(Très) court récit fantastique sans prétentions aucunes.
SANG NOCTURNE
Des colonnes de fumée aussi noire que le ciel dans lequel elles s’élevaient. Des bûchers formés de corps calcinés. Et un peu plus loin, un amas de morts ne ressemblant plus à rien, même plus à ce qu’ils furent par le passé. Elle avançait au cœur de ce qui pouvait bien être les premiers bûchers de l’enfer, l’enfer des Juifs. Combien d’innocents brûlaient-ils à cause de la folie nazie ? Combien brûleraient encore ? Et tant d’autres questions qui auraient pu traverser l’esprit de Suzanne Krügger mais ne l’effleurèrent même pas. Car elle n’était pas elle-même. Elle regardait cette scène par des yeux qui n’étaient pas les siens. Après quelques secondes, elle se remit en marche, enjambant les corps, crachant et shootant de tant à autre dans un cadavre. Suzanne voulait fuir, fuir ces lieux dont la mort hantait dans les moindres recoins, fuir ces lieux dominés par une haine qu’elle ne voulait pas ressentir.
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Elle se réveilla, le corps en nage, le souffle court. Les images réapparurent soudainement dans son esprit et elle fondit en larmes. Pourquoi ? Pourquoi ce rêve la harcelait-il depuis des nuits ? Elle se prit le visage entre les mains et sentit une odeur âcre et un liquide poisseux se mêler à ses larmes. Elle ne réagit tout d’abors pas puis finit par se rendre dans sa salle de bain, où elle se débarbouilla du sang qui recouvrait ses bras. Suzanne en avait l’habitude à présent, car ce phénomène se renouvelait lors de chacun de ses macabres rêves. Bien sur, elle avait déjà consulté un psy, mais ce dernier n’avait pu l’aider pour aucun des problèmes qu’elle lui avait soumis et s’était contenté de lui prescrire des calmants. Toujours est-il que ces phénomènes survenaient à intervalles fréquents.
En fin de matinée, elle fut prise de vertiges. Sa vue se constella d’une multitude de points blancs, brillant chacun d’un intensité différente. Cette vision s’estompa, laissant place à deux étranges personnages se ressemblant à un tel point qu’on eût pu croire qu’il sagissait de clones. Les deux jumeaux s’approchèrent lentement, très lentement de la jeune femme qui, à la vue des outils qu’ils portaient et de l’expression qu’ils affichaient, commença à paniquer. L’un deux avait une sorte de gros marteau avec lequel il s’amusait à jongler en le lançant toujours plus haut. Le second déformait son visage d’un sourire torve laissant apparaître de longs clous qu’il portait dans sa bouche. Suzanne voulut fuir, mais ses membres ne répondirent pas. Alors elle se mit à hurler, à demander de l’aide aux personnes qui passaient à côté d’elle. Mais ces derniers préférèrent l’éviter, ne pouvant la sauver d’un danger qu’ils ne percevaient pas, qu’ils ne comprenaient pas. De toute façon cette femme semblait folle, une ambulance ne tarderait pas à arriver. Elle continua à hurler lorsque les deux clones la forcèrent à s’étendre sur le bitume dur et froid. Un clou fut posé contre le dos de l’une de ses mains et le marteau remplit son rôle en l’enfonçant à travers ses deux mains plaquées l’une contre l’autre. Le sang éclaboussait les blouses blanches de ses tortionnaires. Une fois cette tâche macabre effectuée , un des hommes la jeta sur ses maigres épaules avant de la lancer dans une voiture et de démarrer en trombe. Les badauds ne comprenaient pas ; ils avaient assisté à la scène avec un mélange de crainte et de pitié. Ils avaient vu cette femme complètement hystérique se jeter par terre, prise de convulsions, avant de se relever, se ruer dans une voiture et faire rugir le moteur.
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Suzanne reprit connaissance au volant de sa voiture. Combien de temps elle avait dormi, elle l’ignorait. Tout ce qu’elle pouvait voir, c’est qu’elle se trouvait parquée sur une aire d’autoroute en pleine nuit. Elle ne se souvenait de rien, mais lors qu’elle se retourna pour effectuer une marche arrière, elle put voir à la lumière des lampadaires que la banquette arrière était maculée de sang encore frais. “Mais bon Dieu ! Faites que ce délire cesse !” Elle fit un effort pour se calmer : demain, elle irait voir la police ou se rendrait à l’hôpital.
Suzanne se gara devant son immeuble. Elle rentra dans son petit appartement au troisième étage. Dans l’ombre, sa main partit à la recherche de l’interrupteur du salon. Elle le trouva, l’enclencha. Rien. Elle répéta l’opération sans plus de succès... Flûte ! Elle se dirigea à tâtons jusqu’à sa chambre et sans même prendre le temps de se dévêtir, Suzanne s’écroula comme une masse sur son lit.
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Sa main tenait un poignard fait du silex le plus noir. À ses pieds, une rivière de sang s’écoulait régulièrement jusqu’à la base du temple et un homme apparemment drogué se trouvait allongé sur une pierre sacrificielle recouverte de plusieurs siècles de sang coagulé. Le poignard s’abattit, déchirant la chair et les os. Et alors que le cœur de la victime battait encore, sa main plongea dans sa poitrine et en retira la vie encore palpitante. Au pied de la pyramide, le peuple réclamait d’autres sacrifices afin d’honorer les dieux païens. Le corps de l’homme roula, dévalant les centaines de marches le séparant du sol. Suzanne approcha le cœur encore chaud de ses lèvres. Ses dents déchirèrent le muscle et elle sentit la nourriture sacrée inonder son esprit.
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Elle se réveilla et devant ses yeux embrumés se tenaient deux personnes dont elle ne se souvenait plus : ses tortionnaires de la veille.
- Nous pouvons vous soigner, commença le premier.
- Vous êtes gravement malade, précisa le second.
- C’est pour cela qu’il vous faut venir avec nous, enchaîna le premier.
- Vous allez être obligée de faire un très long voyage en notre compagnie.
- Veuillez nous suivre, ordonna doucement le premier des hommes.
Suzanne se leva, elle se tint là, droite devant eux. Ils la déshabillèrent avant de lui tendre un linceul blanc dans lequel elle s’enroula lentement. Le tissu était léger. Les ondulations de l’étoffe sur sa chair nue la faisait frissonner, comme le plus doux des baisers ou le plus léger des courants d’air. Ils sortirent dans la nuit.
Le trio arriva en vue d’une vieille église, en bordure de la ville.
- Après vous, chuchota l’un de ses accompagnateurs.
Suzanne pénétra dans le vieil édifice, suivie par les sosies.
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Charles était confortablement assis dans son fauteuil, lisant son journal malgré l’heure avancée. Son attention était attirée par un article qui concernait la disparition d’une femme : Suzanne Brown. Selon le journal, cette dernière serait mêlée à l’affaire de meurtres en série que subissait la région depuis plusieurs semaines déjà, laissant plusieurs cadavres atrocement mutilés sur les bras de la police. Des témoins affirmaient avoir vu la femme traverser la ville à pieds. D’après une grande majorité de témoins, elle était accompagnée de deux lueurs blanches. Miss Brown avait été aperçue pour la dernière fois aux alentours de deux heures du matin. Selon la police, les deux lueurs non identifiées pourraient avoir un lien avec le flash apparu à l’église de Frasser Avenue...
Il relut l’article encore et encore, parcourant même plusieurs fois le journal dans son entier. Charle avait peur de s’endormir. Il avait peur de refaire ces affreux cauchemars... Il ne voulait plus se réveiller couvert de sang...
Fin