Bon je désespere de finir ce texte, je le poste donc en l'état, histoire de participer à l'atelier et je mettrai la suite plus tard.
Aux alentours de 23 heures et 37 minutes ce soir-là - vendredi pour être complet - l’inspecteur Pâlichon se délassait quelque peu, à demi allongé sur son transat en mousse synthétique et s’adonnait à quelque réflexion métaphysique dont la profondeur des enjeux échappait à tout entendement.
C’est du moins l’impression qu’il donnait.
Car en réalité, il serait plus juste de dire qu’il somnolait, tout simplement. D’ailleurs, si j’avais été honnête dés le départ, j’aurais commencé par dire qu’il dormait même profondément, tout penseur implacable qu’il fût. Mais cela aurait nuit injustement à sa réputation, aussi je vous demanderai de vous en tenir au propos initial.
Ceci étant dit, revenons un moment auprès de Pâlichon et observons attentivement ce qu’il se passe.
Pour le moment : rien.
Oui, car rappelons-le, à cet instant de l’histoire il n’est que 23h37, et ce n’est qu’à 23h38 que le téléphone, placé sous l’oreiller selon une ingénieuse idée, va se mettre à sonner, à vibrer, à se contorsionner dans tous les sens, et ainsi éveiller l’attention de l’inspecteur.
Voilà, nous y sommes, aussi je vous laisse en compagnie de cet homme égaré dans l’abîme de ses réflexions et qui, n’en déplaise à ses détracteurs éventuels, ne se trompe jamais. Même lorsque c’est le cas.
Alors que la télévision - qui était restée allumée pendant que l’inspecteur se délassait un peu - continuait de déverser sur la moquette son flot d’images absurdes, le sept se changea en un huit majestueux. Aussitôt le téléphone se manifesta et rugit furieusement de sous l’oreiller, jusqu’à ce que l’inspecteur l’attrapât par le col pour lui décrocher le combiné.
- Inspecteur Pâlichon, fit-il d’un ton étudié.
- Inspecteur Pâlichon ? fit une voix à l’autre bout.
- C’est bien ce que j’ai dit.
- C’est Albert à l’appareil, on a un problème.
- Quel genre ? fit l’inspecteur, plein de maîtrise.
- Genre on a un mort sous les bras, sans témoin, sans arme du crime, sans blessures, sans trace de poison, sans suspect, sans mobile, sans…
- Oui, sans rien quoi.
- Ouais.
- Mon petit Albert, c’est triste mais ça arrive tous les jours. C’est ce qu’on appelle une mort naturelle.
L’inspecteur attrapa le paquet de cigarette qui reposait en équilibre précaire sur le rebord de la table de nuit, et s’approcha de la fenêtre qui donnait sur une cour intérieure. Il observa un moment la nuit exercer son règne à travers ses vieux rideaux défraîchis et sentit la lassitude poindre.
- Albert ? Ce n’est pas pour ça que vous me dérangez, j’espère.
- Et bien si. Le type est mort quand même.
- Et en quoi ça me regarde ?
- Ben vous êtes l’inspecteur, et c’est comme ça qu’on fait d’habitude.
Pâlichon réduit en bouillie la cigarette qu’il s’apprêtait à allumer et la jeta de rage sur l’écran de télévision qui continuait sa sinistre mélopée.
- Bon, et alors, je vais quand même pas enquêter à chaque fois qu’un type meurt !
- Ben c’est un meurtre, alors je pensais que…
- Et comment vous savez qu’il s’agit bien d’un meurtre puisqu’on n’a rien ? hurla l’inspecteur dans le combiné.
- Le type, pas celui qui est mort, l’autre, celui qui a tué celui qui est mort, et bien il a laissé un mot derrière lui.
- Et ça disait quoi ?
- Je crois que le mieux serait que vous veniez voir par vous-même, c’est difficile à expliquer au téléphone.
L’inspecteur amorça un dernier virage et gara son tacot sur l’emplacement réservé aux livraisons, habitude qu’il avait prise suite au décès tragique de Bretzel, son cheval borgne. Il claqua la portière avec autorité, réajusta le col de sa veste et pénétra dans le hall de l’immeuble où l’attendait Albert, la mine défaite. Il s’approcha de celui-ci et lui agrippa les oreilles en un geste si rapide qu’il fût invisible à l’œil nu. Puis il serra les doigts.
- Parle, fit-il.
- Je crois qu’il faut que vous montiez, grinça Albert en plissant les yeux de douleur. Je ne peux pas vous expliquer comme ça.
Pâlichon étudia son équipier un instant, puis lâcha sa prise en grognant quelque chose à propos du temps qui passe ou du vent qui chasse, Albert n’était pas sûr d’avoir compris.
Les deux hommes s’engagèrent dans l’escalier qui grimpait dans les étages et s’arrêtèrent au premier. Dans le couloir, l’inspecteur Pâlichon dégaina son carnet de notes et son stylo à encre aléatoire, paré à consigner sur papier tous les éléments susceptibles d’intérêt. Ils s’arrêtèrent sur le seuil de l’appartement et échangèrent un regard éloquent. Puis Pâlichon enjamba les fils barbelés, installés pour dissuader les éventuels curieux, et pénétra dans la pièce qui baignait dans une semi pénombre, seulement éclairée par une bougie posée sur la table de chevet du mort.
L’inspecteur s’approcha du médecin légiste qui, semblait-il, prenait des mesures sur le corps, et lui attrapa le poignet.
- Qu’est-ce qu’on a ?
- Heu… fit le médecin, un œil inquiet vissé sur notre homme. On a un individu de race blanche, de sexe masculin. Je dirais qu’il a la cinquantaine et qu’il est mort.
- Quoi, c’est tout ?
- Ben c’est suffisamment grave…
Pâlichon resserra subrepticement son étreinte.
- Vous foutez pas de moi, vous savez très bien ce que je veux dire.
- Ah bon ?
- …
- Aïe ! Ah Oui ! La cause de la mort est encore inconnue si c’est ce que vous voulez savoir !
L’inspecteur rendit son poignet au légiste – qui, si on devait en croire son badge se dénommait Nestor - et se dirigea vers Albert, un regard noir braqué dans le dos.
- Alors ? Qu’en est-il de cette lettre ?
- Et bien selon nos spécialistes, il s’agit d’un code inédit et indéchiffrable sans la bonne clé.
- Comment ça ?
Albert lui tendit l’une des feuilles, le geste anxieux, puis reprit d’une voix mal assurée.
- En fait, le mec, pas le mort hein, l’autre, celui qui a…
Tout en explorant le feuillet qu’il avait sous les yeux, l’inspecteur avait giflé son collègue de sa main libre.
- Tu es long, Albert.
- Le tueur donc, fit ce dernier en se frictionnant la joue, a laissé des instructions pour décoder le message. Il s’agit…
- Des instructions pour décoder le message ?! Mais c’est complètement con !
- C’est aussi ce que pensent nos spécialistes…
- Continuez, fit Pâlichon en surveillant du coin de l’œil le légiste qu’il soupçonnait de faire les poches du mort.
- Il s’agit donc d’un code utilisant une langue différente pour chaque lettre.
Pâlichon leva les yeux.
- Ca existe ça ?
- Et bien, toujours selon nos spécialistes, non. Mais le tueur avait laissé des instructions complètes…
- Comment ça « avait » ?
Albert fit un bond en arrière et se fourra les mains dans les poches arrières, une lueur affolée dans les yeux.
- J’y suis pour rien, je le jure !
- Comment ça, tu n’y es pour rien ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
- C’est Ricardo, il a renversé son café dessus et ça a fait coulé l’encre. On a pas tout.
L’inspecteur se plaqua la main sur le front et médita un instant sur le temps qui passe et le vent qui chasse.
- Où est ce Ricardo ?
- A l’heure qu’il est, si ses faux papiers ont fonctionné, il doit avoir un sombrero sur la tête.
Pâlichon serra les dents, indifférent au filet de bave qui s’était mis à sinuer sur son menton, et effectua les cent pas dans la chambre, maudissant le Mexique et le café.
Soudain, dans un mouvement aussi rapide qu’invisible, il surgit devant Nestor et lui mordit le visage jusqu’à l’os. Il déchira la blouse du faux médecin légiste et découvrit, dissimulé en dessous, tout un système de poches secrètes et de mécanismes de prestidigitation utilisés lors des numéros de pickpocket.
- Albert, hurla-t-il en jetant à terre l’homme qui s’était mis à pleurer de douleur. Sors moi cet imposteur d’ici et escorte le à la morgue ! Ce n’est qu’un pillard de corps et un usurpateur d’identité !
Albert s’exécuta sans se faire prier, trop heureux de pouvoir échapper un instant à la fureur du patron. Il franchit la clôture de barbelés sans le moindre ménagement pour le faux légiste qu’il traînait à sa suite, indifférent à ses protestations étranglées, et referma la porte derrière lui, laissant l’inspecteur Pâlichon seul avec sa tempête intérieure.
Lorsque Albert réapparut, l’inspecteur avait reporté dans son carnet tous les éléments dont ils disposaient, allant même jusqu’à y consigner l’acte inqualifiable du vil Nestor. Il observa l’encre prendre un ton ocre et se massa le menton dans un geste de réflexion intense.
Il prit une grande inspiration et se plaça en un éclair derrière Albert pour lui appliquer une clé de bras en Z. Il plaqua son équipier contre le mur et força sur sa prise.
- J’ai besoin de tout savoir, lui chuchota-t-il à l’oreille. Tous les détails et dans l’ordre.
Tout était d’une simplicité affligeante quand on y portait un regard serein, il était inutile de s’énerver. Ricardo avait reçu dans la soirée un appel anonyme du voisin de palier du mort qui disait entendre des bruits pour le moins étranges dans l’appartement d’à côté, celui du mort donc, puisque comme je vous l’ai dit… - Scratch ! Me prends pas pour un con, Albert ! - Ricardo et Albert étaient donc allés jeter un œil, pensant qu’il ne s’agirait que d’une affaire de tapage nocturne ne relevant pas de la crim’. Mais lorsqu’ils étaient arrivés sur place, la porte était grande ouverte et le mort gisait sur son lit. Il n’y avait aucun bruit particulier mais des feuilles étaient éparpillées sur le sol, de manière complètement anarchique. Mais comme elles étaient numérotées, Ricardo et Albert avaient pu, en se fiant aux chiffres, les classer dans l’ordre supposé logique en… - Scratch ! On s’en fout, continue – La première feuille contenait les instructions et les autres, le code. Ainsi, ils avaient appris, avant que Ricardo… – Scritch ! Avant que Ricardo se barre au Mexique, oui, ensuite ? – Ainsi ils avaient appris que la mort était d’origine criminelle puisque le message stipulait que le code indiquait l’adresse d’une soi-disant prochaine victime.
L’inspecteur Pâlichon se raidit brusquement et serra les doigts.
- Et tu n’as pas jugé utile de me faire part de ce détail avant ?
- Ben de toutes façons, on a plus les instructions.
Pâlichon soupira dans la barbe qu’il n’avait toujours pas et s’humecta les lèvres que la tension avait rendu sèches.
- Et sinon, rien d’autre ? Pas de témoin ?
- Pas vraiment, non.
- Comment ça : pas vraiment ?!
- Ben il y a bien un témoin mais on pourra pas en tirer grand-chose…
- Accouche, bordel, fit Pâlichon en resserrant son étreinte.
- C’est le chat du mec, celui qui est mort.
L’inspecteur relâcha son collègue et posa sur lui un regard rond.
- Un chat… ?
- Avec Gilbert on a essayé de l’interroger mais ça n’a rien donné.
- Ah bon ? Et ça vous étonne ?
- De quoi ?
- Dégage avant que je m’énerve ! fit Pâlichon en se tournant vers le cadavre. Un chat… Non mais n’importe quoi ! Et pourquoi pas interroger le…
L’inspecteur stoppa net et fixa le plancher, comme pris d’une illumination soudaine.
(à suivre... ou pas)