LE FESTIN

J'ai commencé une petite histoire, mais en me trompant complètement de traitement... je suis partie sur de la SF absurde...

Donc arrêt total, mais je voulais quand même partager ce petit bout avec vous...

LE FESTIN


1 Un rouleau de peau

Carmine Holland raccrocha le téléphone à ondes solaires et loucha dans le vide. Une glu opaque s'était glissée sous la cornée de ses yeux noirs.
– Chéri, ça ne va pas ? lui demanda son épouse, Fionna. Un gaz qui tarde à remonter peut-être ?
Elle était confortablement vautrée sur le divan aussi large qu'un lit trois places, les jambes installées sur sa table basse en os de bœuf soudés. Dans ses mains, le dernier exemplaire de Vogue nouvelle version, avec sa propre tête de quarantenaire refaite jusqu'aux os remplaçant gracieusement celles de tous les mannequins animés peuplant les pages en iridium glacé.
Devant l'absence de réponse de son mari, elle leva la revue et l'agita en l'air, l'effort lui causant une explosion de douleurs dans la montre.
– Carmine ?... enfin ! tut !... Mais enfin qu'avez-vous mon ami ? Avez-vous vu un fantôme ?
Carmine porta la main à sa bouche et se frotta les lèvres, faisant crisser les poils naissants de sa barbe synthétique. Il baissa enfin la tête et regarda son épouse :
– Un fantôme ?... (il esquissa un sourire de mort.) Pire madame, bien pire... fit-il d'une voix étouffée par l'apnée.
Il avança d'un pas raide et s'écroula sur le canapé, livide. Son visage ovale prenait la teinte d'une vasque de lavabo.
– Vous ne vous sentez pas bien, Carmine ?
Elle appuya sur un minuscule bouton placé sur la branche de ses lunettes pour passer en mode vision de près.
– Oh mon Dieu, mais c'est qu'il blanchit ! Quelle horreur !
Mais quel lourdaud, pensa-t-elle avec agacement. Elle ne le supportait plus depuis qu'il avait décidé de rentrer à la maison une fois tous les six mois. C'est pour que nous soyons plus souvent l'un près de l'autre ma douce... Quelle idée ! Le voir revenir si souvent la rendait folle. Mais elle ne devait rien montrer, rester digne, au moins devant leurs domestiques. Elle devait rester patiente.
Le bas du visage crispé, elle cracha une pastille verte qui alla se fixer au coin de la page qu'elle était en train de lire (Prendre 25 kilos dans le ventre avant l'été, c'est possible, notre dossier p.457) et reposa la revue sur la table basse.
Sa main garnie de bagues à rayons se déporta de dix centimètres, au-dessus d'un combiné d'acier, garni de trois boutons. Elle effleura le premier. Une douce mélodie virevolta dans le salon.
Une petite blancharde apparut, vêtue de son très léger habit rose de domestique. Elle était laide, presque animale. De longs cheveux couleur de maïs, une peau rose-blanche d'un goût douteux, et un corps tout plat, sans forme ni rondeur, avec pour seule coquetterie un pied amputé, remplacé par une vulgaire prothèse en résine de bois des landes. (quand ils recevaient des invités, Fionna lui faisait passer une prothèse en coquilles d'huîtres, décorée de perles et d'utérus d'étoiles de mer, sans oublier de retenir sur sa paye les frais d'entretien du précieux modèle.) Bref, un vrai cadavre ambulant, mais dont l'exotique laideur rendait ignobles de jalousie toutes les amies de Fionna.
– Oui, madame ? fit la soubrette d'une voix héliumisée.
– Bénédicte, qu'étiez-vous donc en train de faire ? Vous ne faites aucun bruit, cela en devient inquiétant.
– Je lisais, madame, fit la jeune fille en fixant le sol, les joues empourprées.
– Vous lisiez ? s'écria Fionna en se tirant les cheveux. Mon Dieu !... et que lisiez-vous je vous prie ?
La soubrette avala sa salive avant d'articuler :
– Le dernier numéro d'Amputations collection été que madame a laissé sur la cage... c'était l'heure de ma pause et...
– Taisez-vous ! La justification implique la culpabilité. C'est une saine lecture, je ne vous en veux pas. Vous n'aurez pas de retenue sur votre salaire, ma petite.
– Merci Madame...
– Bon, retournez en cuisine et apportez-donc une bouteille d'équilibreur à Monsieur, il devient blanc.
Curieuse, la jeune blanche ne put s'empêcher de constater la chose par elle-même.
– Suffit ! Insolente ! persifla sa maîtresse en arrondissant ses yeux carrés, provoquant la fuite rapide de son employée.
Requinqué par un verre d'équilibreur parfum asperges, Carmine commençait à reprendre couleur. Il se redressa à l'aide d'un treuil magnétique et se cala entre deux coussins obèses recouverts de peau inuit.
– Mon Dieu, Fionna, j'ai cru que le sol se dérobait sous mes prothèses... Mais ça va mieux, du moins, je l'espère...
Les yeux à demi-clos, il tendit le bras et détendit la fermeture de son faux pied charentaise.
– Vous étiez presque aussi blanc que Bénédicte, Carmine, j'aurai dû vous prendre en photo ! commenta-t-elle d'une voix lasse, mutilée par l'ennui qui la gagnait. Mais vous ne m'avez toujours pas dit qui vous a parlé au bout du fil ? Une mauvaise nouvelle ? L'un de nos enfants aurait-t-il trouvé la mort ? Expliquez-vous, enfin !
Son mari lui prit la main, et elle frissonna de dégoût. Elle ne supportait plus ses nouvelles phalanges en cuir vachette.
– Fionna, c'est... c'est terrible !... nous sommes invités chez mon...
– Chez qui enfin ?... vous redevenez blanc, Carmine...
– ... chez Monsieur le Directeur ! articula-t-il, les yeux révulsés. (il étreignit ses épaules.) Vous vous rendez compte, ma pauvre amie ?... Je risque ma place, ma place de responsable ! La place héritée de mon pauvre père ! C'est un désastre, une calamité, Fionna ! Et ma prothèse qui n'est toujours pas revenue de chez le cordonnier, ahlala... et notre hélicoptère en révision chez l'autre incapable !... mon Dieu, aidez-moi, je manque d'air !...
Horripilée par sa logorhée verbale, elle le gifla d'un revers de la main, ses bagues à rayons faisant gicler le sang en travers de la joue grasse.
– Carmine, vous commencez sérieusement à me pourfendre le vagin ! C'en est assez ! Alors soit vous vous calmez, soit vous repartez immédiatement pour Alpha du Centaure, c'est compris ? Mon bassin ne pourra pas supporter plus longtemps vos petites crises de petit cadre mesquin. M'avez-vous bien compris, mon ami ?
Carmine, la main collée à sa joue noire ensanglantée, se leva, l'air penaud.
– Bénédicte, appela Fionna sans arrêter de regarder son mari droit dans les yeux. Apportez un rouleau de peau à Monsieur.
Maligne, elle s'approcha de son mari et lui prit la main.
– Carmine, nous irons chez votre Directeur, et tout se passera bien, j'en suis certaine. Nous menacerons le cordonnier de viol pour qu'il finisse de raccommoder rapidement votre prothèse, et pareillement pour le garage. Ce vieux singe de Corbusier fait toujours traîner les réparations, vous le savez aussi bien que moi. Il est fou de cet hélicoptère ! je me demande même s'il ne le saborde pas lui-même afin de pouvoir le récupérer rapidement. Nous ferons prendre un de ses enfants en otage, ça lui apprendra.
– Mais Fionna, un repas entier, après un apéritif, puis l'après-repas... avez-vous pensé aux bonnes manières ? Nous n'avons pas le droit à l'erreur avec ce genre de personnes. Il y aura sûrement des invités, des gens connus, peut-être des hommes politiques !... mon Dieu quelle angoisse !
– Carmine !... je vous ai prévenu...
– Mais si nous gaffons ? Vous imaginez ? Une gaffe fatale, ou une faute de goût, en plein repas, retransmise par les caméras de surveillance sur toutes les télés et écrans cérébraux du monde... tous les collègues hilares, les voisins radieux... je ne pourrais le supporter.
Il se redressa et fit mine de couper sa respiration.
– Arrêtez ça, bougre d'enculard ! Vous êtes ridicule !
Elle l'étrangla légèrement pour l'obliger à réintroduire un peu d'air dans ses poumons.
– Arrêtez de penser au pire, (elle retint un sourire) et pensez plutôt aux retombées possibles de ce dîner. Vous êtes-vous demandé pourquoi votre Directeur nous a invités ? Ahh... quel naïf avocat vous faites ! Avez-vous pensez à votre avancement ? C'est sûrement un signe, voyons, un appel du pied. On invite pas un de ses employés à dîner chez soi pour l'humilier...
– Et pourquoi pas ? Hein ? justement ! s'il voulait juste me ridiculiser devant tous ces amis ? minauda-t-il.
– Arrêtez-ça, mes ovaires commencent à se hérisser de petites pointes vénéneuses ! Nous ne gafferons pas, Carmine, alors mettez immédiatement un terme à ces enfantillages et taisez-vous, je ne veux plus vous entendre ! Point final.
Bénédicte arriva en boitant sans grâce, et Fionna lui prit des mains le rouleau de peau dont elle découpa une grande feuille avant de l'appliquer sur la joue blessée de son époux, qui baissait les yeux, la mine coupable.



2 Le robot-plaisir

Dans son boudoir aux murs-confidents, Fionna attendait nerveusement en se rongeant ses ongles aux amandes. Elle avait baissé le niveau sonore des murs, c'était plus sûr, plus intime.
Enfin, la porte secrète s'effaça et son robot-plaisir préféré apparut.
Francix, modèle BIG8, alias Grand Huit.
Elle se jeta dans ses tuyaux :
– Oh ! Mon Francix, mon doux Francix, que tu m'as manqué, sers-moi fort, ohhh !...
Elle couvrit son torse en plastique mou de baisers humides, sa cuisse frottant langoureusement celle de l'humanoïde.
– Fionna, la tempéra Francix. Moins de bruit, on pourrait nous entendre, annonça l'amant d'une voix de calculette scientifique.
Mais l'humaine était comme soudée à lui, et la vue de ses prothèses coquines à motifs dentelaires l'excita fortement. Il hissa la furie entre ses bras-tuyaux et la porta jusqu'au canapé-aquarium. Il l'y déposa avec douceur. Ses vêtements se désagrégèrent et elle commença à se masser les seins (qu'elle refaisait faire tous les matins.) en fixant avec effronterie les diodes électriques de son apollon. N'y tenant plus, Francix programma sa sonde sur puissance max et grimpa sur le canapé-aquarium, ou plutôt sur Fionna, qui déjà glapissait de plaisir. Soudé à elle, il lui demanda d'une voix plaintive :
– Alors, où en es-tu avec l'autre patate ? je ne tiens plus moi, Fiofio...
– C'est pour bientôt, mon cochon, s'exclama-t-elle d'une voix rauque... fais moi confiance !... allez viens, mets-toi un peu d'huile... han han...


3 Le cordonnier prothésiste

– Il me la faut pour samedi, imbécile ! cria Carmine dans le récepteur, les dents prêtes à se décoller. SAMEDI ! Vous entendez espèce de gnome puant ?
Sur l'écran rétroproactif, le cordonnier prothésiste moustachu faisait craquer ses jointures en chêne massif, l'air affreusement gêné. Derrière lui, au beau milieu des établis, une demi-douzaine d'apprentis attendaient, le visage baissé.
– Mais... Monsieur Holland, pisque j'vous dis que j'aurai pas la pièce, je l'a commandée sur Sirion, et avec les grèves des navettes là, on l'aura jamais samedi...
– Taisez-vous ! TAISEZ-VOUS ! j'en ai marre de votre incompétence ! Cela fait plus de trois semaines que j'ai déposé ma prothèse chez vous, trois semaines ! et ça n'avance pas ! j'en ai assez de vous, assez ! vous m'entendez ! Je vais passer la chercher, et vous ne me verrez plus jamais, et ça sera bien fait pour vous ! Ahah ! Je vais vous faire de la publicité, moi, vous pouvez en être sûr ! Ah ça ! Où est ce foutu bouton de décharge électrique, rajouta-t-il pour lui-même en trifouillant la télécommande.
Sur l'écran, l'artisan se recroquevilla sur lui-même, sa main droite se glissant doucement dans la profonde poche de son habit, où il gardait toujours un Opinel laser bien aiguisé, au cas où.
– M'sieur Holland, susurra l'artisan de sa voix la plus apaisante. Permettez-moi de vous dire que vous trouverez aucun cordonnier-prothésiste qui pourra commander et recevoir la pièce en moins de trois jours.
Le front brûlant, les gencives bouillonnantes de sang, Carmine fixait l'écran sans mot dire.
– Et alors ?
– Alors, il n'y a rien à faire pour cette prothèse. Chuis désolé.
– Vous êtes... désolé ?...
Carmine sentit la peau de sa joue se décoller. Fionna n'avait pas mis assez de colle.
– Mais je peux vous proposer autre chose. Je vous envoie un de mes apprentis-robots demain matin, et il vous fera une nouvelle prothèse à votre goût, sur place. Vous me paierez que la moitié du prix, d'accord ?
– En une matinée ? articula péniblement Carmine, qui sentit l'air réaffluer dans son corps.
– Ouais, c'est un nouveau modèle de chez Thomsonne, il est dix fois plus rapide que les modèles précédents.
– Bien...
– Je vous l'envoie pour dix heures ?
Carmine hocha la tête. Voilà une chose qui s'arrange, pensa-t-il.
– Très bien Monsieur Carmine, bonne soirée à vous...
– BONNE SOIREE A VOUS, récitèrent les apprentis dans le dos du maître, avant que la liaison ne soit coupée.



à suivre

Ah, mais non, mais continue !!! J'adore !!! Je VEUX la suite !!! Si tu ne l'écris pas, je viendrai te chercher, je te séquestrerai, et le souvenir des pales de l'hélico apocalyptique te paraîtra merveilleux en comparaison de ce qui t'attendra...
lol. non, sérieux, c'est bon, j'aime beaucoup.

thomas desmond a écrit:

je suis partie sur de la SF absurde...

OMG, Thomas est UNE FEMME !!! lol. (n'empêche, fais gaffe, car si ça ne choque pas trop qu'une fille se trompe et oublie d'accorder le participe passé, si un homme l'accorde à tort, c'est un peu plus bizarre ^^)

Ness a écrit:

Ah, mais non, mais continue !!! J'adore !!! Je VEUX la suite !!! Si tu ne l'écris pas, je viendrai te chercher, je te séquestrerai, et le souvenir des pales de l'hélico apocalyptique te paraîtra merveilleux en comparaison de ce qui t'attendra...
lol. non, sérieux, c'est bon, j'aime beaucoup.

lol je ne m'attendais pas à ce genre de réaction... qu'est-ce tu vas me faire hein ?? me faire répèter 100 fois mes imparfaits du subjonctif futur ? me pendre par les pieds tout en me faisant réciter le verbe haïr à tous les temps du passé ?

Citation :

OMG, Thomas est UNE FEMME !!! lol. (n'empêche, fais gaffe, car si ça ne choque pas trop qu'une fille se trompe et oublie d'accorder le participe passé, si un homme l'accorde à tort, c'est un peu plus bizarre ^^)

Tiens, oui , c'est étonnant ça... Sûrement mon côté féminin – très développé – qui se réveille encore !!! L'autre jour j'ai fait une crise de somnambulisme pour me réveiller dans les toilettes, en train de batailler avec un applicateur récalcitrant...

Nan je déconne...

Moi aussi j'attends la suite! Ce début, avec un si grand nombre d'astuces en si peu de ligne, est particulièrement prometteur...



...Par contre tu sais ce qu'ils te disent les quarantenaires? Même les quarantenaires bien mûr...

D'astuces ? lol

Je veux dire de petites trouvailles marrantes genre la table basse en os de bœuf soudés ou "Prendre 25 kilos avant l'été, c'est possible, notre dossier p.457" entre beaucoup d'autres..

C'est pourtant bien démarré, dommage que tu veuille arreter.

Oui, faudrait que tu continu quand même je crois, rien que pour ceux qui veulent lire la suite !!!!!

Toto, je crois que cette fois, tu vas devoir la finir, cette nouvelle !

Ca fait du bien un peu de temps en temps de tordre le cou à la SF en singeant tous ses clichés! C'est du tout bon!
Allez au boulot parbleu!

roohhhh c'est pas vrai, je subis le diktat de mon lectorat... quel écrivain maudit !!! Enfin... merci à vous pour vos encouragements, je vais essayer de poursuivre, en vous faisant confiance...

Bon vous avez gagné, j'ai retouché ce texte et poursuivi sa rédaction, voir plus haut...

Quelqu'un a lu la suite ?

Je viens de retoucher le début et j'ai ajouté la suite... c'est fou.