PLAN AMERICAIN (parties 1 et 2)

Voici une petite nouvelle sans prétention, que j'ai écrite d'un point de vue très visuel. J'espère avoir réussi à faire passer les images qui me hantent depuis un moment... surtout la séquence finale, qui pour moi justifie l'écriture de ce texte maladroit, et qui donne son titre à la nouvelle. Merci de me lire.



PLAN AMERICAIN


1

L’homme au costume entra dans le bureau de la réception. La secrétaire classait des papiers.
- Une seconde et je suis à vous, dit-elle sans lever les yeux de son ouvrage.
L’homme en profita pour sortir une cigarette. Il n’eut pas le temps de l’allumer.
- Ah, bonsoir, monsieur Pisco. Ca fait plaisir de vous revoir.
L’employée lui souriait. L’homme ne répondit que par un signe de tête. La secrétaire fit courir son doigt sur le grand agenda ouvert sur son bureau.
- Vous aviez rendez-vous à dix-sept heures, c’est bien ça… Vous pouvez y aller, le docteur vous attend.
L’homme se dirigea vers la porte d’acajou, et entra avec détachement dans le bureau à l’ambiance feutrée, refermant la porte derrière lui.
« Toujours aussi énigmatique », pensa la secrétaire en regardant le battant. Monsieur Pisco se présentait toujours impeccablement vêtu d’un costume trois-pièces à l’anglaise, et jamais il ne parlait. Le docteur lui donnait lui-même ses rendez-vous. La secrétaire était d’autant plus intriguée par cet homme qu’elle lui trouvait un certain charme… Pas de doute, il avait beaucoup de classe, une façon de bouger souple et mesurée. Elle avait du mal à imaginer quel métier il pouvait bien exercer ; sûrement un cadre. Enfin, se dit-elle avec un soupir en se remettant au travail, n’importe qui peut avoir besoin d’un psy… Il en passait pas mal, des gens bizarres, dans ce bureau.

A dix-sept heures trente, la secrétaire éteignit son ordinateur, prépara son manteau long et fit le tour de son bureau pour aller prévenir le docteur qu’elle devait se sauver. Elle savait qu’il n’aimerait pas être dérangé en consultation, mais elle devait lui faire savoir qu’elle ne serait plus là pour répondre au téléphone.
En ouvrant la porte elle entendit pour la première fois la voix de l’homme. C’était une voix profonde et moelleuse, qui s’accordait bien à son physique séduisant. Quand elle s’excusa, le docteur acquiesça avec un air curieusement distant, presque détaché. Il avait les deux mains posées à plat sur le sous-main en cuir de son bureau, face à l’homme au costume qui continuait de le regarder, appuyé au dossier de sa chaise.
La secrétaire referma la porte et le docteur reporta son attention sur l’homme.
Lorsque le bruit de la voiture de la secrétaire se fut éloigné dans la rue, l’homme reprit la parole.
- Vous savez ce que vous nous avez fait. Vous savez ce que vous nous devez.
Le docteur resta silencieux. Son regard ne parvenait à rencontrer celui, pénétrant, de l’homme qui se tenait devant le bureau, qu’à travers un voile flou.
- Ca ne pouvait se terminer que d’une seule façon possible, et vous le saviez, n’est-ce pas ? Vous étiez prévenu.
Le docteur resta immobile et continua de fixer son client. L’ambiance était calme, dans le bureau meublé avec goût. Les larges feuilles des plantes vertes luisaient dans la pénombre.
- Vous êtes prêt pour ça. Aucune autre issue, hein ?
Les mains du docteur se rejoignirent. Il dodelina lentement de la tête.
- Moi, je n’ai pas d’état d’âme.
L’homme plongea lentement sa main sous sa veste et en tira un pistolet. Il se pencha sur sa chaise et vint déposer doucement l’arme sur le sous-main. Sa main s’attarda légèrement au-dessus.
Le docteur ne baissa pas les yeux. Il regardait, dans le vague, l’homme en face de lui sortir autre-chose de sa poche, tout en se levant.
- Mais vous me l’épargnerez, dit l’homme d’un ton très doux.
Il posa une unique balle, sur sa base, à côté du pistolet. Avec une économie de geste, il prit le briquet en argent du docteur, marcha jusqu’à la porte et sortit de la pièce.
Le docteur n’avait toujours pas bougé, les instruments de mort devant lui, et son regard se perdait encore sur le dossier de la chaise de son visiteur quand la porte se ferma avec un cliquetis discret.

L’homme s’arrêta dans le bureau de la secrétaire, vide, et récupéra sa cigarette pour l’allumer. Il souffla sa première bouffée, face à la sortie. Il resta imperturbable lorsqu’une détonation étouffée se fit entendre derrière les battants d’acajous clos. Il rangea simplement le briquet dans la poche de son gilet, puis sortit de la pièce. Sans un regard en arrière.

C'est vraiment très bon, l'écriture est adroite et fluide et le texte se lit tout seul! Les images passent bien et le rythme est bon! Bref, un grand bravo pour ça!
Quant à l'histoire en elle même, je l'ai beaucoup aimée mais on reste sur notre fin, on voudrait en savoir plus sur ce qui lie le Psychiatre à Monsieur Pisco, le pourquoi, le comment etc... Mais sûrement que ce flou était volontaire...?

C'est bien écrit,

Merci de vos commentaires constructifs.
Apparemment le principal souci est l'intrigue. Pour tout vous dire, j'ai eu l'idée de cette nouvelle il y a longtemps, et ça a toujours continué à me fasciner : un type qui va chez son psy, qui arrive à le travailler au corps pour le convaincre de se suicider, et puis toute la séquence finale à partir du moment où il pose le pistolet sur le bureau, c'était en fait une petite séquence que je visualisais dans ma tête comme un film. C'est pour ça que je me suis surtout concentré sur la fluidité et les images.
J'ai longtemps retardé de coucher cette idée sur papier, justement parce que je voyais mal ce qui pouvait lier de cette façon l'homme et le psy. J'ai pensé à pas mal de choses, mais je pense qui n'auraient pas marché sur le papier. Reste la dernière idée (dont je me suis inspiré ici) que ça pourrait être une histoire de mafia, de drogue... l'intermédiaire a voulu doubler ses commanditaires... Mais bon, c'est tellement cliché que ça n'apporterait rien à l'histoire, je pense.
J'ai donc choisi (et je ne prétend pas avoir BIEN choisi) de faire l'imposteur en cachant tout ça derrière l'écran de fumée qu'est le point de vue de la secrétaire, le temps que la discussion se déroule dans le bureau à côté, et d'y revenir pour la fin, la partie qui m'interressait. Pour ça et pour garder une certaine fluidité (je pense que c'est primordial dans un texte aussi court, il ne faut surtout pas qu'il y ait de coupure ; il ne faut pas lacher son lecteur avant le dernier mot, pour qu'il reste sur cette impression d'unité, pour donner un peu de poids au texte), il fallait que la secrétaire vienne déranger le docteur en consultation, et par là même nous introduire dans le bureau. Ca a été un de mes dilemnes : je ne voulais pas introduire une explication qui n'aurait rien eu à voir avec l'histoire et aurait alourdi inutilement le texte... d'un autre côté je sais bien que c'est très maladroit qu'elle aille simplement dire au doc qu'elle s'en allait... A un moment, j'avais écrit qu'elle devait partir plus tôt, et en relisant je trouvais que ça cassait un poil l'équilibre du passage. Alors j'ai tout simplement enlevé toute explication, en me disant que le lecteur ne se poserait peut-être pas trop la question vu que c'était loin d'être essentiel à l'histoire, et qu'après tout je n'étais peut-être pas obligé de tout mâcher, que le lecteur était capable de se dire que sans doute elle devait partir plus tôt que d'habitude. Je vois que j'ai peut-être eu tort. J'aurais dû plus travailler le texte pour éviter cette erreur.

Voilà pour l'histoire derrière l'histoire.

c'est clair

Bonjour Oukontiamban,
Drôle de pseudo... ;-)
Personnellement j'ai aimé ce petit texte pour plusieurs raisons, mais je vais te signaler quelques petits "défauts" aussi:
- d'abord je n'ai décelé aucune faute d'orthographe, de grammaire, de tournure, tout est PARFAIT! Ceci est suffisamment rare pour que j'aie eu envie de le signaler... Pour moi c'est déjà ça qui donne une fluidité à la lecture.
- J'ai beaucoup aimé ta manière de décrire l'homme silencieux. Le mystère demeure, jusqu'au dernier mot.
- Le fait que la secrétaire entre pour signaler son départ peut aisément être amené sans qu'on se pose de question à ce sujet en modifiant très légèrement la phrase "A dix-sept heures trente, la secrétaire éteignit son ordinateur, prépara son manteau long et fit le tour de son bureau pour aller prévenir le docteur qu’elle devait se sauver.".
Par exemple en ne donnant pas l'heure mais en disant "Vingt minutes avant l'horaire habituel, la secrétaire..." etc... Le "se sauver" est très bien, surtout le conserver.
- Le mot "ouvrage" de la 3ème phrase me gêne. Ce mot désigne plutôt quelque chose qui se fabrique, se confectionne. Je crois que cela ne doit pas s'appliquer à un travail de classement de documents par une secrétaire...
- J'ai trouvé un peu trop de répétitions (rapprochées) du mot "docteur", il faudrait peut-être alterner avec "médecin", puis "psy", etc...
- Quelques adjectifs inutiles aussi, comme (par exemple) "prépara son manteau long".
- Et pour l'énigme qui finalement reste entière, personnellement je me plais à imaginer que le psy ne s'est pas supprimé, qu'il a fait comme si, et que l'aventure va se poursuivre!...
- Je termine par une question: pourquoi ce titre?
Pour ma part je suis curieuse de lire d'autres textes de toi, cela me paraît très prometteur. - Nad

Cornélia > Merci pour toutes tes idées, ça m'inspire ! L'idée d'un lourd secret et de la thélapathie me plaît. De quoi développer l'intrigue, et puis de la rendre plus fantastique, puisque c'est quand même le thème de ce forum...


Nad > Maintenant que tu me les fait remarquer, je trouve toutes tes observations très justes. C'est marrant que tu me parles du choix du mot "se sauver", parce que c'est exactement ce que je me suis dit en l'écrivant...
Merci aussi pour ta reformulation de la phrase ; mais c'est un peu comme ça que je l'avais tournée, et je trouvais que c'était encore plus dérangeant, parce que si je dis qu'elle part avant l'heure, moi j'ai bien envie de savoir pourquoi (ça sort d'où ?), et ça me sort un peu du récit.

C'est gentil de vouloir lire plus de moi. Du coup je vais tout de suite en poster une autre.

Et ma question alors? pourquoi le titre? ;-))) - Nad

Ah, j'oublie d'expliquer pour le titre : comme je n'arrivais pas à en imaginer un qui soit intéressant, j'ai choisi "PLAN AMRICAIN" parce que c'est comme ça que je voyais l'homme au costume allumer sa cigarette à la fin : cadrage en plan américain, de face, avec les portes d'acajou à l'arrière plan... et le coup de feu.
(Comme je vous l'ai dit, je visualisais vraiment cette séquence comme un film ; l'image m'a hantée jusqu'a ce que je la couche sur papier. C'est aussi pour ça que j'ai fait dans le vague ; pour moi c'était très excitant d'avoir cette séquence, sans savoir le pourquoi et le comment. J'ai essayé de faire passer un peu de ça au lecteur).

Quand à mon pseudo : l'Oukontiamban est une contrée imaginaire de Nouvelle Calédonie, sortie de l'imagination de Bernard Berger, auteur de BD locales humoristiques, à grand succès là-bas. J'avais promis de lui faire de la pub en France.

Oukontiamban a écrit:

Quand à mon pseudo : l'Oukontiamban est une contrée imaginaire de Nouvelle Calédonie, sortie de l'imagination de Bernard Berger, auteur de BD locales humoristiques, à grand succès là-bas. J'avais promis de lui faire de la pub en France.

Ah tu connais le Caillou, c'est beau hein?!
Merci pour les explications.
Et c'est "quant à", pas "quand à"...
Plan américain avec un homme mystérieux au costume anglais... Comme tu le sens...

Nad > J'ai vécu un an en Kanaky. Le Caillou m'a adopté et j'ai adopté le Caillou. Là je suis en exil...

Quant à "quand à", faute d'inattention.

Cornélia > T'imquiètes, je voulais pas dire que je vais me forcer à écrire pour le forum... mais tu m'enlèves une épine, parce que j'ai pas encore eu le temps de lire beaucoup de nouvelles des autres membres et je savais pas trop si on pouvait en poster qui soient pas fantastiques. Mais pour moi une bonne histoire à chute par exemple, c'est quand même dans un univers assez proche (ça me gêne pas qu'il y ait dans les recueils de Stephen King des histoires qui ne soient ni d'horreur ni fantastiques... Il a même écrit une aventure de Sherlock Holmes, je crois : "Le Docteur Résout l'Enigme".

Citation :

justement tu devrais mettre toute cette visualisation sur papier, Wink même si ta nouvelle sera plus longue ! Cela ne veut pas dire qu’elle va perdre son charme ni sa qualité ! Wink Wink

Tu crois que je peux l'écrire comme ça ? Ca serait pas un peu lourd ? J'ai préféré écrire un truc moins technique, chacun peut se faire sa propre image et je comptais sur le fait que chacun verrais la chose d'une façon qui soit aussi fascinante pour lui que pour moi. Je suis pas sûr de pouvoir faire passer l'émotion que me procure personnellement l'image en la décrivant de manière très technique. Dis-moi ce que t'en penses.
/EDIT/ D'ailleurs c'est pour ça que j'ai essayé de soigner la desciption de mon bonhomme. Je pensais qu'en faisant un bon travail de style et d'atmosphère en amont, c'était comme ça que ma séquence finale prendrait toute sa patine. Alors j'ai essayé de vous le décrire avec un physique agréable, et un charme tout James-Bondien, so british (d'où le costume), pour que quand cette fameuse image arrive, vous voyiez naturellement sa façon de bouger, l'ambiance de la scène. Pour tout dire, je rapproche beucoup cette séquence de celle qui ouvre un James Bond, je sais plus lequel, avec Sean Connery habillé en combi de plongée, qui s'en va plastiquer le repaire des gros méchants, de nuit. Il sort du lac (ou peut-être la mer, je sais plus), enlève la combi et dessous il est bien sûr tout habillé avec costard blanc, noeud pap' et fleur à la pochette. Il entre dans un bar style cubano, une espèce de paillote, par la porte de derrière, va finir son martini au comptoir et sort du bar. Et là on l'a de face, il allume une cigarette pendant qu'à l'arrière plan, on voit le repaire qui explose. Bond reste imperturbable et s'en va tranquillement, sans regarder derrière. Tripant, non ?

En écrivant tout ça je me rend compte que je me suis vraiment éclaté à bosser sur ce texte...

bien

Bonne remarque, chère cornélia!

Je n'ai pas lu les autres commentaires pour ne pas être influencé... Très belle écriture, fluide, des descriptions qui font mouche, un ton direct et enlevé... On sent vraiment un côté scénario de film que j'adore... J'avoue par contre ne pas avoir tout compris, mais c'est comme ça quand on lit sur son ordi au boulot le matin...