Rendez-vous gare de l’Est
Le brouhaha des machines était incessant dans le hall de la gare. Malgré l’heure matinale, deux ouvriers étaient déjà à pied d’œuvre. Véronique pénétra dans le bâtiment, se dirigea vers la brasserie située à gauche et s’engouffra à l’intérieur. Sitôt les portes automatiques refermées, elle savoura le silence. Seule une autre jeune fille se tenait debout au comptoir. D’un coup d’œil, Véronique la jugea vulgaire : bottes à talons, jupe plissée (trop courte), chemisier (trop transparent). Il ne lui manquait plus que les couettes pour qu’elle ressemble à une collégienne attardée. Par contre, le serveur était plutôt mignon. Grand, brun, une légère barbe de trois jours, il avait le teint hâlé et viril d’un gars du sud, ce qui n’était pas pour lui déplaire. Lorsque la fausse collégienne (et probablement fausse rousse) fut allée s’asseoir, Véronique s’approcha du comptoir. Le serveur (Paul, s’y l’on se fiait à son badge) l’accueillit avec un sourire charmeur.
- Madame ?
- Heu… un café, s’il vous plaît et … vous avez des croissants ou quelque chose comme ça ?
- Bien sûr madame, nous avons des minis viennoiseries. Croissants, pains aux raisins ou au chocolat.
- Très bien, alors mettez-moi un croissant et… un pain aux raisins, en plus du café.
- Je vous apporte ça tout de suite.
Véronique alla s’asseoir non loin de la rouquine. Les yeux rivés sur l’extérieur, celle-ci buvait lentement un chocolat chaud.
Le serveur apporta un petit plateau qu’il déposa devant Véronique, puis repartit derrière son comptoir. La jeune femme consulta la note (
huit euros, tous des voleurs) et entama son croissant. Le bruit du hall la fit sursauter lorsque les portes s’ouvrirent à nouveau pour laisser passer un homme en costume bleu et cravate assortie. Véronique se leva.
- Marc !
- Assis-toi, Véro, dit l’homme en la rejoignant. Assis-toi.
- Marc vas-tu me dire ce que signifie…
- … ce rendez-vous ? termina-t-il. Enfin Véro, tu ne devines pas ?
- Devinez quoi ?
- Tu ne peux pas partir comme ça. Tu ne peux pas quitter la maison. Il est trop tard.
Véronique soupira.
- Nous en avons déjà parlé Marc. Je te quitte, tu ne m’aimes plus. Tu ne fais même plus semblant.
Marc pris un air embarrassé.
- Tu sais bien que ce n’est pas une question d’amour. Plus maintenant. Mais tu en sais trop, tu dois rester.
- J’en sais trop ? Mais sur quoi ? Tu ne me dis jamais rien.
- Peut-être, mais eux, enfin, les gens qui m’emploient, ignorent jusqu’à quel point j’ai pu t’impliquer.
- Tu ne leur as rien dit ?
- Si, bien sûr que si. Mais dans notre domaine d’affaire une parole ne suffit pas. Te laisser partir représente un trop gros danger pour eux, et pour moi également. Il faut que tu reviennes.
- Il n’en est pas question. La discussion est close.
Véronique se leva. Marc lui saisit le poignet.
- Lâche-moi, siffla-t-elle.
Il desserra son étreinte.
- Je t’ai aimé, Véro, n’en doutes pas. Je t’ai aimé.
Il la lâcha au moment où, du coin de l’œil, elle aperçut un mouvement de jupe. Elle tourna la tête juste à temps pour remarquer que l’écolière de trente ans, debout face à elle, avait dégrafé sa jupe qui gisait maintenant sur le sol. Dessous, elle portait un cuissard noir auquel était fixé un holster (Véronique savait très bien ce qu’était un holster, son futur ex-mari en possédait un). L’arme qu’elle s’attendait à y découvrir se trouvait déjà dans la main de la jeune fille, un doigt sur la queue de détente. Une détonation étouffée par un silencieux retentit dans la pièce lorsque celle-ci la pressa et la tête de Véronique fut projetée en arrière, éclaboussant au passage son tailleur-pantalon crème et le costume bleu de son veuf de mari.
Rapidement, la rouquine rengaina son arme et ramassa sa jupe qu’elle enfila soigneusement. Le serveur s’était déjà porté à la hauteur de Marc, s’assurant au passage qu’il n’y avait toujours pas âme qui vive dans la rue. Il le saisit par le bras et l’accompagna vers la sortie, jetant son badge (Paul) sur le corps de Véronique au passage.
- Le café est offert par la maison, dit-il dans un sourire.
- Je me permets de prendre votre chocolatine, ajouta la jeune fille. Elle n’est presque pas tâchée.
Tous trois franchirent les portes automatiques au moment où les deux ouvriers pénétraient dans la brasserie.
- A vous de jouer les gars, leur glissa le serveur.
- Ce s’ra fait nickel, répondit l’un d’eux.
Leur contrat rempli, ils quittèrent le hall de la gare et montèrent tous les trois à bord d’un véhicule qui démarra discrètement.
FIN