Alle je ne résiste pas à la tentation ! Je me lance ! Je peux remanier après si vous voulez. Je me suis bien marré à l'écrire hier... merci Paladin pour cette excellente idée.
Ce court récit sans prétention s'intitule "LA CORVEE"
"La jeune fille trépignait d’impatience et la rougeur qui irradiait son visage ne faisait qu’accroître la colère de sa mère.
Un court instant, Angie s’arrêta et, du haut de ses onze ans, toisa la femme assise en face d’elle, juchée sur un tabouret blanc et occupée à éplucher quelques carottes.
On eût dit que ces gestes trahissaient une sérénité, voire un détachement du monde extérieur tant ses mouvements étaient monotones et sans excès.
C’était l’automne et la soupe était un rituel familial qui occupait les fins d’après-midi toute l’année. Les soirées, aussi loin que puisse se souvenir Angie, se parfumaient d’une odeur tenace de poireaux et divers ingrédients et la fillette se complaisait souvent à fermer les yeux et de deviner la teneur du potage.
Hélas la corvée de ce soir l’importunait !
Nous étions le jeudi et Angie était de corvée. Impossible de tenter de se défausser auprès de sa mère, de feindre la maladie ou de lâcher un caprice, sa mère était intransigeante sur ce point : chacune son tour !
D’ailleurs Michelle, d’un ton autoritaire et sans contradiction possible, avait affiché un planning sur le frigo blanchâtre et couvert de photographies… une feuille A4 intitulée pompeusement « APPROVISIONNEMENTS MENSUELS ».
Angie affronta sa mère et la noirceur de son regard dut troubler la quiétude de celle-ci car Michelle posa son économe d’un mouvement calme sur la toile cirée, s’essuya les mains avec le torchon posé à ses côtés. Un pâle rayon de soleil trouait le store de la cuisine et percutait la tempe droite de Michelle, ce qui fît sourire Angie.
- Angie je ne reviendrais pas là-dessus, tu le sais bien ! C’est ton tour et tu es assez grande dorénavant pour assurer ton rôle, notre rôle ! dit-elle en soupirant.
Sa fille rougit de plus belle et tapa du pied sur le carrelage couleur terre de la cuisine.
- Non ! J’aime pas ça maman ! Je ne veux pas et puis j’ai peur et …
-Arrête ! Tu m’énerves. Tu sais bien que si tu ne le fais pas, la punition sera sévère, lâcha sa mère avec irritation.
- Oh toujours la même rengaine. On peut pas payer quelque un pour le faire à notre place ? Hein maman ?
- Bien sûr chérie, sourit sa mère. Et après on ameute aussi les journalistes et le quartier pour prendre un pot et des photos ! Et je ne te parle même pas de toi… tu vas devenir une star ! Déjà que tu te plains de ne pas avoir d’amis mais là je te garantis un exil sévère !
- Ca va arrête, c’est bon, siffla Angie. Laisse tomber, j’y vais. Ah quelle famille de cons, grommela-t-elle en empoignant le plateau préparé dans l’après-midi par sa mère.
Auparavant Michelle assurait cette mission mais depuis qu’Angie était en âge de raison, elles se relayaient toutes les semaines, à raison du lundi, mercredi et vendredi à dix-huit heures précises.
Michelle composait le dîner simplement. Le lundi, une soupe de carottes ou de poireaux, une purée, des fruits et de l’eau. La viande était strictement interdite et la cuisine se remplissait en fin de journée de cageots de légumes été comme hiver.
Le mercredi était le jour de la potée et le vendredi était plus festif car une salade de fruits couronnait le dîner, à la grande satisfaction de leur hôte.
Quelques gâteaux étaient jetés dans l’après-midi mais uniquement en cas de bonne conduite, de silence ou d’une trop forte crise.
Michelle se chargeait de la journée, Angie se trouvant à l’école jusqu’à 16h30.
Les vacances et les week-end étaient animés de la même routine et tout ceci interdisait des relations amicales de voisinage ou des sorties entre amis.
Angie prit le plateau, s’assura que rien ne manquait (éviter un deuxième voyage était sa principale obsession) et descendit à la cave.
Une odeur pestilentielle et âcre la prit à la gorge comme à chaque fois.
- Ah je ne m’habituerais jamais à toute cette merde, jura-t-elle en allumant l’escalier. Elle prit soin de refermer la porte derrière elle et descendit les cinq marches avant de pénétrer dans la cave minuscule.
Elle stoppa quelques instants et écouta, attentive à l’ambiance froide et humide du local.
Un léger ronflement la rassura.
- Chouette il dort ! pensa-t-elle.
Elle s’approcha timidement vers la porte du fond. D’une hauteur d’environ un mètre dix, elle était renforcée d’une solide armature en fer forgé sur les contours et un gros cadenas couleur argent pendouillait, inerte, sur l’épais loquet. La clé était perdue depuis si longtemps que Michelle avait conçu une petite trappe au ras du sol pour y déposer les reliefs de repas à l’aide d’un manche à balai.
Michelle était catégorique sur la marche à suivre : ne jamais y mettre la main ou un bout de doigt ! Déposer l’assiette en face de l’ouverture et pousser le contenant avec le manche sur une distance de trente centimètres et retirer vivement l’ustensile en cas de prise par la créature.
Récupérer l’écuelle deux jours après avec la tige courbée prévue à cet effet. C’était devenu un automatisme pour Angie.
Elle se remémora la fois où stupidement elle avait titillé la masse musculeuse et velue avec le manche. Les longs cris rauques et sonores avaient interpellé sa mère qui, dans un accès de rage bien compréhensible, avait consigné sa fille dans sa chambre durant un mois.
Ce soir tout semblait calme.
Angie poussa l’assiette de soupe en veillant bien à ne pas en renverser sur le sol terreux et poisseux de la cave.
Un grognement de fauve la fit sursauter.
Elle entreprit de glisser la purée et le verre d’eau en même temps et le verre se renversa. Le sol absorba aussitôt le liquide et Angie se mit à trembler.
- Et merde ! Va falloir que j’aille en rechercher… fais chier putain, c’est pas mon jour !
Un râle coupa net sa réflexion et ses cheveux se dressèrent sur son crâne. Elle lâcha avec précipitation le manche en bois et grimpa les marches en deux enjambées. Elle referma la porte violemment et s’octroya quinze secondes pour permettre à son cœur de reprendre un rythme normal.
Sa mère se présenta dans le couloir et ricana.
- C’est bon ma fille, tu t’en sors ?
- La merde, j’ai fait tomber le verre de flotte ! Il peut pas se passer d’eau le monstre ? Dis maman, il a soif le monstre ?
Sa mère hocha la tête et répondit d’un ton neutre.
- Je t’en prie ma chérie… ne parle pas ainsi de ton père !"