient quels actes atroces il avait commis, et dès lors lui jetaient des regards pleins d’une haine farouche ; pourtant peu commune chez ces gens pacifiques. Regards qu’il ne percevait pas. Après avoir observé un temps d’arrêt sur cet homme, en proie à un délire qui ne le quittait maintenant plus depuis bien des semaines, la femme se tourna vers le juge et s’éclaircit la voix avant de prendre la parole :

« Je me nomme Fiona Colums et je suis, à l’heure actuelle, considérée comme la plus compétente éminence scientifique en matière de psychologie de l’inconscient. J’ai été convoquée depuis ma résidence du centre oriental de la capitale annexée pour apporter mon aide dans l’affaire du jeune Fondé de Pouvoir à la banque B… , Mr Colin Fousam arrêté à l’âge de vingt-six ans, le 12 septembre dernier, pour divers chefs d’accusation qu’il n’est pas utile de citer sur le moment, bien qu’il me faudrait y revenir plus tard au cours de mon exposé. Mon aide consistait en un éclaircissement de l’état mental de cet homme auquel mes confrères n’ont pu, jusque là, apporter aucune conclusion satisfaisante. Le récit, que je vais présenter à la court de Votre Excellence, n’est autre que la vie de l’inculp, qu’il a retracée lors de séances de ce que je nommerais ici « hypnose avancée » pour ne pas perdre l’attention de l’assistance dans des descriptions par trop techniques. Ce récit je me suis évertuée à le retranscrire malgré la fiévreuse, et bien souvent incompréhensible, manière dont il me le racontait. Et malgré les nombreuses digressions qu’il opérait fréquemment vers des sujets qui, dans le cas présent, ne nous intéressent guère, mais qui pourraient apporter leur part d’informations si le Tribunal m’en demande expressément l’exposition. »

« Je me dois de vous dire qu’au début de nos entretiens j’étais sceptique quant à la cause même de son état mental. Pourtant cet état devenait dangereusement tangible au cours des semaines d’enquête du Tribunal et, très tôt, je dus me rendre à l’évidence que cette transformation était irréversible et causée par un phénomène bien réel. Est-il nécessaire de rappeler que Mr le Fondé de Pouvoir Colin Fousam jouissait d’une réputation bien assise à la banque et était hautement considéré par les membres d’élite de la société distinguée qu’il fréquentait à l’époque ? Que ce jeune homme a mené jusque là une vie bien calme et ordinaire que nul événement ne venait déranger ? Est-il nécessaire de rappeler que cet homme n’a jamais troublé l’ordre publique, qu’il ne s’est jamais fait remarquer par son proche entourage, pour ce penchant morbide qu’on lui connaît aujourd’hui ? Penchant que beaucoup prétendent, avec un acharnement guère convaincant, qu’il lui collait depuis toujours à la peau et qu’il menaçait à chaque instant de surgir du fond de sa conscience… Et bien, je dirai que oui. Oui, tout cela est nécessaire d’être rappelé. Non pas pour gagner la sympathie du jury, non pas pour faire valoir une quelconque circonstance atténuante à ses actes. Mais dans le seul but de comprendre, dans sa globalité, le tout qui a provoqué ce changement absolu et inattendu dans le comportement de cet homme au regard perdu dans les recoins les plus sombres d’une divagation moribonde. »

« Mesdames et Messieurs, honnêtes gens, je vous demande de le regarder attentivement en vous éloignant au plus possible de ce que vous savez de lui aujourd’hui. Vous conviendrez de dire, je pense, que cette attitude détachée de cette réalité qui nous entoure et qui l’entoure, lui plus particulièrement, n’est pas chose courante chez les personnes portées sur le genre d’actes auxquels il s’est adonné ; bien que jusque là notre justice n’a nulle mémoire qu’un cas semblable ait été porté devant son jugement. C’est pourquoi je vous demande de suivre avec attention le récit que je vais maintenant vous présenter, si le Tribunal y consent, et de n’en pas juger la portée avant la fin. Votre Honneur… »

Fiona Colums, à présent tournée vers le juge, attendait son bon vouloir pour commencer à lire à l’audience les notes griffonnées qu’elle venait de ramasser sur la table où elle avait posé ses dossiers. Le Vénérable Juge l’y invita en opinant lentement du chef ; sans prononcer le moindre mot qui aurait pu venir perturber l’ordre de la longue barbe brune qui encadrait ses lèvres. Avant de se lancer dans son récit, le Dr Colums regarda intensément Colin Fousam. Au bout de quelques secondes, il releva la tête comme se sentant observé avec insistance, dévoilant ainsi un regard clair où brillait l’éclat terne et bleu d’une tristesse infinie. Un murmure de sourde désapprobation se fit entendre dans la foule. Le peuple était vraisemblablement peu satisfait de la première manifestation du conscient de l’accusé alors qu’il venait d’adresser un sourire mélancolique en saluant Fiona Colums de l’auriculaire, avant de retomber dans sa discrète folie. Après cela il se remit à fixer le sol sur lequel ses pieds remuaient, comme mus par une volonté propre, dans un inaudible frottement de tissu.


A suivre.
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MessageSujet: Re: Démonirisme   Démonirisme EmptySam 19 Aoû 2006 - 12:17

« Je vous épargnerai les résultats obtenus lors de nos premières séances car, dans ce genre de pratique il faut remonter à l’âge enfant, pour permettre à l’inconscient du sujet de s’immerger entièrement dans son passé afin de le relater dans son entière véracité. Les vingt premières années de Colin Fousam étant tout à fait banales. Semblables, pour ainsi dire, à celles de toutes personnes nées et éduquées dans un climat de gentillesse, d’amour et de culture, comme vient de le témoigner son père il y a quelques minutes. Je n’ai donc pas jugé nécessaire de les joindre au reste de mon investigation. Je passe donc directement à l’âge où Fousam commence à se détourner peu à peu de ce monde pour explorer les fondements d’une réalité qui n’est pas la sienne. Deux années après qu’il fut nommé à son poste de Fondé de Pouvoir à la banque B… du centre oriental de la capitale annexée, à l’âge précoce de vingt-deux ans. Comme pourront en témoigner les prochaines personnes, qui faisaient parti de son proche entourage de relations et d’amis, Colin Fousam brillait en société par son savoir érudit dans de nombreux domaines, tels la philosophie des anciens, la botanique subtropicale ou encore la physique cantique lors de soirées mondaines autant que lors de petites réunions d’intimes. Soirées et réunions auxquelles il s’adonnait fort régulièrement. Au cours d’une soirée donnée chez l’Honorable et Distingué Gouverneur Falcon Mosui à l’âge, donc, de vingt-quatre ans, il rencontra une indienne originaire de Naragansett alors qu’il était conscient des rapides progrès qu’il faisait dans l’estime d’une société qu’il avait toujours voulu fréquenter. Rapidement, il tombera sous le charme de cette femme. Elle lui racontait volontiers les histoires de son peuple, dont les préoccupations étaient totalement opposées aux aspirations matérielles et honorifiques de cette société dans laquelle elle venait de débarquer pour des raisons qui ne nous sont pas connues, et que Colin ne semblait pas connaître non plus. »

« Toujours est-il que cette jeune personne, Mulan Sifoco, sera bientôt, comme nous le savons tous, la première victime des délires épileptiques de Colin Fousam. Tout d’abord par des comportements d’une étranges perversité déviant totalement de ses habitudes galantes envers elle, mais ensuite par des frasques d’une extravagance morbide de plus en plus manifeste pour finir par sa propre mort ; la première d’une macabre série. Reste cependant à découvrir ce qui a pu provoquer chez lui cette déconnexion soudaine de notre réalité pacifique. Intriguée par sa relation avec cette jeune Mulan Sifoco, j’entrepris de l’interroger à ce sujet. Il s’avère qu’au fil du temps ils commencèrent à se fréquenter discrètement en dehors des soirées et des réunions. Discrètement car il avait peur que ce cercle fermé de l’élite ne désapprouva cette relation somme toute peu commune. J’appris alors, par les questions qu’il m’était tenu de poser à son entourage et à ses collègues, que Colin commença à se présenter en retard, les traits tirés et le teint blafard à son bureau, et que le soir lors des différentes réceptions auxquelles il était invité, il se montrait peu loquace et sombre à mesure que sa relation avec Mulan Sifoco devenait plus poussée. Relation qu’il me contait en des termes d’une telle tendresse et d’une telle précision qu’il me fallut peu de temps pour me rendre compte qu’il était tombé follement amoureux de cette étrangère, et qu’il paraissait alors totalement dévoué à son épanouissement comme à son bonheur. Exhaussant chacun de ses désirs en galant homme qu’il était encore à cette époque. En sa compagnie, chaque lieu qu’ils traversaient devenait romantique et féerique. Ils avaient pour habitude de s’arrêter, des heures durant, au sommet de la colline aux Sept-Chênes, lorsque le soleil se couchait, pour observer les étoiles, à la périphérie des quartiers suburbains où elle vivait avec sa famille. Étendus cote à cote sur l’herbe, à contempler la voûte céleste, ils partageaient les silences, les rires, les conversations animées et les plus enfiévrées déclarations de fidélité et d’amour éternels. À chacune de leurs rencontres isolées elle ne manquait pas de lui conter les histoires de son peuple qu’elle avait quitté alors qu’il l’écoutait, plongé dans un mutisme rêveur. »

« Les histoires abordaient toujours les même sujets, qui semblaient profondément lui manquer à mesure que la jeune femme découvrait les intérêts compliqués et matériels de notre société. Elle évoquait, avec nostalgie, les longues soirées passées, assise avec famille et amis autour d’immenses feux de camps, à parler des temps immémoriaux où les Dieux se dressaient, fiers, pour contempler leur création : l’Homme. Ces veillées où contes et légendes prenaient vie dans l’âcre et enivrante fumée qui se dégageait de ce qu’elle appelait les calumets. Ces mondes où planent les souvenirs infinis des temps reculés où les indiens vivaient heureux et en harmonie avec la nature. Avant que "l’homme blanc" ne vienne tout perturber avec ses villes, ses armes aux explosions assourdissantes, ses banques et son argent. Elle lui contait les journées passées dans la nature à explorer le monde animal sans aucune pensée carnivore ou gloutonne. Et d’autres journées lors desquelles les hommes partaient à la chasse pour nourrir leur communauté et obtenir les peaux de bêtes qui serviraient de vêtements chauds pour les rudes hivers à venir. Elle lui racontait le quotidien paisible de cette communauté qui prenait le temps de vivre et d’apprécier à leur juste valeur les plaisirs simples d’une vie calme. Un soir de juillet, alors qu’ils s’étaient retrouvés au sommet de la colline, blottis au pied de leur arbre fétiche, Colin remarqua un objet long et fin enroulé dans un linge à côté de sa compagne. Elle avait décidé de lui faire entrevoir ce qu’étaient les soirées dont elle lui parlait si régulièrement. Pour cela elle avait apporté un de ces fameux calumets ; relique de leur vie à Narragansett que son père conservait précieusement en vitrine dans le salon de leur modeste appartement. Ce soir-là, Colin découvrit le goût particulier qu’offraient les substances opiacées qu’elle lui avait fait inhaler. Mulan Sifoco fut cependant surprise de voir que ces substances, habituellement efficaces pour créer un climat de petite transe propice aux contes et légendes, ne produisirent aucun effet sur le jeune homme et elle lui en fis part. Colin ne s’en inquiéta pas plus que cela et appréciait à tel point le goût de ces produits, qu’il demanda à la jeune femme de prendre avec elle le calumet à chacune de leur rencontre. Ce qu’elle accepta non sans mal en pensant à la réaction de son père s’il venait à découvrir que l’objet manquait dans sa vitrine. Mais l’amour était plus fort et elle céda. »

« Cependant, la jeune femme ne savait pas que le métabolisme de Mr le Fondé de Pouvoir semblait assimiler avec retard les substances qu’il avait fumées lors de ces longues veillées romantiques. Ainsi, une fois de retour dans ses appartements, Colin tombait dans un état inconscient et transcendant où il rêvait de chimères colorées et de mondes reculés qu’il ne connaissait pas. Ces délires passagers, dont il ne gardait aucun souvenir conscient, étaient les prémices d’une folie qui le guettait et, rapidement, il sombra dans la dépendance de ces herbes qu’il fumait. Dès lors commença-t-il à changer de comportement à son bureau. Arrivant à des horaires inhabituels, se laissant aller à des rêveries qui ne lui étaient pas coutumières. Cette dépendance se faisait surtout ressentir lors des soirées qu’il passait avec la société aux heures où il fumait habituellement le calumet avec sa compagne indienne. Il se montrait alors fort taciturne, nerveux, sombre et facilement irritable. »

« J’interromps ici mon récit pour faire le point sur ces informations. Nous pouvons donc comprendre que la drogue qu’il consommait régulièrement eut pour effet d’altérer sa personnalité, ses relations au sein de la société qui, par la suite, commencèrent à se réduire à mesure qu’il se montrait sous un jour différent, son rendement de travail qui diminuait de beaucoup ; en particulier aux lendemains de nuits passées à errer dans les mondes hallucinés causés par le calumet. Bien que ces substances puissent faire dériver l’esprit jusqu’à le déconnecter de la réalité consciente, elles ne suffisent pas à expliquer la suite des évènements et les modifications de Colin Fousam. Nous pouvons également nous demander, à juste titre, pourquoi Mulan Sifoco ne remarqua pas cette altération dans le comportement de son ami ? Et pourquoi elle ne mit pas fin à ces soirées passées à fumer ? J’apprenais que, simultanément à ce changement, le jeune couple s’affichait maintenant de manière assez grotesque en ville et dans les quartiers résidentiels. Allant jusqu’à s’adonner en public à des pratiques quelques peu sensuelles, érotiques et déplacées. Pratiques qui, dans les premiers temps de leur récente assurance, ne semblaient pas déranger la jeune fille. Cela jusqu’à ce que son père ne soit au courant des excentricités charnelles de sa fille et qu’il ne la mette en garde contre ce que les gens pourraient penser d’elle. Et, effectivement, beaucoup de monde dont l’honorable et distingué Gouverneur Mosui pensèrent que cette jeune indienne était la source même du changement de comportement du, jusqu’ici, si respectable Fondé de Pouvoir. Bien qu’elle n’y fut pas totalement étrangère, il faut l’admettre. Pour beaucoup, elle n’était qu’une dépravée de plus qui avait perverti l’esprit naïf d’un Colin amoureux. Ainsi lui faisait-elle des remontrances lorsqu’il voulait l’embrasser en public ou même aller plus loin que ces simples marques d’attachement profond. Bien des témoins affirmèrent alors, qu’au début, l’accusé se mettait à faire l’enfant capricieux lorsqu’il n’obtenait pas d’elle ce qu’il voulait sur l’instant, mais qu’ensuite il s’emportait dans une colère noire, tapait du pied d’impatience et partait seul dans la direction opposée de leur cheminement. Certains disent qu’il aurait été jusqu’à la gifler mais qu’il se serait immédiatement repenti, excusé à genoux. Excuses que Mulan acceptait rapidement, aveuglée qu’elle était aussi par l’amour. »

« Lors d’une séance particulièrement intéressante de cette "hypnose avancée", j’appris de la bouche de Colin des détails qui entraient maintenant complètement en compte dans ce qui pouvait aider à éclaircir ce soudain changement. Dans un accès de fièvre atroce, les lèvres tordues dans une agonie sans fond, il me raconta les rêves qui venaient le hanter lors de ces transes opiacées. Ou plutôt se mit-il à me décrire les événements qu’il vivait au cours des sombres heures où la drogue faisait effet. Au début de son expérience du calumet, il n’entrait que timidement et furtivement dans un état de transe. Il ne percevait alors rien de plus que ce que les drogues provoquent : hallucinations grotesques, distorsions de l’espace, du temps, des images et des sons. Plus clairement il se savait être plongé, chez lui, dans un état peu commun. Rien de fondamentalement anormal pour qui a déjà étudié des cas plus poussés de dépendance à l’opium ou à tout autre substance similaire. Cependant, à mesure qu’il pratiquait ce nouveau plaisir, les images changèrent et, plus inhabituel, son corps et son organisme en subissaient certaines retombées. Sans pour autant avoir à interroger ses proches à ce sujet, le simple fait de l’avoir directement sous mes yeux était plus parlant que n’importe quelle rumeur, histoire ou anecdote, ayant une photographie de lui lorsque tout allait encore "bien". Je pus ainsi aisément constater que son teint avait changé. Autrefois frais et rosâtre, il était désormais terne et violacé. Ses yeux semblaient en permanence perdus dans les recoins d’images qu’il ne percevait pas d’où il était. Comme visionnant des souvenirs à jamais présents dans son esprit. Ses pupilles, jadis sombres et étincelantes, étaient aujourd’hui bleues, dilatées et terriblement claires. Ses cheveux, frisés et auparavant clairsemés, étaient à présent totalement lisses et abondants. Sa physionomie entière avait été bouleversée : il avait manifestement perdu beaucoup de poids au cours de ses dernières expériences et se tenait maintenant d’une manière quelque peu voûtée. Sa voix, en revanche n’avait, elle, pas changée. »
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