- Lestat a écrit:
- Merci beaucoup pour ta lecture Ezorus, tes compliments me vont droit au cœur !! En ce qui concerne tes interrogations, je préfére te répondre en privé pour ne pas divulguer trop de détail. Juste une chose : c'est plus compliqué que ça en à l'air.
Puisque "c'est plus compliqué que ça en a l'air", je veux bien quelques infos en plus, histoire de bien saisir ce que tu as voulu faire.
Bon, en me plaçant dans l'état d'esprit adéquat (c'est à dire bienveillant et un peu indulgent), j'ai réussi à tout lire (mais je me suis un peu forcé durant la première moitié). J'ai noté un tas de trucs tout au long de la lecture ; donc comme le texte est long, le commentaire l'est aussi. Disons que ce sera le commentaire le plus long du manoir, pour faire honneur à la nouvelle la plus longue du manoir (je crois ?)
Commençons par les remarques "négatives".Il faudrait que tu évites ce procédé qui revient trop souvent (surtout au début), même si la formulation est un peu différente (j'ai tendance à faire la même erreur) : "au bout d'un temps qui m'avait paru interminable" ; "pendant un court instant" ; "depuis quelques minutes" ; "l'espace d'un instant" (qui revient souvent) ; "après avoir erré un bout de temps sans le moindre but (alors qu'il est pourtant censé en avoir un venant ici, non ?) ; "au bout d'un temps interminable" etc.
Il y a aussi diverses répétitions assez régulières : "gens" ou "gens-là" ; "encore" (qui apparait au moins 4 fois dans le même paragraphe à un moment) ; "la laisser là dans la..." ; "encore" ; "mais" etc.
J'ai trouvé certains choix de mots/expressions discutables dans le contexte : "rumeur... ; ...immondice ; ...affublée de poils ; mariage improbable... ; détritus médicaux ; cénotaphe ; les démangeaisons qui "tiraillent" le visage ; "j'effaçai instantanément toutes les grossieretés..." etc.
Un problème de forme, également (c'est le point négatif qui saute en premier aux yeux) : les gros paragraphes/pâtés compacts. Ils occasionnent notamment des transitions et des enchainements à l'intérieur du paragraphe assez gênants, et pas très intuitifs/agréables (par exemple entre la phrase "Ce monstre de béton ... contamination" et celle qui suit ou entre celle qui finit par "boutiques désaffectées" et celle qui suit). Il faudrait tout simplement des alinéas (qui permettraient également d'aérer d'un point de vue purement visuel et de confort) pour séparer les idées différentes à l'intérieur de tes parties - comme dans n'importe quel texte ! - et pas seulement des sauts de lignes.
L'utilisation de la ponctuation me semble approximative aussi parfois (mais ça reste limité) : souvent des tirets qui seraient plus appropriés que ces points de suspensions non suivis de majuscules ; je pense que parfois ce serait mieux avec une majuscule après ces points de suspension ; et il y a également ce genre de phrases, par exemple, où la virgule est en trop : "je dus avouer à ce moment-là, que la seule présence de cette veste..." etc.
Quelques exagérations/incohérences (?) : "rendant la vie impossible en Europe" (dommage parce que l'histoire du père à ce moment là est vachement intéressante, même si le prétexte du récit est un peu faiblard) ; la "goutte de sueur" qui lui rentre dans l'oeil et lui cause une "irritation" (un oeil "enflammé", même !) ; l'estomac qui ne rend plus qu'un "filet de bave" après de nombreux vomissements (est-ce plausible ?) ; dans le cimetière page 28, alors qu'il court à toute vitesse, il arrive à lire les noms écrits sur les pierres tombales (c'est impossible - par contre tu pourrais dire qu'il s'arrête vite fait pour reprendre son souffle quelques secondes) ; on se demande bien pourquoi les créatures n'ont pas essayé plus tôt de quitter Prypiat pour chercher à bouffer etc. (forcément là ça coïncide avec la présence du narrateur et surtout sa fuite... Bon, admettons) - des éclaircissement peut-être là dessus, un truc a du m'échapper si j'en crois ce que tu dis à Ezorus ?
Des redondances : "ce bourdonnement qui vous rappelait que chaque seconde passée ici vous poussait un peu plus vers la tombe" (ça fait je ne sais combien de fois qu'il répète que rester dans les parages est dangereux... on a compris) ; "traduisant sans aucun doute leurs courses effrénées pour me rattraper" (bien sûr... d'ailleurs depuis le temps qu'elles lui courent après ! Tu répètes trop de fois qu'il se fait courser par les choses - ce bout de phrase est inutile, en plus il alourdit la phrase) etc.
Des tournures étranges/incorrectes ("je doutais fortement sur le fait que" ; "continuer à vivre cette existence n'avait plus lieu d'être" ; "était venu se rejoindre à nous" (coquille) ; "elle virevolta et vint finir" ; "Prypiat était déjà loin derrière moi que les choses ne semblaient pas vouloir s'arrêter" etc.
Pour les expressions/phrases comme "bien que l'heure affichée sur le cadran correspondait au temps passé ici" ou "bien qu'elle sentait le renfermé" ou encore "je la fixai jusqu'à ce que je sois convaincu qu'elle me disait la vérité" par exemple, je me pose des questions sur le choix de l'imparfait (à l'oreille je mettrais plus facilement du présent ?) ; je sais pas. Faudrait l'avis de la miss peut-être là dessus.
A la fin de la page 8, tu racontes soudainement l'histoire de Prypiat et de Tchernobyl sans trop qu'on sache pourquoi - enfin disons que c'est pas bien amené.
A la fin du 1er paragraphe de la page 28, le narrateur voit les "jambes et les sabots" des "mangeurs d'âmes" ; ça veut dire qu'il voit aussi le reste de leur corps, non ? Du coup on aimerait bien avoir une description plus détaillée de ces "choses" (même si tu commences un peu juste après).
Dans la première moitié du texte, j'ai parfois du mal à bien saisir les déplacements du personnage, sa position... tellement sa progression est entrecoupée de digressions et de pensées. Par exemple à la page 9, quand il voit le type en soutane, tu dis qu'il est dans une salle, mais je ne me souvenait pas qu'il était rentré quelque part (à moins que ce soit dans le cinéma ?). Pareil quand il parle de sa casquette perdu sur le toit d'un building, je me souvient pas avoir lu qu'il était monté sur un building.
En fait, d'une manière générale, il faudrait concentrer d'avantage les digressions sur le passé du narrateur (à propos de son père, de son passage chez les enfants du destin, de sa vie de merde etc.) ; ces passages prennent trop de place et s'étalent démesurément sans bénéfice ; avec plus de concision on serait même moins "perdus" (et ça ferait moins de lignes, sans que le texte en pâtisse de quelque manière que ce soit). Et entre ces digressions il faudrait aussi (re)situer avec plus de précision le narrateur dans sa progression à Prypiat. Parfois, je le répète, on a du mal à savoir où il est (par exemple dans le paragraphe qui commence par "je regardai ma montre", "le vieil édifice" en question, je ne sais plus ce que c'est - en plus à ce moment il pénètre dans un "hall", et juste avant, il était également dans un "hall", donc ça aide pas). Bon on comprend juste après que c'est l'hôpital, mais en attendant... Sinon au bout d'un moment, on en a presque marre de ces digressions/souvenirs, on veut de l'action ! Par exemple bien après la première moitié du texte (page 17) : "un souvenir me revint aussitôt, sans raison, comme si un être malfaisant était venu..." => là ça m'a "saoulé" ; on aimerait bien que le texte décolle un jour quoi (même le si le souvenir est plutôt émouvant) ...
Et comme le dit Paladin, plusieurs des éléments "problématiques" dont je parle au dessus nuisent au rythme du texte, effectivement.
On pourrait aussi reprocher la trop grande importance (en nombre) des indications qui portent sur le regard, les yeux (même si encore une fois, on a tous tendance à faire pareil). Relit le dialogue avec la fille à la soutane et les alentours de ce passage, par exemple, c'est particulièrement flagrant tu verras (le regard perdu dans le ciel, au loin au nord, la fille qui soutient son regard, "le regard noir de la fille se porta à nouveau sur moi", "les yeux rivés dans cette direction" ; "mes yeux revinrent se poser sur l'étrange personnage" ; "les yeux au ciel" etc.). Faut essayer d'innover un peu.
En ce qui concerne la fin/chute. C'est pas vraiment du négatif, mais pas du positif non plus. Rien de spécial. C'est juste un gentil happy end si j'ai bien compris (il retrouve son amie/amour Sophia qui lui traduit la vieille lettre de ses parents - une lettre qui laisse planer une espèce de prémonition/rêve sinistre de l'avenir, et remet un peu en question toute la nouvelle) ? D'ailleurs j'ai l'impression que la notion de "rêve" est plus importante dans ce texte que je ne le pense ; quelle est sa place, précisément ? Ou alors c'est juste pour l'ambiance ?
Les remarques positives, maintenant. Des idées et des passages excellents (la vieille qui fume par un trou percé dans sa gorge ; la poupée ; la forêt rousse ; tout ce qui tourne autour du type (enfin...) étrange en soutane qui apparait/disparait plusieurs fois ; un type qui se métamorphose ensuite en sublime beauté, pour notre plus grand plaisir (je m'y attendais pas) ; l'épisode du narrateur "bête de foire" et l'orgie avec Freak ; la chose qui racle/frappe contre la porte page 27, avec les bruit de "sabots"...
Des petits bijoux de phrases ("pour peu que certains parviennent à atteindre l'âge où l'on peut affirmer avoir vécu" ; les jambes comme "deux torchons de vaisselles tournés 10 fois" ; "si les radiations ne te tuent pas, quelques chose d'autre s'en chargera" ; "j'étais monté avec elle dans la grande roue et quand l'appareil s'était mis en marche nous avions ri tout les deux" (la fin c'est tout con, mais c'est ça
le style) etc.
Des petits effets de "style" sympathiques, justement : "... sa douleur et son chagrin, il les avaient emporté avec lui dans sa tombe - une belle dislocation avec reprise pronominale
; je te félicite également pour certains endroits où tu réalises la prouesse de pondre des phrases longues qui restent pourtant fluides, comme par exemple celle qui commence par "les chevaliers" et finit par "tout au monde" ...
Un paquet d'images fortes/belles : les particules de la photo tombée en poussière qui virevoltent comme les feux de la Saint-Jean ; "la ville avait pris les couleurs du ciel" ; "comme si des centaines de mouches se pressaient derrière mes tempes" ; le cauchemar intense de la page 24 ; les dents acérées, alignées "comme les tuyaux d'un orgue" etc.
Une ambiance carrément excellente, bien servie par un fait historique dantesque (l'histoire poignante des liquidateurs, de Prypiat, du réacteur de Tchernobyl, la description de la ville, la tension avec les hurlements et l'odeur putride qui revient régulièrement, sans qu'on voit quoi que ce soit, les silhouettes fugitives... ; la menace larvée ; l'introduction répétée du rêve et des "hallucinations" (ou du moins du doute) qui crée une atmosphère particulière, caractéristique du genre fantastique d'ailleurs.
Et puis un travail de recherche assez remarquable (que l'on devine important) dans la mesure, en plus, où il est bien réemployé/utilisé, à petite dose et avec pertinence souvent (les "samossiols" ; nom de l'hotêl ; sarcophage autour du réacteur etc.) ...
Enfin, globalement tu tiens bien ton univers en main, conscient de certaines nécessités, états de faits etc. Il y a certains trucs que d'autres auteurs moins consciencieux auraient oublié et qui auraient pu nuire à la vraisemblance (surtout sur un texte si long). Par exemple à la toute fin de la page 25 lorsqu'il entre dans l'immeuble de ses parents, tu fait bien remarquer que ce n'est pas la peine d'essayer de lire les noms sur les boîtes au lettres, car il ne sait pas vraiment lire l'ukrainien. C'est un exemple, mais ce genre de petit détail montrent que tu a été rigoureux.
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J'ai lu le texte en 3 fois. La première moitié en une fois, et le reste en 2 fois. Entre la 1ère et la 2ème fois (avec un jour de distance), j'avais vraiment envie de lire la suite, donc c'est bon signe. La nouvelle générait une certaine attraction finalement, même si je me suis forcé pour la première moitié. La meilleur façon de la lire, c'est probablement "petits" bouts par "petits" bouts.
Pour résumer : s'il n'y avait pas tous les bémols que j'ai évoqué plus haut (avec au surplus un nombre assez important de coquilles, de lourdeurs, de tournures alambiquées, de manque de fluidité/simplicité/efficacité dans l'énonciation etc. que je ne peux pas non plus relever en plus du reste), ce serait carrément une nouvelle excellente. En fait c'est ta meilleure nouvelle, y'a pas à chier ; donc c'est vraiment dommage que l'écriture ne suive pas (à mon goût certes, mais aussi objectivement en grande partie, je pense que tu pourras le reconnaitre). L'écriture n'est pas au niveau du reste. Et le reste en question, il est sacrément bon. Mae parlait d'un texte qui pouvait donner lieu à une "analyse scolaire" et c'est tout a fait ça : ta nouvelle présente une certaine dimension littéraire (c'est un tour de force, pour ce genre de nouvelle). Et des qualités assez impressionnantes, sur certains trucs (qualités qui justifiaient que je poursuive ma lecture, malgré tout).
Il t'a fallut du temps pour écrire ce texte, et je comprend bien pourquoi. C'est pour ça que je pond ce pavé de commentaire, car je voulais un peu rendre hommage à ton travail - c'est pas tous les jours qu'on peut lire une nouvelle de cette envergure ici. On voit bien qu'elle occupe une place importante dans ta vie d'auteur. Il suffit de voir les remerciements à la famille en fin de texte, genre comme au début des romans, et le "texte déposé", machin
... D'ailleurs tu l'as vraiment protégé ce texte ? Si oui, et si c'est pas indiscret, j'aimerais bien savoir quel moyen tu as choisis ?
Bref, je sais pas si tu comptes la reprendre cette nouvelle, mais ce serait bien, car elle le mérite au plus haut point (en l'état, c'est malheureux de le dire, et le terme est un peu fort, mais c'est presque du "gâchis" vu le potentiel). Peut-être que mes remarques t'aideront dans cette perspective, et avec l'aide d'un recul neuf qui sera forcément profitable. Parce que putain, si les modification/améliorations que j'ai en tête étaient réalisées, il y aurait moyen pour que ce soit la meilleure nouvelle du manoir, pourquoi pas.