Bonne lecture
"Il n'avait jamais dit à personne ce qu'il avait vu ce soir là, devant le moulin. De plus, ce fut dans un sentiment de témérité des plus forts mêlé, aujourd'hui encore, à un amour passioné du grotesque, que j'allai pour l'épier cette nuit-ci. Mes années d'errance en compagnie des feux-follets eurent fait de moi un éternel vagabond, mais c'est sans une singulière angoisse que je l'observai au déclin du jour et que je sentis la douce et funeste caresse du vent dans mon cou, ainsi que le délicat baiser de la mort.''
"J'habitais une maison voisine de la sienne, située sur la cîme d'une coline escarpée et juste à coté d'un vaste étang à l'eau noire et endormie où fremissaient des milliers de roseaux. Là, se dressait également un vieux ponton en bois qui habritait une sommaire barque obsolescente et verdâtre, entourée de nénuphars et rattachée à la berge par une longue chaîne rouillée.
'' Un peu plus loin, un petit chemin dallé menait à un vieux chêne gris et recourbé sur lequel tressaillaient de grandes et lourdes branches rassasiées en jours ayant atteint leur zénith. Plus haut encore, juste au dessus de la meunerie, se dessinait ce jour-là l'écharpe d'Isis, dans un sombre et ténèbreux ciel gris menacant dangereusement notre frêle et paisible hameau.
'' Et, c'est sur l'une des ailes du moulin, que jaillissant de la voûte celeste, un somptueux corbeau noir vint se poser. L'oiseau, aussitôt se redressa dévoilant chaque fois un peu plus de son magnifique plumage puis, aussi rapidement qu'il était venu, repartit.''
''Au même moment, les "élytres de l'édifice se mirent à pivoter dans un bourdonnement des plus épouvantable, tandis que le volatile s'enfuyait toujours plus loin, et d'un soubresaut, disparu dans l'horizon en delaissant le lugubre bâtiment."
''Les lieux étaient ceindrés par une immense forêt, dense et immuable, dans laquelle croupissaient encore quelques hommes dont la folie avait eu raison d'eux. Les sombres arbres gorgeant cette dernière se délectaient des affres des rares rodeurs s'aventurant vers les sinueuses ténèbres, attirés par le murmure montant des bois.''
''D'ordinaire, c'était les obscurs croassements des corbeux qui vous menaient à la lisière de la perdition, où leurs chants se mélaient à la symphonie du zéphir soufflant sur les pins. Il se dressait alors un sentier minable- tel une porte grincante sur le noir. Car nulle lueur ne passait à travers le dédale d'arbres, bien que l'obscurité ne fut pas totale- ormis sous le couvert d'un antique chêne.''
''Et je ne m'y suis, par ailleurs, que très rarement rendu,de plus j'en ignorais la cause; certes la peur d'un domaine si vaste était une des raisons qui justifiait mes si rares visites; mais elle ne suffisait pas, elle seule, à les expliquer. Depuis le temps que je n'étais pas passé par là - je me sentais moi même un peu confus; et il serait douloureux de me questionner d'avantages, bien trop douloureux...''
''Tandis que la nature semblait m'interroger sournoisement, le ciel couvrait la contrée comme un drap noir et moi même- noyés dans l'abîme de mes pensées- m'en allait somme toute vers mon refuge où j'esperais y entrevoir quelque peu de quiétude''.
***
"Quand le jour vint, le lendemain matin, la brise soufflait déjà; si bien que la lisse nappe de l'étang juxtaposé à ma demeure n'était alors plus qu'un misereux miroir absoncs. Il s'y refletait vaguement la silhouette de quelconques arbres et d'incertains végétaux à l'allure d'épouvantail et, par délà, une fine brume obstruait ma vue- laissant encore fraîche la rosée sur l'herbe.''
''Exempte, la forêt se dressait encore majestueusement; irais-je même jusqu'à dire avec arrogance? Je l'aurais certainement ignoré. La demeure de mon voisin était éclairée et j'apercevai celui-ci derrière ses vitraux brouillés par la crasse. Sa bâtisse était un sobre habitat soutenu par des poutres en bois et probablement doyenne à ce dernier; chaque pièce était illuminée par d'austères lampes à huile donnant à la maison un aspect relativement pauvre et démuni.''
'' La vision d'un logement, bien que misereux, réchauffé par un poêle rouge était assurement attrayante mais, recru, je décidai tout de même d'emboiter le pas à travers ce désolant paysage; malgré l'air pesant et l'oppressante odeur des taillis. Je traversai dès alors champs livides et allées nébuleuses pour enfin prendre place sur le dôme d'un amas de foin duquel je scrutai sans cesse le moulin.: Le rustre monument au toit de chaux paraissait comme englouti dans l'obscurité, plongé dans les abysses d'un noir impérissable -de telle manière que le lichen arpentait, de façon envahissante, les murs de l'édifice.''
''Sans que je ne distingue rien, la journée passa puis vint la nuit et il s'éleva un grand vent faisant épouvantablement peur. Ayant tourné la tête de tous côtés, je vis un infime éclat, comme celui d'une chandelle mais qui était bien loin- de l'autre bord des bois. Je pris le chemin avec hâte et -oubliant ma fatigue- enjambai de nombreux talus, franchissai maints ruisseaux pour m'arrêter à l'orée des ténèbres. Il survint une grosse pluie qui me trempa jusqu'aux os; et je dû abdiquer, en posant pied sur un lieu que j'avais en tout temps arbhoré et qui avait -lui-même- craché son infâme venin sur ce que je pourrais appeler ''ma pauvre personne''.''
''Je glissai à chaque pas et tombai successivement dans la boue, d'où je me relevai tout crottés ne sachant que faire de mes mains. Désespéré, je m'accrochai à un arbre en tentant d'essuyer, mais en vain, ces dernières, et à bout de souffle je me terrai en-déçà du feuillage d'un chétif arbuste.''
''Quand la faim se fit entendre et le froid sentir, je plongeai ma tête dans mon pardessus où il y émanait une pesante chaleur- que j'irai même jusqu'à qualifier de puante. J'en avais presque ainsi négligé la faible lueur mais, aprés vérification faite, je ne la discernai plus, phénomène certes étrange et dont la peur avait ôté toute explication rationelle. Postérieurement, je tentais par tous moyen de m'attiédir; mes vêtements étant trempés, je m'y résignai immédiatement et croisai mes deux bras pour nicher mes dix doigts sous ceci."
''Toutes ces bizarreries physiques -et auparavant psychologiques- avaient pris une subtile tournure cauchemardesque; j'essayais désormais de garder un comportement calme et raisonable. Pourtant, clos içi, je menacais de sombrer à tout moment à la pire des folies noires; et à présent, tout s'accorder pour affirmer que le miséreux vadrouilleur, le croque-mort de jadis n'était plus."
"La peur rôdait, elle était presque palpable alors que je suffocai sous mon manteau, envahi par un inexprimable désaroi. Replié je gémis et m'agitai dans le sol bourbeux en affaissant l'écorce d'un chêne avoisinant puis, comme habité, pleurai. A me voir, n'importe quel aliéniste m'aurait depuis longtemps éxilé aprés prononciation d'un diagnostic des plus sévères, ne pouvant se concerter sur les pathologies que la médecine connaîssait. Mais le rôle que jouait la science dans cette affaire restait quant à lui assez obscur."
"L'air était froid, gelé, presque mort et je fus saisit d'épouvante. Je poussai un gémissement mais ma voix s'envola étouffée, écrasée par l'impénetrable nuit-noire. Deumerant stupéfait, il s'en suivit un long mutisme à peu de chose prés religieux. Tout espoir semblait s'immerger or, telle une chimère, elle m'était apparu, cette si précieuse lumière, que j'aimais d'un amour passioné, instinctif, semblable à celui que l'on porte à une femme, un amour irraisoné!"
"Je précipitai alors ma course, emporté follement, allant toujours plus vite. L'orage déchirait l'espace et atteré je m'abattai sur le flanc mais, sans rompre, je poursuivai dans mon inébranlable élan me relevant aussitôt. Mes jambes flechissaient sous moi et mon thorax halletait, cependant, l'éclat se faisait plus proche..."
"Peu à peu, les bruits archaïque et si familier que je conaissais me revinrent. Sans y prêter la moindre attention, j'étais sorti de la forêt, libéré de l'étreinte d'une apocalyptique fosse; aprés avoir surmonté un tragique destin."
"Ce que je vécu ce soir-là, sous le couvent des ombres et du brouillard, aprés avoir survécu à cette peur sans nom fut si simple, que je n'eux aucune peine à comprendre. La "chose" que nous avions tant redouté devant le moulin et qui, depuis toujours, animait mes phobies, et mes craintes en cette burlesque nuit, était la seule et unique peur enfantine, de la nuit-noire."
***
"L'instant d'aprés, je me retrouvai seul en face de l'étang boulversé et maugréant. Je sû à ce moment que je devais embarquer, suivre l'appel des feux-follets que j'avais probablement vu la veille.
Nul n'a jamais plus entendu parler de moi."