Un ptit atelier pour se degourdir la plume, y'a rien de mieux ! Le thème etait tout simplement d'ecrire un truc ayant pour thème le chien : voici donc ma petite contribution, sans pretention aucune.
Allez c'est court et ça se lit vite, donnez-moi votre avis, ô respectables collègues du manoir !
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L'Ere CanineMeriflor s'accouda à la table et fixa son interlocuteur de son regard le plus sérieux :
-Vois-tu, cher Honoré, ils prennent de plus en plus de libertés...
"Toujours le même discours" songea ce dernier, en enfournant dans son museau les restes de terrine qui jonchaient son assiette. Il était las d'entendre constamment les mêmes pamphlets usés dans la bouche de son ami, tel un vétéran de guerre racontant inlassablement ses exploits du front.
- Hier encore, l'un d'eux a osé me demander s'il avait le droit d'uriner dans mes toilettes personnelles. Quelle honte ! Quel manque de décence et de savoir-vivre !
Le bien nommé Meriflor était de cette stature propre aux individus de haute naissance : le poil soyeux et ferme à la fois, les yeux pétillants de malice et d'intelligence, le museau allongé sans en paraître vulgaire et une silhouette robuste et carrée, qui laissait deviner une excellente forme physique sous les riches costumes dont celui-ci aimait à se vêtir lorsqu'il sortait en ville. Certains Labrad-Lords l'enviaient pour cela, mais tous savaient en leur for intérieur qu'ils ne faisaient pas le poids et que cette jalousie n'était alimentée que par le dépit et leur condition plus basse et faible.
L'aristocrate, ainsi que son ami et comptable Honoré, étaient bien connus à la Croquette Dorée, pour les interminables laïus dont le premier se plaisait à dispenser au second pendant des heures, sans que ce dernier puisse être en mesure de répondre. Ils étaient des clients de premier ordre du restaurant et si tous n'étaient pas forcément en accord avec les opinions radicales du riche et altier Meriflor, ses pourboires généreux enchantaient néanmoins suffisamment les employés de l'établissement pour que ceux-ci n'y trouvent à redire.
Et il fallait bien admettre que sa verve et sa fougue caractéristique, lorsqu'il abordait certains sujets mettaient de l'ambiance, attirant même parfois la clientèle, intriguée par les propos enflammés de ce « révolutionnaire » en costume-cravate.
Un individu à la table voisine, titillé par une remarque de ce dernier, se pencha en arrière pour lui faire part de son opinion :
-Ne trouvez-vous pas que vous y allez un peu fort, l'ami? lança-t-il en jetant au passage un oeil vaguement écoeuré vers le dessous.
-Que nenni ! Il faudrait les enfermer et les parquer comme du bétail, loin de nous, tous autant qu'ils sont, rétorqua-t-il d'un ton théâtral. Vous ne les avez jamais vu babiller et s'accoupler comme des bêtes, chanter les louanges de leur race comme si ce monde leur appartenait de juste droit. C'est tout simplement révoltant !!
Et il ponctua son affirmation d'une petite tape inoffensive (bien qu'humiliante) sur le crâne rasé de la chose à ses pieds. Un être humain intégralement nu, tondu des pieds à la tête, révélant une peau rose de nouveau-né d'où ne subsistait aucun poil ni aucune trace distinctive... hormis le collier ornant son cou d'où serpentait une laisse en chaînette.
-Je vous emme...
L'esclave qui fut naguère un homme ne termina pas sa phrase. Son maître lui asséna un violent un coup de talon dans les côtes en guise de reproche, comme à un enfant ou un élève indiscipliné. La « bête » se tut sur le champ et gratifia aussitôt son persécuteur d'un regard honteux et servile, pour se faire pardonner.
-Voilà qui est mieux, reprit Meriflor, se grattant derrière l'oreille d'un geste plein de distinction. Bien. Où en étions-nous, cher monsieur?
Mais déjà, celui-ci avait détourné son regard, offusqué par l'attitude de ce magnat canin aussi cruel dans son attitude qu'il était affable lorsqu'il s'agissait du Fléau Humain. Nullement ennuyé par le mépris clairement affiché de l'autre, ce dernier s'amusa à torturer son animal de compagnie, faisant pendre nonchalamment devant ses yeux brûlants de convoitise une tranche de bacon ; avant de la faire disparaître dans sa propre gueule.
-Ne sont-ils pas mignons lorsqu'ils font le beau? demanda-t-il à son compagnon, d'un air faussement émerveillé.
-Absolument, répondit Honoré en pensant intérieurement que son patron ne valait lui-même pas mieux que d'être enfermé dans ces goulags antiques que l'on appelait archaïquement des chenils. « La Terre ne s'en porterait pas plus mal, pas plus que son compte en banque, d'ailleurs. »
Satisfait de la réponse prévisible, Meriflor se leva en tirant distraitement sa laisse et gagna la rue en compagnie de son fidèle ami-employé, lâchant un petit soupir de contentement après un bon repas et sa dernière démonstration de force en date.
Ils marchèrent en silence durant quelques minutes, trio étrange et dépareillé, lorsque l'humain osa laisser échapper un son qui tenait plus – ô suprême sacrilège ! - de la parole que du jappement.
-Maître, pourrais-je s'il vous plait...
Encore une fois, un bon coup dans les côtes pour enrayer la révolte verbeuse du mutin.
-Dorénavant, tu n'auras plus droit à la parole et tu n'emploieras plus que l'aboiement pour t'adresser à moi, articula-t-il posément.
Et ainsi, ils reprirent leur route, Meriflor arborant un sourire paisible et serein, jouissant d'avance du bain aux huiles que ses serviteurs humains lui prépareraient en rentrant ; conforté dans l'opinion qu'une ère nouvelle s'ouvrait à l'humanité et qu'il en était sinon le chantre, le souverain tout puissant.
Le monde n'était plus qu'un os géant à ronger, d'où l'Homme serait banni aussi longtemps que sa propre race ne serait pas repue de l'extravagant festin à venir.
Oeil pour oeil et croc pour croc.