Voilà pour mon exo. Désolé s'il est à côté de la plaque et qu'il ne respecte pas toutes les consignes
J'ai mon propre bureau maintenant. Sur la porte, mon nom est gravé sur une plaque dorée, juste à côté de la mention: homme à tout faire. Comme me l'a indiqué le responsable des ressources humaines, Monsieur Breton, cela signifie que je suis un homme important dans l'entreprise, et que sans moi bien des choses ne seraient pas si simples.
A bien y réfléchir, c'est la première fois que je vois mon nom inscrit quelque part. Ca fait une drôle d'impression. Oh, il ne s'agit là que de bien peu de choses en fait, je n'ai pas d'ordinateur personnel et mon bureau ne ferme pas à clef. Mais j'ai un statut, et je compte bien l'honorer comme il se doit.
Monsieur Breton m'a indiqué brièvement dans la matinée les points stratégiques de l'entreprise, à savoir le local des fournitures, les cafetières, les photocopieuses, les toilettes et les innombrables poubelles du bâtiment. Bien sûr, mes responsabilités ne s'arrêteraient pas là, et d'autres missions d'importance tout aussi cruciale me seraient bientôt confiées.
- Le plus important, m'a-t-il dit, est de savoir gérer les situations délicates. Voyez vous, notre entreprise fonctionne selon un réseau de mécanismes et d'automatismes parfaitement huilés. Un petit grain de sable dans ces rouages délicats, et c'est toute la maison qui en pâtit. Vous devrez non seulement vous assurer que tout fonctionne idéalement, mais également répondre aux différentes demandes qui vous seront adressées, afin de conserver cet équilibre, cette alchimie qui nous rend infaillibles.
Sur le coup je n'ai pas trop vu où il voulait en venir, alors je lui ai répondu que, oui, bien sûr, je ferais en sorte que tout aille pour le mieux. Que pouvais-je lui répondre d'autre?
- Nous comptons sur toi Jean. Tu nous porte sur tes épaules. Tu es quelqu'un d'important maintenant.
Il s'était mis à me tutoyer, alors je lui ai répondu que, oui, t'inquiètes Daniel, ça roule. Ca a du lui faire le même effet qu'à moi parce que son regard à vacillé légèrement et il a eu l'air gêné. Mais il n'avait pas l'air tranquille, alors j'ai du lui donner une tape sur l'épaule pour le rassurer. Ca a du marcher parce qu'il est parti ensuite.
Il est dix heures maintenant. J'ai fini de récurer les toilettes. J'ai préparé les cafetières dans les différents services. J'ai chargé de nouvelles rames de papier dans toutes les photocopieuses, il y en a dix-sept en tout. Mais j'ai fait une boulette. Un type flanqué d'un costume laid comme une croûte, s'est approché de moi alors que je sortais d'un des locaux de photocopieuses, m'a tiré par l'oreille et m'a reconduit à l'intérieur en me disant de mettre aussi du A3, putain. Il n'a pas vraiment aimé que je lui demande ce qu'était du A3, parce qu'il a encore tiré plus fort et m'a dit de ne pas faire mon malin.
Je ne savais pas qu'on pouvait se faire tirer les oreilles.
A onze heures, un homme que je ne connaissais pas est entré dans mon bureau et a déposé sous mon nez une pile de photocopies à faire, en recto verso et en A3, a-t-il précisé. Je lui ai répondu qu'il n'y avait aucun problème, que ce serait fait rapidement.
Je n'ai pas osé lui demandé ce que signifiait recto verso.
- Tu me les apporteras dans mon bureau, c'est le 312, il a dit, juste avant de partir.
-Pas de problème, mec, lui ai-je répondu, content qu'on me tutoie une nouvelle fois.
Et il est parti en claquant la porte, laissant derrière lui une effluve d'un de ces parfums que porte les Grands Messieurs. Alors je me suis empressé d'aller faire ses photocopies.
Au passage, recto verso signifie photocopier des deux côtés mais sur une seule feuille. C'est ce que m'a dit une dame quand je lui ai demandé. D'ailleurs, elle aussi m'a tutoyé.
- Tu n'as pas honte de photocopier des singeries pareilles, qu'elle m'a demandé après.
Comme je ne savais pas trop, je lui ai donc dit que je ne savais pas mais qu'on m'avait demandé de les faire, voilà tout.
- Bien sûr, m'a-t-elle dit alors avec un drôle d'air, comme si quelque chose la dérangeait.
Alors je lui ai lancé un clin d'oeil et je lui ai dit:
- T'inquiètes, moi aussi je suis nouveau.
Et je suis parti.
Mais l'inconnu aux photocopies, qui en réalité s'appelait Monsieur le Directeur Adjoint, ne se trouvait pas dans son bureau. La porte était grande ouverte et la pièce désertée de son occupant.
Comme j'entendais du bruit dans le bureau à côté, je suis allé voir, et comme je ne voyais pas grand chose à cause de la porte qui était fermée, alors j'ai frappé. On m'a dit d'entrer et j'ai obéis.
En fait il s'agissait d'une salle de repos. Je me souvenais effectivement y être aller pour préparer le café. Une dizaine de sièges rembourrés étaient disposés le long des murs, une large moitié occupée par des costumes trois pièces aux regards amusés. Sur une petite table, la cafetière signalait à l'aide de gargouillis plaintifs que le café était prêt.
- Ah, te voilà, me dit alors le Directeur Adjoint avec un drôle de sourire.
Tous sirotaient une tasse de café et me scrutaient avec avidité.
- Oui, dis-je.
C'est alors que les costumes trois pièces ont tous éclaté de rire.
- Tu as mes photocopies? m'a dit le Directeur Adjoint en se tenant les côtes.
- Oui, dis-je encore une fois en me demandant ce qui pouvait bien tous les amuser à ce point.
- Assieds toi un instant, tu veux?
- Oui.
Je me suis alors installé sur l'un des sièges rembourrés. Soudain un silence lourd nous est tombé dessus. Tous m'observaient comme s'ils s'attendaient à ce que je présente le bulletin météo. Seule la cafetière continuait à émettre quelques sons rageurs.
- Merci beaucoup pour le café, dis-je alors pour briser le silence, en me rendant compte une seconde trop tard qu'aucune tasse ne m'avait encore été proposée.
Eclat de rire général. Dans le doute, j'ai ri aussi.
- Alors, me dit le Directeur Adjoint entre deux pouffements, ces photocopies?
Comme je ne savais pas quoi répondre je me suis contenté de dire:
- Oui?
- Et bien qu'en as tu pensé? me demanda-t-il en réprimant un rire.
En réalité je ne les avais pas regardées mais en observant le tas de feuilles que je tenais, j'aperçus tout un tas de choses intéressantes. Tantôt une paire de fesses, tantôt un nez écrasé contre une vitre. Et tout un échantillon d'autres photos dont l'utilité m'échappait un peu.
Je m'apprêtais à lui répondre qu'il me semblait avoir reconnu son nez sur la deuxième, quand alors la tasse de café que tenait l'un de ces étranges types lui glissa des mains, comme par magie.
- Oh! fit ce dernier en me regardant avec de grands yeux ronds. J'ai pas fait exprès.
Encore une fois tout le monde s'est mis à rire. Alors j'ai ri aussi. Mais un peu jaune, parce que cette fois-ci c'était embêtant.
- Je crois que c'est une mission pour toi, m'a dit alors le Directeur Adjoint en ricanant du bout des dents.
Je n'ai pas compris tout de suite, mais lorsqu'il m'a tendu le rouleau d'essuie-tout, j'ai su quel était mon devoir. J'ai su que je devais essuyer le café qui s'était renversé sur le lino. Il s'agissait sûrement d'un de ces rouages délicats dont m'avait parlé Daniel, le responsable des ressources humaines. Il s'agissait donc de ne pas faillir à ma tâche.
Alors j'ai pris le rouleau, je me suis baissé et j'ai épongé soigneusement, souriant aux pouffements qui fusaient dans mon dos.
Soudain, une forte odeur m'a assailli les narines. L'homme à la tasse magique avait perdu une de ses peaux de crocodile et agitait ses pieds puants sous mon nez. J'ai relevé la tête pour lui dire qu'il lui manquait une chaussure mais il a encore eu une crise de rire. Et comme à ce moment là ils se sont tous mis à rire comme des tordus, alors j'ai ri aussi, pour me mettre dans l'ambiance.
- Merci beaucoup, m'a-t-on dit avant que je parte. Que ferions nous sans toi?
- Encore bien des choses, que je leur ai répondu.
Comme ils n'ont pas compris tout de suite, je suis parti en me mordant les lèvres pour m'empêcher de rire.
De retour à mon bureau, j'ai rassemblé mes affaires. Il était temps de prendre ma pause déjeuner. J'ai quand même sorti mon carnet de bord pour me mettre à jour et j'ai rayé la ligne "Arsenic dans le café".
Il me reste encore beaucoup à faire mais j'ai le temps de m'organiser, rien ne presse. Le plus important c'est de varier les effets et de diluer le tout sur une large période. Pour plus de discrétion.
Mais quand même... Il y a du grand spectacle en perspective..