LE CADEAU

La voiture recule pour sortir du garage en dégageant un léger nuage de fumée bleuâtre, comme d’habitude. Félix n’a pas pris le temps de laisser chauffer un peu le moteur diesel, comme d’habitude. Qu’est-ce que je peux détester cette odeur ! Ce serait pourtant simple ! Mais non, pas moyen.
Mon Félix est un homme pressé, toujours pressé, pressé par le temps, pressé par les autres, pressé par lui-même. Je ne l’ai pour ainsi dire jamais vu marcher, même sa montre marche en courant. Par bonheur, ses rares instants de calme sont ceux qu’il me consacre. Et Dieu sait que j’en profite, que j’en jouis, toujours comme si ce devait être les derniers. Ben oui, qui sait ? De quoi sera fait le lendemain ? Je peux passer sous un camion fou, ou lui, me quitter pour une autre. Personne n’est à l’abri, en tous cas pas moi. Je me sais fragile, je le sais tumultueux. C'est donc une règle de vie que je me suis fixée : prends ce qu’on te donne ma fille, tu ne sais pas ce que la vie te réserve.
Félix sort de son Audi, me jette un coup d’œil complice, rabat la porte du garage et me fait un petit signe de connivence, sans un mot. Je fais le tour pour aller sans hâte vers la portière passager qu’il m’a déjà ouverte, toujours aussi galant, et je m’installe.
Félix est un homme galant, je l’ai toujours connu comme ça. Mais attention ! pas qu’avec moi ! Je l’ai souvent observé lors de rencontres amicales, de soirées plus ou moins mondaines qu’il aime bien donner chez nous. Il se comporte toujours avec une galanterie parfaite vis à vis de la gent féminine. C'est parfois presque excessif et il m’arrive d’en ressentir des ondes de jalousie alors que je le sais d’une exemplaire fidélité. Du moins me plais-je à m’en persuader. En tous les cas, je n’ai jamais pu constater ni même soupçonner le plus petit signe d’une visite féminine la plus secrète soit-elle à la maison. Car j’ai du flair ! De même que je décèle instantanément s’il a passé quelques heures en réunion dans une pièce où des collègues fumaient, de la même façon, je suis capable de comprendre qu’il sort d’un long trajet en métro rien qu’en humant sans en avoir l’air les boucles brunes de sa nuque quand il rentre...
Félix a déjà fait franchir à la voiture, toujours en marche arrière, les quelques dizaines de mètres de l’allée qui nous séparent de la rue.
- Amour ! je vais finir par t’attacher ta ceinture de force ! Je sais que tu te contrefous des PV, mais c'est pour ta sécurité !
Je lui jette un coup d’oeil comme il les aime, énamouré et dédaigneux – si, c'est possible un regard comme ça ! - d’ailleurs il adore ça puisqu’il me sourit largement en me caressant tendrement la nuque de sa main droite.
Nous sommes arrivés devant le super-marché qui apparemment était le but de cette courte randonnée. Au fait, c'est vrai, Félix m’avait fait comprendre qu’il avait une chose importante à faire avec moi en me certifiant que cela me concernait, et je n’avais même pas insisté pour savoir de quoi il s’agissait. Il faut dire que j’aime les surprises. En général, quand Félix m’emmène quelque part avec ces airs de conspirateur, il en ressort toujours quelque chose de sympa pour moi. Si seulement j’avais de façon naturelle les mêmes attentions pour lui ! Mais non, je me sais d’un égoïsme outrancier et je m’en veux bien souvent. Bon, je sais bien que les petites attentions pimentent la vie à deux et j’essaye de compenser ça par des tonnes de câlins. Il suffirait que j’y pense, mais j’ai tellement d’autres chats à fouetter !
Toujours impénétrable, Félix coupe le moteur, se penche vers moi, enfouit son visage dans ma robe beige immaculée et m’entoure de ses deux mains immenses, comme s’il voulait me tenir tout entière à sa merci. Oh que j’aime ça ! Il a souvent ces gestes tendres mais presque brutaux que je le laisse assouvir car je sais qu’il jouit littéralement de ces contacts pleins, même s’ils sont parfois écourtés comme cette fois-ci.
- Bon, ma douce, tu m’attends ? J’en ai vraiment pour trois minutes ! Je vais juste à la galerie marchande.
- Mais bien sûr, que je lui réponds par un regard complice dont je connais le pouvoir.
Il n’a même pas attendu mon autorisation, il a déjà disparu dans l’immense sas rotatif qui l’a englouti en rejetant dans le même temps une mère et sa marmaille du côté opposé. Je m’étire langoureusement tout en songeant à cette belle journée qui commence. Que peut donc être cette surprise pour qu’il ait pris la peine de me demander de l’accompagner jusqu’ici et si c'est pour me laisser ensuite dans la voiture, comme un vulgaire chien encombrant ? Il a intérêt à ce que la qualité du cadeau soit proportionnelle à la vexation et l’irritation que je sens tout doucement monter en moi. Parce que, en plus, il commence déjà à faire une température d’août type Côte d’Azur ! Et cette robe, dont je ne peux absolument pas ôter ne serait-ce qu’un pan ni même en relever les manches me tient pas mal chaud. Si j’avais su...
Bon, je vais me calmer, inutile de s’énerver, il a dit trois minutes. D’habitude j’ai une patience reconnue. Oui, je peux passer des heures sans rien faire, ou à attendre. Par exemple, l’un de mes plaisirs, dans notre grand jardin, est d’écouter les oiseaux, sans me lasser, sans rien faire d’autre, avec le secret espoir que l’un d’eux, un jour, viendra se poser là, juste devant mon nez, pour me siffler sa sérénade rien que pour moi.
La portière gauche s’ouvre, je n’avais même pas vu que le grand tourniquet l’avait poussé dehors à son tour, perdue que j’étais dans mes rêveries volatiles.
- Voilà chérie, me dit-il avec un sourire entendu, j’ai trouvé ce que je voulais. Je l’avais repéré la dernière fois et je regrettais de ne pas l’avoir acheté ce jour-là. Heureusement qu’il y en avait encore.
Vous croyez qu’il m’aurait tout de suite montré de quoi il parlait ? Pas du tout ! Le petit paquet discret, pas plus grand qu’un livre de poche, a volé sur le siège arrière, me cachant son contenu ! J’ai fait mine d’amorcer un mouvement de retournement que Félix a aussitôt interrompu avec sa douceur habituelle, me dissuadant ainsi de mettre mon projet à exécution.
- Mais sois donc patiente, ma puce, dans cinq minutes tu sauras !
Oh ! Je déteste quand il m’appelle ma puce ! Je ne sais pas pourquoi, ça m’énerve. J’allais dire : ça me gratte ! Mais il oublie toujours. Bon, allez, pardonné. Après tout, cette petite comédie, c'est pour moi ! Il embraye et nous voilà déjà de retour au bercail. Le film se déroule en arrière : l’allée du garage, la porte du garage, la portière droite qu’il m’ouvre galamment pour me laisser descendre et rejoindre lentement la porte d’entrée, la voiture rangée, le diesel coupé. La boucle est bouclée, passons aux choses sérieuses !
- Viens voir, me fait-il alors courant devant moi, le petit paquet anonyme à la main.
Je suis curieuse comme une pie, excitée comme une puce, mais je n’ai pas l’intention de me départir de mon calme, réputation oblige ! Il tient la porte d’entrée ouverte jusqu’à ce que je passe devant lui avec un air tout aussi amoureux et dédaigneux que tout à l’heure. Il ne peut s’empêcher de me caresser les hanches au passage, je sens ensuite son regard s’attarder sur ma croupe tandis que je me dirige toujours très calmement vers le salon, comme si l’affaire n’était pas si exceptionnelle que ça...
Mon apparente indifférence et ma lenteur lui ont laissé le temps de déballer son achat impulsif et mystérieux. Je crois reconnaître alors derrière moi le bruit caractéristique d’un boîtier qui s’ouvre avec un léger déclic métallique familier. Enfin, familier, je m’entends, le genre de bruit qu’on entend souvent, qu’on croit connaître, qui rappelle quelque chose, mais sur lequel on n’arrive jamais à mettre un nom. Oui, j’en suis certaine maintenant, j’ai deviné ! Attention !
- Voilà, ma chatte, regarde, me dit-il en me caressant la tête avec un geste infiniment doux, je sais que tu vas aimer.
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- Wiiouuaaaouuuhhh ! Mes croquettes préférées !!!

Super Mo !!

Quel âne je suis, j'avais regardé la fin avant de tout lire, donc surprise gâchée !!

J'adore les petites allusions ("d'autres chats à fouetter...etc")

T'en as d'autres comme ça ?

Ah ça !!! Oui, tu mérites d'être mis 3 jours au régime foin et son !!!
Figure-toi que j'ai hésité à mettre une petite phrase au début, demandant de lire depuis le début sans aller trop vite ! J'ai hésité, me disant que ça allait au contraire exciter la curiosité de certains trop pressés !!
Comme quoi, le papier, avec la dernière phrase au tout début d'une deuxième page séparée...
Dommage, et tant pis pour toi.
Ce qui fait le sel de ce texte justement, c'est d'avoir la surprise, puis de le relire une fois qu'on sait.
Bref. J'en ferai d'autres...
Mo

Merci beaucoup pour la correction, meme si je n'ai pas encore reussi a comparer les deux textes.
A l'avenir, si tu corrige un texte quelconque, je pense que tu devrai signaler où sont les fautes, ca permettra a celui qui l'a ecrit de les comprendre, enfin je pense, comme pour les dictées, mais sans la note.
Sinon je n'ai pas encore lu ton texte, mais je l'ai imprimé pour le soir avant de dormir, moment privilégié pour lire.
PS: Dans tes élèves, qui ne doivent pas etre tres vieux, as-tu deja rencontrer des "cas", ou sens positif, quand tu leur demande une petite redac? Un hypothetique futur ecrivain?

Yann,
donne-moi une adresse mail si ce n'est pas un secret d'état (passe par Thomas si tu veux !). Les textes, je les corrige en surlignant les mots corrigés en jaune fluo.
Là je n'ai pas pu le faire, j'ai juste pratiqué le copié-collé.
Mes élèves ? Je n'ai que des CP-CE1-CE2-CM1 ou CM2... Pour les dissertations ce sera pour plus tard et pas avec moi !
Cela dit, il y en a qui écrivent très bien des petits textes ou bien des poèmes pour leurs mamans ou leurs chéri(e)s, de là à déceler de futurs grands écrivains, non, je n'irais pas jusque là !
Mo

N'hésitez pas à utiliser les MP du forum , petite messagerie du forum !!

Excellent!!! Un super effet: quand on sait et qu'on relit, ca nous paraît évident!
Et sinon je trouve ça très bien écrit. Bref chapeau bas!

Ca y est Mo je t'ai envoyé un MP.

Bien la nouvelle, j' avait compris avant la fin, mais je m'attendait pas à celui-là, j'aurai plutot dit l'autre compagnon.

Super! Vraiment chouette!

Ben.... merci de vos lectures et de vos appréciations, mais !... pour progresser il me faudrait des critiques ! Ne me dites pas qu'il n'y a rien à en redire de négatif, même un petit peu, mes chevilles vont enfler...
Au fait, faut pas que j'oublie l'histoire de la maison hantée. Je vais essayer cette semaine.

C'est super mignon ton histoire.

Mo a écrit:

Ben.... merci de vos lectures et de vos appréciations, mais !... pour progresser il me faudrait des critiques ! Ne me dites pas qu'il n'y a rien à en redire de négatif, même un petit peu, mes chevilles vont enfler...

Que dire sinon que ton texte est fluide, équilibré, drôle et que même en cherchant bien tel un Holmes avec sa loupe, je ne trouve rien de consistant à critiquer négativement... désolé ne m'en veut pas !!

AH! CA JE CONNAIS DEJA! EXTRA, SURTOUT POUR MOI QUI ADORE LES TEXTES A CHUTE! ET LA DEUXIEME LECTURE EST VRAIMENT ENCORE PLUS SUCCULENTE QUE LA PREMIERE!