Atelier 2 : "Oh Marilou, Marilou..."

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Solange paraît tranquille, c’est le moins qu’on puisse dire. La jeune femme est paisiblement installée dans son fauteuil favori, près de la cheminée qui dégage une douce chaleur dans un discret parfum boisé. Elle répète un morceau de guitare, toujours le même, inlassablement. Une belle horloge comtoise égrène les secondes au rythme de son grand balancier de cuivre. Quel meilleur métronome pour accompagner les exercices de musique ? Le chat est pelotonné au pied de sa maîtresse. Une vaste baie vitrée ouvre la vue sur un coquet ensemble pavillonnaire dont les jardins harmonieusement arborés reflètent la quiétude générale. Le ciel est plombé, annonciateur de prochaines chutes de neige. Il est un peu plus de 18 heures. Germain ne va plus tarder à revenir de son travail après une dure semaine. Solange l’attend patiemment, comme tous les soirs de leur vie bien réglée.

Mais aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres malgré les apparences. En effet Solange, qui a pour immuable habitude de procéder à une lessive le vendredi, a fait une découverte inattendue en préparant le linge à laver : d’une poche de pantalon de Germain est tombé dans le bidet un chiffon de papier oublié sur lequel elle a réussi à lire : « Marilou – jeudi 16 h »… Marilou ! Un éclair d’orage tombant à ses pieds aurait produit moins d’effet que la lecture de ces quelques mots ! De ce prénom ! Sa vie s’écroulait. Douze ans d’amour, de tendresse, de franchise, de complicité, douze ans de bonheur que ces quatre mots assassins faisaient voler en éclat. Tournant et retournant cette destructrice inscription dans sa tête enfiévrée, elle avait dû se rendre à l’évidence : son Germain avait une maîtresse. Au mieux une liaison passagère, au pire une relation de longue date. Rien pourtant dans son comportement tout au long de ces années, et même jusqu’à ces derniers jours, n’aurait pu laisser supposer le moindre écart. Des horaires réguliers, une vie amoureuse intense et comblée, des goûts simples, rien qui permette d’imaginer une double vie, même si le couple n’avait jamais pu avoir d’enfant, leur seul grand regret mutuel.

L’épouse meurtrie est décidée à crever l’abcès dès le retour du coupable. Pourquoi tergiverser, reculer devant l’évidence, continuer à vivre dans le mensonge et accepter la fatalité ? Elle doit savoir, elle veut comprendre. Son médiator effleure machinalement les six cordes, sans aucune conviction.

Le bruit caractéristique d’un moteur diesel retentit à l’extérieur. Le chat ne s’y est pas trompé qui a levé légèrement la tête. Germain vient de s’engager dans l’impasse qui aboutit au portail laissé ouvert par Solange comme tous les soirs à cette heure là. Une portière qui claque, des pas qui résonnent sur les dalles de l’entrée, la porte qui s’ouvre.

- Bonsoir ma chérie ! Tu as passé une bonne journée ? lance joyeusement Germain en posant sa mince sacoche sur la crédence de l’entrée tout en gardant l’autre main dans son dos.

Solange lève la tête, pose son instrument ; sur son visage transparaissent tristesse, résignation et colère rentrée, ce que Germain remarque aussitôt avec étonnement :

- Eh bien mon cœur, qu’est-ce qui t’arrive ? Parle ! Tu as eu de mauvaise nouvelles ? Ta mère, encore ?
- Non, pas maman, Dieu merci, c’est autre chose. C’est…

La voix est faible, retenue, comme étranglée.

- Attends ! Ne dis rien ! Viens, je suis sûr que dans 10 secondes tu n’y penseras plus !

La jeune femme, quittant comme malgré elle son fauteuil pour approcher de Germain, prend une profonde inspiration pour se donner du courage. Mais lui l’a déjà attirée d’un geste tendre de son bras libre tandis que de l’autre il lui présente un petit paquet enrubanné :

- Tiens, ouvre, depuis le temps que j’espérais ce moment !
- Mais… Germain, j’ai quelque chose à te demander…
- Ouvre je te dis ! Ne me fais pas attendre, j’ai envie de voir ta tête ! Je veux autre chose que ce petit air triste auquel tu ne m’as pas habitué, allez, ouvre !

Déjà résignée et perdant ses moyens devant l’habituel dynamisme enjoué de son mari, Solange défait le nœud sur le papier coloré et découvre une boîte bleu nuit qu’elle ouvre aussitôt. L’éclat du brillant lui saute au visage, illuminant un instant son regard qui s’obscurcit aussi vite, au grand dam de Germain :

- Alors là ! Je ne comprends pas chérie ! Tu as vu au moins ?! Je t’ai fait tailler le même diamant, fixé sur la même monture, le tout strictement identique à la bague de fiançailles que tu as perdue l’an dernier !
- Oui, j’ai vu, mais…
- Mais quoi bon Dieu ! Jamais j’aurais cru que je pourrais avoir l’argent pour refaire faire ça si vite et si bien ! Tu ne te rends pas compte ! Pour une fois que j’accepte de jouer au PMU avec Arthur sur Internet jeudi dernier, voilà que son favori – un tocard pour la presse - arrive premier ! Je l’avais jouée 40 fois gagnante cette jument, alors qu’elle était à 250 contre un !! Je ne t’ai rien dit pour te faire la surprise et tu me fais une tête pas possible ! Dis-moi tout ! En attendant je vais découper la photo du cheval dans le journal et l’accrocher au-dessus de la cheminée ! Quelle bête cette Marilou !
- ………… Marilou ?!…
- Oui, c’est ça, joli nom pour une mule hein ? Jeudi à 16 heures nous étions riches ! Toujours triste ?…

Mo

J'aime bien. C'est simple et efficace. Dommage qu'il y est pas plus de surnaturel mais bon, on fait avec. En plus , les mots passent presuqe inaperçu. Beau travail. Mieux que moi en tout cas

Excellent j'adore la fin!!! C'est bien pensé! Je n'en dis pas plus pour laisser les autres découvrir...
Sinon les mots sont placés de manière très naturelle, tu avais déjà réfléchi avant à la manière dont tu allais les mettre ou c'est venu comme ça?
Une petite histoire vraiment sympa, bravo

Juste une phrase qui m'a interpelé :

Citation :

Le chat ne s’y est pas trompé qui a levé légèrement la tête

Je la trouve un peu confuse non? C'est français bien entendu mais elle sonne bizaremment... enfin à mon oreille en tout cas.

Encore une fois, ton texte me laisse joyeux, un sourire béat au bord des lèvres...

J'adore, et tu as très bien géré les trois mots, mieux que nous tous pour l'instant je trouve !!! Bravo et un bon point pour toi !

J'adore !

Franchement, j'ai adoré!
La fin est - je trouve- extrêmement bien pensée et bien amenée!
De plus, les mots imposés sont pratiquement invisible tellement ils ont leur place!!
Franchement bravo!

Y'a-t-il un rapport avec Polnareff ??

Olivier Michael Kim a écrit:

Y'a-t-il un rapport avec Polnareff ??

Non ! Mais avec Daniel Gérard, oui...
Mo

Ah bon? Je ne connais pas... Il faut que tu refasses ma culture musicale
Aucun lien avec Lisa Gerrard puisque son nom à elle prend deux "R"

Olivier Michael Kim a écrit:

Ah bon? Je ne connais pas... Il faut que tu refasses ma culture musicale
Aucun lien avec Lisa Gerrard puisque son nom à elle prend deux "R"

Non, rien à voir, mais Lisa Gerrard a une voix absolument extraordinaire ! A écouter religieusement dans un calme absolu, c'est sublime et hors normes...
Non, Daniel Gérard est un chanteur des années 70 (??), il avait des yeux !... hmmm... toujours mal rasé, un chapeau noir à bords, un sourire en coin absolument dévastateur ! Ah s'il était en activité aujourd'hui avec l'âge qu'il avait tel que je te le décris, je craquerais...

J'ai découvert que Lisa Gerrard était l'égérie de mon compositeur de musiques de film préféré. Je l'écoute souvent.